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FREUD: L’homme est un loup pour l’homme.

« L’homme n’est point cet être débonnaire, au cœur assoiffé d’amour, dont on dit qu’il se défend quand on l’attaque, mais un être, au contraire, qui doit porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d’agressivité. Pour lui, par conséquent, le prochain n’est pas seulement un auxiliaire et un objet sexuel possibles mais aussi un objet de tentation. L’homme est en effet tenté de satisfaire son besoin d’agression aux dépens de son prochain, d’exploiter son travail sans dédommagements, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer. Homo homini lupus (1) : qui aurait le courage, en face de tous les enseignements de la vie et de l’histoire, de s’inscrire en faux contre cet adage ? (...) Par suite de cette hostilité primaire qui dresse les hommes les uns contre les autres, la société civilisée est constamment menacée de ruine. L’intérêt du travail solidaire ne suffirait pas à la maintenir : les passions instinctives sont plus fortes que les intérêts rationnels. La civilisation doit tout mettre en œuvre pour limiter l’agressivité humaine et pour en réduire les manifestations à l’aide de réactions psychiques d’ordre éthique. De là cette mobilisation des méthodes incitant les hommes à des identifications et à des relations d’amour inhibées quant au but ; de là cette restriction de la vie sexuelle ; de là aussi cet idéal imposé d’aimer son prochain comme soi-même ; idéal dont la justification véritable est précisément que rien n’est plus contraire à la nature humaine primitive. »
FREUD

(1) L’homme est un loup pour l’homme.

QUESTIONNEMENT INDICATIF

• Quelle est l’importance des mots « instinctives », « primaires » dans la détermination de la thèse de Freud ? • Les faits rapportés par Freud dans le premier paragraphe prouvent-ils en toute rigueur sa thèse ? Comment d’autres penseurs en rendent-ils compte ? • En quoi peut-on soutenir que « l’intérêt du travail solidaire » participe au maintien de la société civilisée ? En quoi Freud peut-il soutenir que c’est un « intérêt rationnel » ? • Comment comprenez-vous « réactions psychiques d’ordre éthique »? • Que signifie ici « inhibé », « identification » ; en quoi cela peut-il « limiter l’agressivité humaine », « en réduire les manifestations » ? • De quoi Freud veut-il rendre compte dans ce texte ? Quelles sont les implications « morales » et philosophiques de sa thèse ? Que pensez-vous de sa thèse et de son argumentation ?

INDICATIONS DE LECTURE

• Malaise dans la civilisation de Freud. • L’agression, une histoire naturelle du mal de Konrad Lorenz (Flammarion). • Ludwig Feuerbach d’Engels (Editions sociales), notamment le chapitre 3. . • Eros et civilisation de Herbert Marcuse (Editions de Minuit).

Selon Freud, la violence serait l’expression d’une agressivité spécifiquement humaine, instinctive, irrépressible et ignorante de ses mobiles secrets. Elle manifesterait une pulsion de mort aussi puissante que peut l’être l’instinct de vie et qui permettrait d’expliquer le suicide, la guerre, etc. 
- Il y a en nous une pulsion de mort fondamentale (Thanatos), originairement tournée contre soi (tendance au déplaisir et à l’autodestruction illustrée par la tendance à répéter des expériences pénibles sans perspective de satisfaction), et secondairement dirigées vers l’extérieur en se manifestant sous la forme de la pulsion d’agression ou de destruction, et opposée aux pulsions de vie (Eros) qui sont au service de l’individu ou de l’espèce . Les pulsions de vie recouvrent non seulement les pulsions sexuelles et les pulsions d’autoconservation (ensemble des besoins liés aux fonctions corporelles nécessaires à la conservation de la vie de l’individu; la faim en constitue le prototype) répètent l’équilibre biologique, tandis que la pulsion de mort tendrait à rétablir l’état initial inorganique, le degré zéro de tension (principe de Nirvana).
- Freud dénonce le mythe de l'homme naturellement bon. La violence est une donnée naturelle, une conduite qui puise sa source dans les instincts de l'homme. Elle n'est donc pas un phénomène social provisoire, appelé à disparaître avec l'émergence de sociétés ou de systèmes politiques plus justes. C'est une donnée indépassable, sans solution définitive, de la nature humaine. On ne doit pas dire que l'homme est naturellement bon et que c'est la civilisation qui l'a perverti, mais, au contraire, que l'homme est naturellement agressif et que la civilisation est un remède provisoire et précaire.
- En effet, l’homme, pour devenir humain, a besoin d’être éduqué. L’éducation commence par un véritable dressage, une répression des pulsions agressives, qui doivent être limitées et réorientées sur d’autres buts en un processus nommé sublimation. Il faut apprendre à l’homme à respecter autrui, car ce n’est nullement spontané chez lui. Comme l’éducation morale ne suffit pas à rendre tous les individus respectueux de leurs semblables, un contrôle social, juridique et policier demeure indispensable pour les y contraindre. L’éducation et la civilisation sont donc nécessairement répressives selon Freud.
- Freud montre que l’autorité est une chose bonne et nécessaire pour transformer l’homme en être humain digne de ce nom, pour le faire échapper à la bestialité, pour que règnent la paix et le respect d’autrui. Si la civilisation est nécessairement répressive, il s’ensuit que l’homme ne peut jamais être vraiment heureux en société. Celle-ci exige de gros efforts sur soi et le sacrifice de nombreuses satisfactions pulsionnelles.
- Certains psychanalystes ou psychiatres ne reconnaissent pas l’instinct de mort. Certains pensent que la pulsion suicidaire, par exemple, est une déviation de l’instinct de vie, qui se produirait, avec le temps, sous l’effet des frustrations imposées par la réalité. Beaucoup de chercheurs actuellement pensent que l’agressivité n’est pas la violence, mais une tendance à la violence, tendance qui s’actualise dans des circonstances particulières, sociales, familiales, historiques. La psychologie sociale, nous allons le voir, postule que l’agression constitue une réaction comportementale qui ne peut s’apprécier que par rapport au contexte dans lequel elle a lieu et en référence à la norme sociale qui régit la situation.







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