GÉNOCIDE DES ARMÉNIENS
GÉNOCIDE DES ARMÉNIENS
Premier génocide de l’époque contemporaine, précurseur de la destruction des Juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale ou conséquence malheureuse d’un processus d’évacuation des populations arméniennes mal maîtrisé par les autorités turques ? Près d’un siècle après, tandis que les Arméniens invoquent le « devoir de mémoire » face à une Turquie arc-boutée dans le déni de la responsabilité des autorités ottomanes, la tragédie des Arméniens de l’Empire ottoman continue à interpeller la conscience universelle.
C’est le 24 avril 1915 qu’une vague d’arrestations s’abat sur les élites arméniennes d’Istanbul, la capitale de l’Empire ottoman. Les autorités, par la voix du Ittihad (Unité et progrès), le parti nationaliste au pouvoir qui affiche des velléités modernisatrices, invoquent l’existence d’un « complot arménien » destiné à affaiblir l’empire en guerre depuis près de six mois avec les puissances de l’Entente (Russie, France et Royaume-Uni). En effet, dans un empire en proie à un déclin continu depuis plusieurs décennies, qui accumule défaites et pertes territoriales, en particulier au profit de la Russie, les Arméniens, objets de la sollicitude apparente des puissances chrétiennes, apparaissent à beaucoup sous les traits d’une cinquième colonne. Sur le front oriental, les Ottomans subissent une cuisante défaite face à l’armée russe. Alors que les troupes des deux empires rivaux se combattent violemment dans une guerre sans pitié, la tension est à son comble dans les régions à forte population arménienne.
Purifier ethniquement l’Anatolie.
L’intention d’un « nettoyage ethnique » de l’Anatolie par la déportation des populations arméniennes semble s’être concrétisée début janvier 1915 parmi les dirigeants Jeunes-Turcs au pouvoir dans la capitale. À la fin janvier, alors que leur communauté est l’objet d’accusations de trahison au profit des Alliés et plus particulièrement de la Russie, les soldats arméniens de l’armée ottomane sont désarmés et affectés à des bataillons de travail chargés de travaux de terrassement et de voirie. Des dizaines de milliers d’hommes périssent, victimes des mauvais traitements et des terribles conditions climatiques auxquelles ils sont confrontés dans les zones désertiques et montagneuses. Dans les mois qui suivent, des fusillades achèvent de décimer leurs rangs. Début avril, la communauté arménienne de Zeytun (Cilicie) est déportée à la suite des graves affrontements qui l’ont opposée aux gendarmes ottomans. Quelques jours plus tard, le 20 avril, la population arménienne de Van, galvanisée par l’avance russe, se soulève. La ville résiste jusqu’à l’arrivée des troupes russes, le 16 mai. La présence de nombreux volontaires arméniens originaires de Turquie parmi les troupes russes semble avoir levé les dernières hésitations de ceux qui, au sein du pouvoir ottoman, cherchaient un prétexte pour en finir avec la communauté arménienne. Les Jeunes-Turcs au pouvoir considèrent en effet les Arméniens comme un frein majeur à l’indispensable unité des Turcs. Déjà, au cours des années 1894-1896, sous le règne du sultan Abdulhamid II (1876-1909), des dizaines de milliers d’Arméniens avaient été massacrés. Il s’agit dès lors de « purifier » ethniquement l’Anatolie.
Razzias, incendies, tortures et massacres.
