Databac

GILBERT Nicolas Joseph Laurent. Poète français

GILBERT Nicolas Joseph Laurent. Poète français. Né le 15 décembre 1750,à Fontenay-le-Cbâteau, près d'Épinal (Vosges), mort à Paris, le 16 novembre 1780. Elevé par un jésuite, puis au Collège de l'Arc à Dôle, ce fils de paysans reçoit une éducation solide alors généralement réservée à des enfants de meilleure naissance. Plus tard, Fauteur du Poète malheureux verra dans cette anomalie moins une faveur qu'un caprice du destin, mais il demeurera toute sa vie profondément attaché à l'idéal de ses maîtres. Au sortir du collège, croyant vivre encore l'âge d'or du classicisme, il connaîtra son exil. A Nancy, qu'il gagne à la mort de son père (1768), il donne des leçons, tente d'ouvrir un cours de littérature, publie ses premiers essais : une histoire persane, les Familles de Darius et d'Eridame ou Statira et Amestris (1770), un Début poétique composé de trois héroïdes (1771), plusieurs odes dont Le Jugement dernier ( ) (1773). Son isolement, son impatience, son désarroi l'éveillent à sa vraie vocation : Le Carnaval des auteurs, Le Siècle, esquisse de la célèbre satire (1773). Mais la société d'alors se ruine à plaisir, s'amuse trop aux impertinences des mauvais esprits pour s'émouvoir des cris d'alarme du jeune Lorrain. Sa pauvreté, l'indifférence de l'Académie dont il a brigué les couronnes pour deux de ses odes, ajoutent à son amertume. A vingt-quatre ans, aigrement critiqué par La Harpe, abandonné de ceux, comme d'Alembert, dont il espérait la protection, il atteint à Paris le comble de sa misère — et de son art : en une véhémente satire en vers, il instruit le procès du Siècle des lumières; ennemi déclaré des encyclopédistes, il dénonce en style voltairien l'athéisme (« Croire en Dieu fut un tort permis à nos ancêtres »), la facilité des moeurs, l'intellectualisme et l'obscurité de la poésie en faveur. Le Dix-Huitième siècle paraît en 1775 : scandale, succès. Entre-temps, Fréron, M. de Beaumont, archevêque de Paris, s'étaient intéressés au sort du poète. Les grands, comprenant enfin qu'on ne désire que leur bien, pensionnent généreusement 1 ingénu champion d'une tradition en péril (cassette du roi, Mercure de France, caisse épiscopale, étrennes de la part de Mesdames, tantes du roi), Gilbert échappera de justesse à cette gloire dorée (la parution de Mon apologie en 1778 y avait encore contribué). Chute de cheval. Opération du trépan. Il meurt à l'Hôtel-Dieu, âgé d'à peine trente ans, portant en lui sa clé — cette clé, purement mythique peut-être, qu'il aurait avalée dans une crise de délire consécutive à son accident. Geste absurde, geste exemplaire qui, plus que son oeuvre, donne à rêver. « Le malheur est une idée nouvelle en Europe. » Le négatif du mot de Saint-Just trouverait ici son écho. Gilbert croit voir dans l'échec et la misère temporels une intention particulière du destin, les conditions d'un salut littéraire et spirituel définitif. Aussi est-il traditionnellement considéré comme l'un des premiers poètes maudits. Au naturel, cet enfant du siècle de Rousseau est un exact disciple de Boileau. Ses vers prouvent les vertus de l'académisme. L'étrange est que parfois sa voix s'altère d'émouvante façon. L'Ode imitée de plusieurs psaumes qu'il écrivit huit jours avant sa mort — ode plus connue sous le titre d'Adieux à la vie — annonce discrètement le romantisme de Chateaubriand et de Lamartine. ? « Si vivre est un devoir, quand je l'aurai bâclé, / Que mon linceul au moins me serve de mystère. / Il faut savoir mourir, Faustine et puis se taire : / Mourir comme Gilbert en avalant sa clé. » P.-J. Toulet.

Liens utiles