FROISSART Jean. Historien, poète et romancier français
FROISSART Jean. Historien, poète et romancier français. Né en 1337 ou, plus probablement en 1333, à Valenciennes (Nord), mort après 1400, peut-être entre 1410 et 1414 à Chimay (Hainaut, Belgique). Nous ne savons à peu près rien de son enfance sinon ce qu'il en a dit lui-même dans ses poèmes. Dès l'âge de douze ans, si ses souvenirs sont exacts, il attendait d'avoir l'âge d'aimer : « Et lors devisoie a par mi : / « Quand revendra le temps por mi / Que par amours porai amer ? », car déjà, il savait : « Que toutes joies et toute honnours / Viennent et d'armes et d'amours ». Il se fit clerc cependant et reçut donc une bonne instruction mais il semble qu'il ne fut ordonné prêtre que tardivement. Son métier, très tôt il l'a choisi, ce sera de célébrer les hauts faits des princes, de chanter l'amour courtois; dans ce métier il fit merveille et acquit une solide réputation. Mais la profession d'homme de lettres ne pouvait s'exercer alors que dans les cours et un auteur comme Froissart ne pouvait vivre que des subsides que lui versaient des protecteurs princiers. D'où ses innombrables voyages qui l'amenèrent à sillonner l'Europe occidentale. Il semble d'ailleurs qu'il ait fait vite de nécessité vertu; bientôt il les entreprit pour se documenter, pour interroger les gens, voir les lieux afin de mener à bien ses très volumineuses Chroniques . D'abord attaché à Robert de Namur, marié à la soeur de la reine d'Angleterre, il forme le dessein d'écrire une histoire des guerres de son temps à l'exemple des Vrayes chroniques de Jean le Bel dont il recopiera plus d'un passage. En 1361, nous le trouvons à la cour d'Angleterre, auprès de Philippe ou Philippine de Hainaut, femme d'Edouard III. Il lui portait un récit des événements survenus depuis 1356, qui fut reçu avec faveur, et probablement quelques-unes de ses poésies. Nommé secrétaire de la reine et « clerc de sa chambre », encouragé dans sa vocation d'historiographe, Froissart fréquenta des seigneurs anglais et les chevaliers français faits prisonniers à la bataille de Poitiers par laquelle s'ouvre cette première ébauche des Chroni-ques. Il est même possible qu'il ait vu le roi Jean le Bon qui, après avoir été emprisonné pendant plusieurs années au manoir de Savoie a Londres, y revint pour y mourir en 1364. Froissart ne reste pas dans la capitale, il voyage, vient peut-être en France en 1364, se rend en 1365 en Écosse auprès des comtes de Douglas dans son livre IIIe, ch. CXIX-CXXV, il fera état des renseignements alors recueillis. En 1366, il est à Bordeaux et en Guyenne où il accompagne le Prince Noir, fils d'Édouard III et de la reine Phili ppine; en 1367-1368, il suit en Italie le duc de Clarence, frère du Prince Noir, venu épouser, à Milan, Yolande, fille de Galéas II, duc de Milan. De Milan, Froissart se rend en Savoie puis à Ferrare, Bologne et Rome où il fait la connaissance de Pétrarque. C'est à Rome qu'il apprend la mort de sa protectrice, la reine d'Ângleterre (1369). Rentré en Hainaut, Froissart trouve un autre protecteur en la personne de Wenceslas de Luxembourg, duc de Brabant et fils de Jean, roi de Bohême. C'est pour lui qu'il écrit un long roman en vers, Méliador. Le duc le récompense en lui donnant la cure de Lestinne-au-Mont, près de Mons. Froissart occupa peu de temps ce poste de pasteur de campagne qui convenait aussi peu que possible à son tempérament. Puis le voilà passé sous un autre mécène, Guy II de Châtillon, dernier comte de Blois, lequel avait combattu à la bataille de Crécy et, par sa femme, Marie de Namur, était apparenté au premier protecteur de l'histo-riographe. De lui, Froissart reçut la charge de chapelain attaché à sa personne et, en 1384, le canonicat de Chimay. De 1369 à 1384, il semble que Froissart ait assez peu voyagé. Il est donc probable qu'il travailla à ses Chroniques. Ce serait à cette époque qu'il aurait compris la nécessité de les faire commencer plus haut et de partir du changement dynastique qui