GÉNOCIDE DES TSIGANES
GÉNOCIDE DES TSIGANES
La persécution nazie à l’encontre des Tsiganes d’Europe présente un caractère complexe. Ils se trouvèrent en effet placés, bien malgré eux, au centre du débat sur la redéfinition de la citoyenneté biologique allemande. Ce débat opposait alors les tenants d’une origine raciale pure, qui faisait des Tsiganes des miraculés de la race indo-européenne primitive, et les partisans d’une origine douteuse, provoquée par l’intense métissage des bas-fonds. La police criminelle combattait ce qu’elle appelait le « fléau tsigane » (Zigeneurplage) en fichant les Tsiganes avec l’aide de l’Office central pour la lutte contre le péril tsigane de Munich. Or le second volet des lois de Nuremberg de 1935 prévoyait la mise à l’index de cette population en s’appuyant sur la « loi sur les criminels irrécupérables » : les Tsiganes devenaient des « asociaux » (Asozialen) par leur mode de vie (qu’ils fussent sédentaires ou itinérants) et une population hybride, mélangée de tous les sangs inférieurs, selon la « biologie raciale » (Rassenbiologie).
Le docteur Robert Ritter et son assistante Eva Justin, chargés des expertises, préconisèrent l’« extinction » par la stérilisation de masse. Le nombre d’arrestations de Zigeuner avait été croissant entre 1933 et 1939. Tandis que les experts débattaient dans le sérail des instituts de recherche, les administrations locales étaient passées à l’acte. Arguant de la plainte des administrés, les maires avaient ouvert des camps municipaux (Zigeunerlager) dans toutes les grandes villes d’Allemagne. Ils pressaient les services de Heinrich Himmler (1900-1945), chef de la Gestapo et de la Police, de les débarrasser des internés.
Rafles méthodiques dans l’« Allemagne nouvelle » et le Grand Reich.
Le couplage effectué entre l’indexation criminelle traditionnelle et le marquage biologique des Tsiganes comme « métis » (Mischlinge) offrait la possibilité d’assimiler leur traitement à celui des Juifs. Ce fut d’ailleurs recommandé par H. Himmler à partir du décret en date du 16 décembre 1942, dit Auschwitz Erlass, dans lequel il ordonne la déportation des Tsiganes du Grand Reich à Auschwitz. Il étend par la suite ces ordres, mais leur application rencontre des difficultés.
Dans l’« Allemagne nouvelle », agrandie de ses annexions, en particulier l’Autriche, la part de la Slovénie, le Wartheland, la Silésie polonaise, le Schleswig, la région de Biaystok, le Luxembourg, les rafles sont méthodiques. Il en va de même dans le protectorat de Bohême-Moravie, en Norvège ou aux Pays-Bas.
Du fait du double statut de la Pologne (à la fois zone du Grand Reich et « Territoire occupé de l’Est »), les Tsiganes sont aussi internés dans les ghettos. Ceux parqués dans le ghetto de Varsovie sont « traités » avec les Juifs à Treblinka.
En revanche, dans l’Ostland, les pays baltes, la Biélorussie et l’Ukraine, les massacres sont perpétrés par l’armée. Ils s’effectuent en rase campagne et l’enregistrement de ces actes criminels ne constitue pas, à l’évidence, la priorité des officiers de la Wehrmacht. En Serbie, l’armée a déclaré la population tsigane collectivement responsable de la mort de soldats allemands.
Dans les États satellites du Reich, les massacres de masse varient selon la politique locale. En Croatie, les oustachis se livrent à un véritable génocide des Tsiganes. En Roumanie, les fascistes locaux les pourchassent. L’arrivée des Allemands en 1943 est fatale aux Roms slovènes réfugiés dans le nord de l’Italie. Dans les régions stratégiques comme la Belgique et le nord de la France, l’initiative appartient aussi à l’armée.
En France, l’internement des « nomades » est décidé par un ordre allemand du 14 octobre 1940. Les 6 000 internés (répartis dans une douzaine de camps) sont, en très grande majorité, de nationalité française. Ce n’est qu’en 1946 que les autorités songent à libérer ces familles qui ont tout perdu.
Le « camp de famille » de Birkenau.
Le destin tragique du « camp de famille » (Zigeunerfamilienlager) situé à l’intérieur du camp de Birkenau montre à la fois la volonté exterminatrice et l’indécision quant à la chronologie des opérations de mort. Dans ce camp créé fin 1942 - un groupe de 32 baraques séparées par des barbelés - sont détenues 20 000 personnes, les familles n’étant pas séparées. Des enfants frappés du sigle « matériel de guerre » servent aux expériences du docteur Josef Mengele. Himmler donne l’ordre de gazer les survivants du « camp de famille » dans la nuit du 1er au 2 août 1944.
L’évaluation d’ensemble de l’extermination demeure difficile, faute de recherches systématiques. On l’estime à la moitié du million de Tsiganes qui vivaient en Europe en 1939.
Le génocide des Tsiganes présente des singularités juridiques, chronologiques et géographiques, et il ne fut pas un simple complément de la politique d’extermination des Juifs d’Europe. L’expertise menée par les adeptes de la « science allemande de la séparation », à la fois insistante dans ses pratiques et hésitante dans ses conclusions, entraîna un phénomène de « radicalisation sélective », alors que les polices et les municipalités opéraient pour leur compte un internement massif. L’analyse du traitement infligé aux Tsiganes n’inscrit pas seulement une meilleure connaissance des victimes au triste catalogue des crimes du nazisme ; elle permet d’en apprendre beaucoup sur le rapport de la société allemande à elle-même, car l’expertise des Zigeuner fut placée au cœur de la requalification biologique et sociale du peuple allemand. Ces derniers ne furent pas considérés comme des étrangers totalement extérieurs à la communauté du peuple, mais comme une sorte de « cinquième colonne » du métissage prolifique. Cela explique que dans la pratique, l’extermination des familles ait été menée de façon sélective visant, au premier chef, l’extinction physique définitive des Tsiganes du Grand Reich.
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