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GIRAUDOUX Jean


GIRAUDOUX Jean
1882-1944
Auteur dramatique et romancier, né à Bellac en Limousin. Élève exceptionnellement « brillant » et néanmoins appliqué, il entre à Normale supérieure ; et là encore, où l’on ne s’étonne plus de rien pour ce qui est du travail, il effraie camarades et maîtres par son ardeur à tout lire, à tout apprendre. En particulier les littératures latine et grecque ; allemande aussi, ce qui est plus rare. C’est avec le même zèle qu’il préparera bientôt le concours des chancelleries. Ainsi ce poète, célèbre auteur de la boutade : Il faut avoir rêvé longtemps pour agir vite, semble avoir voulu nous démontrer, d’abord, combien il faut avoir travaillé dur pour parvenir un jour à rêver avec efficacité, c’est-à-dire avec grâce. Sa première activité littéraire, qui se déploie dans le domaine du roman poétique, ne lui vaut que la faveur d’un public de lettrés nouvelles des Provinciales (1909), de L’École des indifférents (1911); et, entre autres romans, Simon le pathétique (1918), Suzanne et le pacifique (1921, dont le dénouement sera assuré par un Prince Charmant qui s’annonce ainsi : Je suis le contrôleur des poids et mesures) ; Juliette au pays des hommes (1924), Bella (1926), Églantine (1927). Ce sont là, dit alors la critique, de nonchalantes ombres. On fait comprendre à Giraudoux qu’il n’est pas sérieux ; qu’il est agréable ; mais que non, décidément, il « ne fait pas le poids ». De nos jours, ces romans et nouvelles de Giraudoux pèsent autant que les plus ambitieuses de ses pièces mythologiques ; et font même, dit la critique moderne, pencher la balance de leur côté. Or, dès 1927, il s’avise de mettre en dialogues quelques passages de son roman Siegfried et le Limousin (1922). Cet homme à qui l’on reproche de céder à sa trop grande facilité se met une fois de plus, humblement, à l’école; décide d’apprendre son métier, son nouveau métier de dramaturge, en annotant une édition de La Princesse lointaine de Rostand, et, plus tard, de La Samaritaine. Jouvet l’encourage et reçoit ce Siegfried scénique (1928), qui est un triomphe bien inattendu. Si l’on fait abstraction de Judith, qui d’ailleurs échoue à la création (1931), toutes les œuvres de Giraudoux seront montées, et menées au succès, par Louis Jouvet jusqu’à l’époque de la guerre : Amphitryon 38 (écrit et joué en 1929 ; le matricule « 38 » entend préciser, avec beaucoup de modestie, le nombre des ouvrages déjà composés sur le même thème) ; Intermezzo, où apparaît un autre contrôleur-poète (1933) ; La guerre de Troie n’aura pas lieu (1935), la grande œuvre, indiscutée, « classique » au meilleur sens du mot; Supplément au voyage de Cook (1936), bref hommage à Diderot, « homme de théâtre » contesté comme lui-même ; Electre (1937) ; Ondine (1939), géniale paraphrase d’un conte romantique de l’Allemand La Motte-Fouqué. En l’absence de Jouvet, Sodome et Gomorrhe avait été pendant l’Occupation (1943) un échec immérité. Giraudoux meurt trop tôt pour assister au triomphe de La Folle de Chaillot (1945 ; pièce assez voisine, par sa feinte frivolité, d’intermezzo) qui triomphera de nouveau au TNP en 1965. Cet auteur réputé léger se fit toujours une idée fort grave, et presque religieuse, des buts que doit se proposer le dramaturge. Dans L’Impromptu de Paris (1937), bref lever de rideau qui est un peu son art poétique, il avoue qu’il eût aimé être Claudel ; aussi bien donnera-t-il cette belle définition du théâtre : Le spectacle est la seule forme d’éducation morale ou artistique d’une nation. Pour sa part, l’objectif qu’il se propose explicitement, c’est de faire saisir par le public - fût-ce celui du « boulevard » ; c’est-à-dire son public des années 30 - ce qu’il y a de plus important, ce qu’il y a d’essentiel dans l’homme et de plus immédiat dans ses problèmes. Mais ce noble but ne pourra être atteint qu’à la faveur d’une ruse de guerre. Par voie indirecte. Il va expulser son récit hors du monde, hors de toute réalité ; en direction, par exemple, de la légende. De la mythologie (grecque ou hébraïque, indifféremment) ; du conte de fées même, s’il le faut. Une seule chose importe, qui est de tourner la paresse d’âme du spectateur en le prenant au piège de la facilité, seul moyen par lequel le plus humble comme le plus lettré peut être mis en contact avec les plus hauts conflits (la guerre et la paix, dans La guerre de Troie... ; le drame du couple, dans Sodome et Gomorrhe et aussi dans Amphitryon 38). Et qui ne voit que, dans le gracieux Intermezzo, le « normalien »-poète Giraudoux traite encore un de ces hauts conflits, puisque c’est le sien même : la déroute de la raison face à la tentation de l’irrationnel? Ainsi, à la limite de ce singulier système éducatif, il élèvera la fantaisie à la même dignité que la profondeur; en nous enseignant de plus - mais très vite, au passage - que cette fantaisie est peut-être la même chose que la gravité : une profondeur à la Giraudoux, c’est-à-dire en direction de l’air.