fit passer la couronne de France de la maison des Capétiens directs dans celle des Valois, et préférer le Français Philippe VI à l'Anglais Édouard III, c'est-à-dire aux origines mêmes de la guerre de Cent Ans. Une telle chronique existait déjà, complète et véridique, c'était celle de Jean le Bel. Froissart ne se fit pas scrupule de l'utiliser au point d'en venir à un véritable démarquage, rour les années subséquentes, il avait auprès des princes anglais recueilli bien des éléments; jusqu'alors son oeuvre, qui s'adressait à des Anglais, subissait presque exclusivement l'in fluence anglaise. Désormais, par Wenceslas de Luxembourg et surtout par Guy de Blois, il connaissait d'autres points de vue. C'étaient ses protecteurs, il écrivait pour eux, il va de soi qu'il fit tout pour leur agréer. C'est ce qu'illustrent fort bien les rédactions successives du livre I; commencé en 1369, il fut remanié dans un sens bien plus favorable à la France, sous l'influence de Guy de Blois en 1376, avant d'être repris en 1400 en une nouvelle version. Notons ici que c'est justement grâce à la multiplicité des maîtres qu'il servit que nous pouvons, dans une certaine mesure, faire confiance à Froissart. N'en eût-il eu qu'un, nous risquerions de n'avoir que le point de vue d'un seul sur les événements qu'il rapporte. Dès 1384, Froissart se remet en route à la suite de Guy de Blois qui se rend à la cour de France et y séjourne en 1384, 1385 et 1386. Il rentre en Flandre et nous savons qu'en 1386 il s'est rendu à l'Ecluse et peut-être à Riom en Auvergne. Puis, en 1388, attiré par la renommée de Gaston Phébus, comte de Foix, il traverse la France pour gagner le Béarn. A Pamiers, il rencontre un obligeant chevalier de Gaston, Espan du Leu, qui lui sert de guide et lui raconte d'étonnantes prouesses. Après un séjour de trois mois à Orthez, il repart en février 1389 et pousse jusqu'en Avignon; là il se documente sur les événements et les hommes du Midi qu'il ne connaissait encore que par ouï-dire. Au retour, il traverse l'Auvergne et assiste aux noces de Jean, duc de Berry et frère de Charles V, avec Jeanne de Boulogne et d'Auvergne. Il séjourne à Paris quelque temps (été 1389-1390), et il y compose le IIIe livre qui contient les événements de Béarn et une partie du IVe livre de ses Chroniques. Après avoir traversé la France du Nord, il se rend en Hollande et en Zélande. En 1392, il est de nouveau à Paris, en 1393 à Abbeville. Il repasse la Manche en 1394-1395 et va à la cour d'Angleterre où règne alors Richard II à qui il offre un exemplaire de ses oeuvres poétiques. Ceux qu'il a connus autrefois sont morts; il semble cependant que Froissart, qui jouissait d'un grand prestige, retrouva aisément des protecteurs. C'est à ce moment qu'on perd sa trace, la nouvelle version du premier livre et les derniers chapitres du livre IV, qui va jusqu'à l'an 1400, sont datés de 1400. Son nom n'est plus mentionné après 1404. On sait seulement qu'il mourut après cette date dans son canonicat de Chimay. Comme, au témoignage de ses contemporains, il ne serait mort qu'à plus de quatre-vingts ans, il semble raisonnable de reporter la date de son décès jusqu'à 1414. Froissart a donc connu à peu près tous les hommes dont il parle, au moins dans la seconde partie de son récit. Il a voulu voir les êtres et les choses avant d'en parler et pour cela n'a ménagé ni son temps ni ses fatigues. Ses Chroniques sont fondées sur des souvenirs et des témoignages, et comme il est clair qu'il manque d'esprit critique, il devrait donc être un parfait miroir du réel. Est-ce à dire qu'il est objectif ? Certes non, car, d'une part, il écrit pour faire sa cour et entend plaire à ceux qui paieront son oeuvre. De plus, et ceci est peut-être plus grave, Froissart est un véritable homme de lettres, un poète et un romancier. Il ne manque pas d'imagination et dramatise à plaisir. Nous le prenons sur le fait lorsqu'il nous raconte par exemple la déroute de Philippe VI et son arrivée devant la porte du château