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Géométries euclidiennes et non euclidiennes


Les Anciens essayèrent, en vain, de déduire le cinquième postulat de la géométrie d'Euclide (par un point extérieur à une droite donnée, on peut mener une seule parallèle à cette droite) des autres postulats. Au début du XXe siècle, Lobatchevsky et Bolyai fondèrent une nouvelle géométrie en partant du postulat que par un point extérieur à une droite donnée on peut mener plusieurs parallèles à cette droite. En 1854, Riemann créa une autre géométrie postulant qu'il n'existe pas de droites parallèles. Si ces géométries sont sans rapport avec notre représentation familière de l'espace, elles n'en sont pas moins légitimes à partir du moment où elles n'impliquent aucune contradiction logique. Ajoutons qu'avec les progrès de l'analyse, apparaissent, dans la seconde moitié du XIXe siècle, des courbes sans tangentes, des courbes remplissant un carré...


Dès lors, pourchassant l'intuition, les mathématiciens construisent l'édifice mathématique en partant d'axiomes aussi simples et aussi peu nombreux que possible et en enchaînant les propositions en vertu des seules règles de la logique. Parallèlement à cet effort d'axiomatisation des mathématiques, se constitue avec Boole, Peano, Frege une logique enfin capable de formaliser effectivement le discours mathématique. Dès lors, la tâche du mathématicien est de déduire des théorèmes à partir d'axiomes ni vrais ni faux mais simplement posés. Quant à la validité des démonstrations, elle ne repose plus que sur la structure des énoncés qu'elles contiennent et non sur la nature particulière de ce dont elles parlent. Peu importe, au fond, qu'il s'agisse de nombres, de droites ou de triangles. Comme le constate Bertrand Russell, « les mathématiques pures sont cette discipline où on ne sait pas de quoi on parle ni si ce qu'on dit est vrai » (The International Monthly, juillet 1901).

LOBATCHEVSKY Nikolaï Ivanovitch [Nikolaj Ivanovic Lobacevskij]. Géomètre russe. Né à Nijni-Novgorod le 1er décembre 1792, mort à Kazan le 12 (24) février 1856. Fondateur de la géométrie non euclidienne (hyperbolique), qu’il appela « imaginaire », il est 1 ’un des plus grands géomètres de tous les temps. L’antériorité de Lobatchevsky vis-à-vis du hongrois Janos Bolyai, qui parvint d’une manière indépendante à la nouvelle géométrie dans son Testamen, publié en 1832, est désormais prouvée par le fait que le premier exposé oral de Lobatchevsky remonte à 1826 et sa première publication sur ce sujet à 1829 (Sur les principes de la géométrie). Pourtant il y avait quelqu’un qui, avant Lobatchevsky, s’était convaincu de la possibilité logique et peut-être physique d’une géométrie dans laquelle ne serait pas valable le postulatum d’Euclide sur les parallèles (« dans un plan, par un point situé hors d’une droite donnée, passe une parallèle et une seule à la droite donnée »), c’est F. A. Schweikart qui, dans une note à C. F. Gauss, l’avait nommée « géométrie astrale ». Gauss lui-même y croyait; cependant il dissuada tant Schweikart que Bolyai de la publication et lui-même ne voulut jamais faire paraître ses notes de géométrie « antieuclidienne », craignant les « cris des Béotiens » c’est-à-dire la réaction de la philosophie prépondérante et du soi-disant sens commun. Gauss fut l’un des rares, pour ne pas dire le seul, qui comprit et apprécia l’œuvre de Lobatchevsky lorsqu’il en prit connaissance; on peut bien dire, cependant, que les ouvrages de Lobatchevsky : Géométrie (1823), Les Nouveaux Principes de la géométrie (1835), Géométrie imaginaire (1835), Application de la géométrie imaginaire à certaines intégrales (1836), Recherches géométriques sur la théorie des parallèles (1840), Pangéométrie (1855), etc., ne turent compris qu’un peu plus de dix ans après sa mort, surtout grâce à l'Italien E. Beltrami. Tandis que, pendant plus de deux mille ans, les géomètres furent convaincus de la validité inconditionnée du postulatum d’Euclide, qu’ils s’efforçaient de déduire des précédents, tandis que la philosophie du XVIIIe siècle affirmait avec Kant que les postulats euclidiens étaient des formes nécessaires et immuables de l’intuition, Lobatchevsky, inversant hardiment les termes du problème, se convainquit que le postulat sur les parallèles, contrairement aux autres, n’était pas la traduction d’une expérience physique sur les corps solides, mais une « hypothèse arbitraire », à rejeter précisément parce qu’arbitraire. La grande decouverte de Lobatchevsky qui mit impétueusement en branle la géométrie, presque immobile depuis deux millénaires, ne fut pas, pour cette raison, seulement due à une géniale intuition mathématique mais à une élaboration tant philosophique que physico-astronomique, en opposition avec l’apriorisme kantien et sur les bases des conceptions matérialistes et « sensualistes » que Lobatchevsky tira de la philosophie française de la fin du XVIIIe siècle, comme de la tradition scientifique russe (Lomonossov). Les Œuvres complètes de Lobatchevsky furent éditées à Moscou en 1946-1951, en cinq volumes.