Gracian
Gracian
(Baltazar, 1601-1658.) Jésuite espagnol. Il mène une vie assez monotone d'enseignant dans les collèges de la Congrégation, mais son dédain des médiocres - plus que ses succès littéraires obtenus sous pseudonymes, en violation de la règle de son ordre - lui vaut de solides inimitiés, qui aboutissent en 1658 à son exil dans un monastère.
♦ Ses premiers textes analysent les qualités, notamment morales, nécessaires au triomphe social de l'individu. Le Héros (1630) critique ainsi Machiavel et affirme la priorité de la moralité sur les fins politiques - mais c'est parce que, pour Gracian, il y a continuité entre l’homme privé et l’homme public : le « bon goût » est notamment la vertu qui permet d'adapter le jugement aux circonstances, et garantit, au-delà de l’équilibre individuel, la possibilité d'une vie collective sereine.
♦ Le Politique (1640), L'Homme univer sel (1646), et surtout L'Homme de cour (1647) nuancent cependant de pessimisme l'affirmation de l'harmonie possible : Gracian passe du savoir-vivre au savoir survivre, et se fait le théoricien de la manière d'être, ou de l'apparence. Celle-ci est une « forme vide » avec laquelle le sujet doit finir par coïncider : puisque l'homme vit dans un univers d'illusions, le masque adopté est à la fois protecteur et annonciateur d’une identité convenable, qui permet l'intégration au milieu.
♦ Il existe ainsi une dimension « esthétique » de l'éthique sociale - qui devient une variante du stoïcisme dans L'Homme détrompé (1651), dont le récit polymorphe et baroque anticipe sur le roman philosophique : on y voit un héros, à la recherche d'une Félicité introuvable, ballotté au gré d'événements trompeurs, s’élever malgré tout - avec l'aide de divers maîtres en sagesse -vers la Raison et l’île d'immortalité où il s'affirme enfin comme personne humaine. Être homme apparaît alors comme la forme ultime de l'héroïsme - et la pure réussite sociale perd toute portée.
Cette odyssée désabusée de l'intelligence a notamment influencé Nietzsche et Schopenhauer.