de Labroye. Sa peinture est émouvante, il nous montre le roi « tout desconforté, et y avait bien raison », mais nous avons le récit du même fait par le froid, mais exact, Jean le Bel, et l'on sent tout de suite, à lire les deux versions, que Froissart en a rajouté. Surtout, épris dès l'enfance de l'idéal chevaleresque, Froissart déforme systématiquement et probablement inconsciemment dans ce sens son récit, et néglige bien des aspects de l'histoire : le sens véritable de la guerre, l'affreuse misère du peuple, les réactions des bourgeois. Son histoire est déjà presque anachronique, comme l'était la chevalerie française à Crécy, comme elle le sera plus encore à Azincourt. Chez lui, la noblesse ne se mêle guère de politique, mais de festins, de chevauchées, d'amour courtois. On ne peut donc demander à Froissart de nous donner une histoire complète de son temps, ce n'est pas d'ailleurs son dessein et il prend soin de nous en avertir. Il écrit pour que « les grans merveilles et li biau fait d'armes qui sont avenu par les grans guerres de France et d'Engleterre... soient notablement registre ». Ce qui, dans les événements historiques, l'intéresse surtout, c'est donc ce qu'il a mis dans le reste de son oeuvre. Car malgré leurs dimensions gigantesques, Froissart n'a pas écrit que les Chroniques. Il a laissé, outre le long roman en vers Méliador, plus de vingt-cinq mille vers Poésies . Poète, Froissart a de l'élégance, de la grâce, de la spontanéité, du naturel. Son oeuvre abonde en rêveries pleines de charme, en inventions amusantes, et si les subtilités laborieuses et compassées à la mode du temps n'y sont pas absentes, on y rencontre de très agréables et très adroits poèmes. Il n'est pas douteux qu'ils firent autant pour sa renommée que ses Chroniques. ? « J'ayme les historiens ou fort simples ou excellent. Les simples qui n 'ont point de quoy y mesler quelque chose du leur, et qui n'y apportent que le soin et la diligence de ramasser tout ce qui vient à leur notice, et d'enregistrer à la bonne foy toutes choses sans chois et sans triange, nous laissant le jugement tout entier pour la cognoissance de la vérité. Tel entre autres, pour exemple, le bon Froissart, qui a marché en son entreprise d 'une si franche naïfveté, qu'ayant faict une faute, il ne creit aucunement de le reconnoistre et corriger en l'endroit où il en a esté adverty, et qui nous représente la diversité mesme des bruits qui couroyent, et les différens rapports qu'on luy faisoit : c'est la manière de l'histoire nue et informe; chacun peut en faire son profit autant qu'il a d'entendement. » Montaigne. ? « Si l'exactitude de Froissart peut être mise en doute, ce que personne ne conteste c'est le charme du narrateur, le talent de l'écrivain, pour ne pas dire du peintre. » S. Luce. ? « Une chronique rédigée au jour le jour, sur les grandes routes, au hasard des rencontres... Son oeuvre est une chose journalière; une série de croquis pris sur le vif, d'après nature ou sur ouï-dire. » Mary Darm-steter. ? « Le chroniqueur par excellence du monde chevaleresque du XIVe siècle. » J. Calmette.
Liens utiles
- CASSOU, Jean (1897-1986)Poète, romancier et critique d'art né à Bilbao, il est célèbre pour sa connaissance de la littérature et de l'art espagnols, ainsi que pour ses ouvrages sur l'art français contemporain.
- « Je tiens dit Duhamel, que le romancier est l'historien du présent » Cette formule appliquée à Pierre et Jean vous paraît elle exacte ?
- Jean Cassou1897-1986Né à Bilbao, Jean Cassou, poète, romancier et critique d'art est célèbre pour saconnaissance de la littérature et de l'art espagnols, ainsi que pour ses ouvrages sur l'artfrançais contemporain.
- Duhamel : « Je tiens que le romancier est l'historien du présent, alors que l'historien est le romancier du passé », Nuit de la Saint-Jean, préface, Mercure de France
- JOUVE, Pierre Jean (1887-1976)Poète et romancier pour qui " la vie demeure, quoi qu'on fasse, absolument cruelle, absolument énigmatique ", il construit une ?