La campagne se déroule dans une atmosphère d’apocalypse, sur fond de massacres, de destructions et de règlements de comptes intercommunautaires. À la mi-mai, le gouvernement ottoman ordonne le « déplacement » des populations arméniennes résidant près de la frontière russe et des zones de combats. Les Arméniens des provinces orientales sont désormais projetés dans un véritable enfer. Jusqu’en juillet, razzias, incendies, viols, meurtres et massacres sont systématiquement perpétrés par les nomades kurdes et les mercenaires tchétchènes, auxquels les gendarmes et les troupes régulières prêtent la main. Des milliers d’enfants sont enlevés et confiés à des familles turques ou kurdes. Les exactions se poursuivront tout au long de l’année ; elles toucheront jusqu’aux communautés les plus éloignées du théâtre de la guerre. 600 notables y sont arrêtés le 24 avril et déportés en Anatolie avant d’y être assassinés. Au cours de l’année 1916, l’hécatombe continue parmi les déportés, dont beaucoup survivent difficilement dans des conditions d’extrême précarité dans des zones désertiques du Moyen-Orient où ils ont été envoyés. À l’issue de ce cauchemar, la communauté arménienne, qui comptait entre 1 200 000 (chiffre officiel des autorités ottomanes) et 2 100 000 personnes (données du Patriarcat de l’Église arménienne), et qui constituait environ le tiers de la population totale des provinces orientales, ne compte plus que quelques dizaines de milliers d’individus. 200 000 Arméniens ont trouvé refuge en Transcaucasie. L’importante communauté d’Istanbul, forte de 150 000 personnes, a été épargnée, protégée par la présence des missions étrangères dans la capitale de l’empire. Les alliés allemands, malgré l’action d’hommes tels que le pasteur Johannes Lepsius (1858-1926) et les protestations de nombreux fonctionnaires et diplomates témoins des massacres, ont privilégié l’alliance ottomane.
La défaite de l’Empire ottoman provoque l’effondrement du gouvernement Jeune-Turc. Le procès intenté aux responsables du régime déchu ne débouche pas sur le châtiment espéré par les survivants. Les militants du parti Dachnak (parti nationaliste créé en 1890 dans la tradition de la social-démocratie, qui a mené l’Arménie russe à l’indépendance en 1918) décident de se faire justice eux-mêmes ; les dirigeants du comité Unité et progrès tombent sous les balles de ceux qui veulent faire payer la « dette de sang » à ceux qu’ils considèrent comme coupables du crime de génocide : Talat Pacha (ministre de l’Intérieur) et Saïd Halim Pacha (grand vizir) sont abattus en 1921, Djemal Pacha en 1922. Enver Pacha, qui s’est retourné contre ses alliés bolcheviks, est abattu en Asie centrale par des bolcheviks arméniens.
La récusation turque.
Outil efficace de propagande aux mains des Alliés pendant la Première Guerre mondiale, le génocide passera rapidement au second rang des préoccupations des opinions publiques occidentales. En 1923, le traité de Lausanne fixe les frontières de la nouvelle Turquie dirigée par Kemal Atatürk. En Union soviétique, où la République socialiste soviétique d’Arménie peut donner l’illusion de l’existence d’un foyer national arménien, les autorités imposent un silence pesant. Le régime kémaliste se refuse à toute démarche critique, interdisant l’accès aux archives. Alors que le génocide des Juifs d’Europe et la reconnaissance de la responsabilité allemande entraînent les Arméniens à revendiquer la reconnaissance du génocide de 1915, en Turquie, l’idée même de génocide est récusée : l’Empire ottoman, confronté à la guerre et à une sédition massive, aurait dû se résoudre à déplacer les Arméniens. Malgré les difficultés climatiques et les pénuries responsables d’une importante mortalité, ils auraient été « traités humainement ».
Au cours des années 1970 et 1980, des groupes radicaux tentent d’arracher la reconnaissance du génocide par des attentats qui prennent pour cible des fonctionnaires et des objectifs turcs. Mais la démarche est essentiellement politique. En 1984, l’organisation non-gouvernementale nommée Tribunal permanent des peuples, réunie à Paris, considère que « le gouvernement des Jeunes-Turcs est coupable de génocide ».
Liens utiles
- devoir sur le génocide au Rwanda
- Grand oral hggsp: Sujet : Comment la justice contribue à la réconciliation civile à la suite du génocide du Rwanda (7 avril au 17 juillet 1994) ?
- Génocide rwandais et crimes contre l’humanité en ex-Yougoslavie
- Massacre des Indiens d’Amérique, violences coloniales et esclavage : peut-on parler dans ces cas de crimes contre l’humanité ou de génocide ?
- Génocide arménien