GIDE (André)
GIDE André
1869-1951
Poète, romancier et auteur dramatique, né à Paris. Si les problèmes d’ordre spirituel tiennent une grande place dans son œuvre, peut-être le doit-il à l’influence conjuguée, et parfois contradictoire, d’un père protestant, qui meurt alors que l’enfant est âgé de douze ans à peine, et d’une mère d’origine mi-catholique et mi-protestante, très stricte sur la morale (en matière de sexualité surtout), qui va très étroitement le tenir en tutelle; et cela, fort tard. À quoi s’ajoute l’ascendant curieux qu’exerce sur lui Miss Shakelton, une amie qui, par son âge, aurait pu - comme on dit — être sa mère; on retrouvera plus d’un de ses traits dans l’Alissa de La Porte étroite. Hôte des mardis de Mallarmé et, surtout, lecteur fervent d’Huysmans, il en garde longtemps l’empreinte dans son écriture : Les Cahiers d’André Walter (1891), Le Voyage d’Urien (1893), etc. Dès cette «première manière », apparaissent thèses et thèmes personnels. Ainsi, dans le Traité du Narcisse (1891), cette idée qui bizarrement résume - à l’inverse de l’ordre chronologique imaginé par Platon - l’histoire du couple humain : l’écroulement pour l’homme de la Beauté sur la terre, c’est quand il devient l’androgyne qui se dédouble. Car deux sexes, c’est un de trop, ici-bas ; et l’on se doute, avec un tel titre, que, dans l’esprit de Gide, ce n’est pas, des deux, son propre sexe qui est en surnombre. Il se mariera pourtant : avec sa cousine, et ce sera pour l’un et pour l’autre une déception : voir Et nunc manet in te, posthume, 1951. Une prodigieuse période créatrice commence alors pour lui, marquée par de bien savoureux ouvrages (dans le domaine romanesque, pour la plupart) Paludes, sorte de roman bouffe, qui est un de ses chefs-d’œuvre (1895); L’Immoraliste (1902); La Porte étroite (1909); Les Caves du Vatican (1914), qui est une sotie, comme il dit, mais d’un comique beaucoup plus raffiné, plus cérébral'aussi, que les soties du Moyen Âge ; Les Faux-Monnayeurs, étonnant roman « sans sujet », en 1925, qui (du fait qu’il emprunte au romancier anglais Sterne son jeu des feintes hésitations et autocritiques de l’auteur sur l’intrigue à mesure qu’elle se déroule) semblera avoir préfiguré le Nouveau Roman ; Si le grain ne meurt (1926, autobiographie audacieuse, en plus d’un point), etc. Parmi les succès - limités, puis plus larges - qui jalonnent cette heureuse période se détache, presque au début, la violente et juteuse surprise des Nourritures terrestres (1897) C’est là, sans doute, le meilleur livre de Gide (avec le Journal, ouvrage de toute une vie, commencé en 1889). Surprise, et succès ; justifiés doublement, d’ailleurs. Contre l’opiniâtre « enracinement » loué par Barrés, Gide prêche la liberté plénière: tout quitter tour à tour; et; aussi, tout oser, pourvu que ce soit sous le signe sacré de la ferveur. Il reprend à son compte l’« irremplaçable moi » de Stirner (le plus irremplaçable des êtres, dit-il). L’écriture se métamorphosait ici superbement, s’amplifiait, se déroulait en volutes bouillonnantes, souples, ou, parfois, torrentueuses. D’autre part, ses descriptions - celles, en particulier, des jeux sexuels les plus hétérodoxes - y étaient conduites avec une telle simplicité de cœur et avec un tel art qu’elles semblèrent aussitôt délicieusement convaincantes.. Ce prétendu essai, qui est en réalité un roman et une autobiographie encore (enfin, de place en place, un poème ; mais plus « fervent » que personnel), fut une révélation pour le public lettré. Toute sa vie durant, Gide donnera de nouveaux témoignages de cette rarissime et merveilleuse capacité de réunir, dans un même livre, l’art du poète, du romancier et de l’essayiste ; par exemple, dans Le Prométhée mal enchaîné (1899), récit plein d’humour dont le seul tort est de rappeler avec trop de bonheur le Laforgue des Moralités légendaires (de même que l’« Envoi » de Paludes ressemblait de très près à L’Imitation de Notre-Dame la Lune du même Laforgue). Au théâtre, par contre, malgré