Gérard COURANT
Plusieurs années critique à Cinéma, auteur de livres sur les metteurs en scène-poètes Werner Schroeter et Philippe Garrel, Courant filme depuis 1980, chaque année pendant dix jours, la cérémonie de la reconstitution de la passion du Christ à Burzet dans l’Ardèche. Mais, bien qu’ayant tourné plus de vingt courts et près de dix longs métrages, il est surtout connu comme inventeur, auteur et réalisateur du film le moins cher, le plus long et au casting le plus prestigieux de l’histoire du cinéma: commencé en 1978, Cinématon accumule plus de huit cents plans fixes muets de visages filmés 3 mm 20 en Super 8. Ce «work in progress», qui peut aussi bien se poursuivre jusqu'à la mort du cinéaste comme s interrompre brusquement du jour au lendemain, constitue une étonnante galerie de portraits du monde culturel (surtout cinéma et arts plastiques) en même temps qu’une des plus paradoxales tentatives de film subjectif du cinéma expérimental. Certes, la durée identique de tous ces enregistrements, l’absence délibérée de «regard» du réalisateur relayé inversement par un insistant regard caméra du personnage filmé peuvent paraître pure provocation. Mais il faut compter avec l’effet d’accumulation, et si Courant lui-même qualifie son style de «degré zéro du cinéma», il déclare aussi faire un portrait de sa génération, celle des années quatre-vingt, qui pourra être utilisé plus tard par des historiens, des sociologues, des chercheurs, des psychologues et des psychanalystes... puisque Cinématon est à la fois un film autobiographique et un dispositif tellement rigoureux que les gens filmés ne peuvent guère tricher avec eux-mêmes. Art minimaliste paradoxalement situé du côté du star-system, Cinématon est un anti-film qui échappe à toute volonté de classification. Courant ne remarque-t-il pas d’ailleurs que «lorsqu’on analyse Cinématon par rapport à tel ou tel concept du cinéma, on s’aperçoit qu’il prend toujours le biais inverse»!