Databac

GRACQ Julien. (Pseud. de Louis Poirier)

GRACQ Julien. (Pseud. de Louis Poirier). Écrivain français. Né le 27 juillet 1910 à Saint Florent-le-Vieil (Maine-et-Loire). Julien Gracq doit avant tout sa renommée à une oeuvre romanesque dont les qualités poétiques l'apparentent, par-delà le mouvement surréaliste dont il s'est lui-même réclamé, à l'atmosphère et à l'esprit des plus grands récits romantiques. Après des études secondaires brillantes poursuivies à Nantes (il sera cinq fois lauréat au concours général), Louis Poirier entre en 1930 à l'Ecole Normale Supérieure et suit les cours de l'Ecole libre des Sciences Politiques avant d'être reçu à l'agrégation d'histoire en 1934. Nommé ensuite professeur à Quimper, il semble destiné à une carrière universitaire. Sa vocation littéraire se révèle cependant en 1938 par la publication de son premier récit Au château d'Argol , dont le tirage resta alors très confidentiel et que Julien Gracq (ce pseudonyme fut choisi dès ce premier ouvrage) plaça dans sa préface sous les auspices conjugés de Hegel et du surréalisme. L'univers gracquien se trouve déjà tout entier dans ce petit livre dont l'intrigue, la seule véritablement de toute l'oeuvre de Gracq, semble devoir beaucoup à celle du curieux roman de Goethe, Les Affinités électives. Mais dans ce récit, comme dans les romans ultérieurs de Gracq, l'aventure psychologique et sentimentale s'estompe au profit du rôle royal que l'auteur réserve au paysage (en l'occurrence la Bretagne). Celui-ci, en effet, bien loin de figurer un banal décor évoqué par l'auteur à des fins qui lui sont étrangères, s'affirme comme une force omniprésente et envoûtante, dépositaire d'un secret que les personnages cherchent à forcer grâce a une mobilisation constante de leur affectivité et de leurs sens. Le lecteur se trouve ainsi sollicité à éprouver avant tout un climat, une atmosphère, grâce à un style particulièrement dynamique et musical qui rend compte au moyen de nombreuses comparaisons des plus subtiles dispositions psychologiques que son environnement naturel provoque chez le protagoniste. C'est seulement en 1945 que paraîtra Un beau ténébreux , le second récit de Gracq. En 1940, en effet, l'écrivain, mobilisé, puis fait prisonnier, devra passer quelques mois dans un stalag de Silésie avant d'être rapatrié pour raison de santé et de pouvoir poursuivre à Amiens, puis à Angers, sa carrière de professeur. Dans ce second livre, Julien Gracq fait participer le lecteur à l'attente de son porte-parole, Gérard, devant un dénouement tragique qu'il sent devoir inéluctablement se produire. Ce sentiment d'attente, où se confondent l'angoisse et une sorte d'espérance insensée, fournira à Gracq le thème de son drame, Le Roi pêcheur , représenté en 1949 à Paris et dans lequel il traite à sa manière le mythe du Graal. La parution de cet essai dramatique survient après celle d'un recueil de poèmes en prose, Liberté Grande , en 1947. Entre-temps, Gracq s'est installé à Paris où il enseigne de 1947 à 1970 l'histoire et la géographie au lycée Claude Bernard. Poursuivant, parallèlement à cette activité, son oeuvre littéraire, Gracq verra son audience brusquement élargie par l'attribution qui lui est faite en 1951 du prix Goncourt pour son somptueux et ample récit, Le Rivage des Syrtes , prix qu'il refuse au nom d'une honnêteté intellectuelle et d'une volonté de dégagement qu'il avait revendiquées pour l'écrivain, l'année précédente dans un court pamphlet, La Littérature à l'estomac . De tous les récits de Gracq, Le Rivage des Syrtes se révèle le plus solennel, le plus dégagé des contingences historiques et géographiques. Le romancier se complaît ici a évoquer inlassablement les paysages marins, à suggérer au lecteur la présence totalement envoûtante de la mer, symbole de la liberté, dont il nous décrit la lente immixtion dans une sorte de Venise délabrée en proie à un pourrissement inexorable. Une trame tout à fait analogue soutient le quatrième roman de de Gracq, paru sept ans plus tard, en 1958, Un balcon en forêt — à ceci près que l'action est située à une époque précise (1940) et que la forêt tient le rôle de la mer. A partir de 1938, Julien Cracq a donc livré à son public, de sept ans en sept ans, avec une constance remarquable, quatre récits qui font apparaître des préoccupations totalement identiques malgré la personnalité irréductible de chacun. C'est de ce même souci que rendront compte à leur manière les trois nouvelles parues en 1970 sous le titre de La Presqu'île, mais cette fois, le propos ne comporte plus la moindre trace d'intrigue romanesque. Gracq livre ici au lecteur le compte rendu d'un vagabondage de l'esprit et des sens plus ou moins circonstancié au gré des paysages où il cherche à débusquer 1 imprévu qui viendra miraculeusement le libérer de la pesanteur de l'habitude. Parallèlement à cette oeuvre de pure création, Gracq s'est adonné à une tâche critique dont la première expression est son admirable étude sur l'oeuvre d'André Breton, parue dès 1948 et suivie de Préférences en 1961 qui collecte bon nombre de préfaces et d'écrits de circonstance dispersés jusque-là dans différents livres. Comme dans ses productions analogues rédigées ultérieurement, Lettrines I (1967) et Lettrines II (1974), il s'y montre aussi soucieux de style que de l'originalité des idées. A ce genre d'écrit, on peut encore joindre Les Eaux étroites (1976), analyse bachelardienne d'une imagination modelée par l'élément aquatique et fortement inspirée du Domaine d'Arnhem de Poe. Le nom de Julien Cracq restera donc attaché à ses grands récits poétiques qui invitent le lecteur à autant de tête-à-tête avec une nature qui en représente la part nécessairement complémentaire. Gracq ne cesse d'interroger celle-ci avec obstination, condamnant ses personnages principaux à une attitude expectative en même temps qu'à une tension de toute leur volonté vers l'obtention d'un message que la nature recèle mais ne délivre qu'à ceux qui s'abandonnent totalement à son pouvoir. Lorsque celui-ci se fait enfin jour à l'esprit des protagonistes, a lieu la catastrophe finale (seulement prédite, en ce qui concerne Aldo dans Le Rivage des Syrtes). Mais celle-ci cautionne la survenue de la liberté à laquelle ces personnages aspiraient, appréhendée comme un vide qui réduit à néant toute réalité illusoire. A ce titre, les romans de Gracq figurent autant de fenêtres ouvertes sur l' illimité de la vie, indifférencié et inqualifiable. Mais c'est peu à peu qu'il est donné au lecteur d'assister au retrait des apparences, dans un mouvement de résorp tion qui découvre l'envers du monde et rature définitivement la consistance apparente des choses et des êtres. ? « Tous les romans, récits, nouvelles, poèmes narratifs, publiés par Julien Gracq... ont en commun le caractère d être des récits à haute tension et de ne viser à rien d'autre ou presque, semble-t-il, qu'à faire ressentir au lecteur la présence de pareille tension derrière les mots de l'écriture. » André Pieyre de Mandiargues. ? « J'envisage cette oeuvre d'artiste dans son espace volontairement limité comme un immense travail de tapisserie de cette chaude confortable laine drue de Kairouan, un ouvrage de longue patience, de volonté opiniâtre, d 'une trame serrée, entrecoupée de noeuds solides, et dont les couleurs de sable et de végétal se laissent en même temps penser et percevoir, mentales autant que visuelles. » Franz Heilens.

Liens utiles