bien des tentatives (et mises à part quelques scènes d’Œdipe, 1931), il ne parviendra jamais à se débarrasser d’une inexplicable « raideur aux entournures ». Mais il confirme partout cette infaillible don de créer la surprise. Une surprise qui, chaque fois d’ailleurs, atteint son but : Théoricien de la « disponibilité » la plus totale, au nom de la multiple splendeur du monde, mais aussi, à partir du Voyage au Congo (1927), apôtre de l’engagement non moins total - au point que, dans son Journal, il pouvait offrir en 1935 [sa] vie pour assurer le succès de l’URSS ; avocat très persuasif de la jouissance sans frein, mais aussi, à l’occasion, du plus ascétique renoncement (Tout ce que tu résignes en toi prendra vie. Tout ce qui cherche à s’affirmer se nie, tout ce qui renonce s’affirme); chantre de la solidarité la plus universelle ou de la plus mystique communion des âmes, mais aussi de l’égocentrisme le plus enthousiaste, il fut sur le plan esthétique tout aussi fertile en variations : depuis Les Poésies d’André Walter (et même Les Nourritures, encore très imprégnées de l’esprit du symbolisme) jusqu’à sa toute dernière manière, où, dans de brefs récits, il retourne au classicisme le plus strict : L’École des femmes, suivi de Robert (1929, 1930), et Geneviève (1936). De cette dernière manière (la plus harmonieuse et la plus sereine, en apparence ; la plus pathétique aussi, sans aucun doute) nous ne pouvons pas ne pas isoler Les Nouvelles Nourritures (1935), chaleureuse mouture supplémentaire des Nourritures terrestres, où le moralisme d’un néophyte communiste doit céder parfois du terrain devant quelques bouffées nostalgiques de son immoraliste jeunesse. Les strophes rimées qu’il y insère (reprises de son livret d’opéra Perséphone) nous rappellent que Gide s’est cru avant tout poète aux temps d’André Walter. Au soir de sa vie, Gide, sous le déguisement de Thésée (1946), s’est fait gloire d’avoir « libéré » non seulement la littérature mais l’humanité tout entière dans son mode de vie : Il m’est doux de penser qu’après moi, grâce à moi, les hommes se reconnaîtront plus heureux, meilleurs et plus libres. Aussi peut-on regretter que, dans ses toutes dernières années, il ait abandonné cette fierté légitime et apporté, dans Ainsi soit-il (posthume, 1952), cette conclusion à un enseignement qu’il nous disait salubre, tonique et libérateur.: Persuadons-nous que tout est appelé à disparaître.
L’œuvre de Gide aujourd’hui, après l’habituelle éclipse qui suit les carrières trop éclatantes, reprend sa vraie place, qui n’est certes la première en aucun domaine essai, roman, poésie, théâtre. Mais l’homme, par contre, apparaît tout autant qu’hier attachant, par son inquiétude même ; aussi son Journal est-il la part la plus passionnante (et la plus impérissable) d’une triomphale production.
Écrivain français né et mort à Paris (18691951), il commence à s'imposer avec Les Nourritures terrestres (1897); analyse lucide de la nature humaine. Ce livre corrosif a eu une grande influence sur la jeunesse de son temps. Il poursuit son analyse à travers des créations romanesques telles que L'Immoraliste (1902), La Porte étroite (1909), Les Caves du Vatican (1914) ou, plus tard, dans Les Faux-Monnayeurs (1926). On retrouve dans ses conceptions l'influence de Stendhal, de Nietzsche, de Wilde, de Dostoïevski. Elles sont jugées dangereuses et subversives. D'autres ouvrages, en revanche, révèlent un critique de valeur : Prétextes (1905), Incidences (1924). On lui doit aussi une œuvre de traducteur (Goethe, Tagore, W. Blake), une correspondance (Francis Jammes, Claudel, Valéry, Rilke...), des pièces de théâtre et un Journal. En 1909, avec Jacques Copeau, il a fondé La Nouvelle Revue française (NRF). C'est consentant que j'approche la mort solitaire. J'ai goûté des biens de la terre. Il m'est doux de penser qu'après moi, grâce à moi, les hommes se reconnaîtront plus heureux, meilleurs et plus libres. Pour le bien de l'humanité future, j'ai fait mon œuvre. J'ai vécu. (Thésée.)