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FRANCE Anatole François Anatole Thibault dit

FRANCE Anatole François Anatole Thibault dit 1844-1924
On connaît, ou plutôt on ignore Anatole France pour son œuvre en prose. C’est pourtant avec des poèmes que celui qui fut la bête noire des surréalistes fit ses débuts littéraires (Poèmes dorés en 1873); il contribua aussi à faire écarter du Parnasse contemporain Mallarmé, Verlaine et Cros.
François-Noël Thibault est libraire quai Manquais, à Paris, quand lui naît, le 16 avril 1844, un fils baptisé Anatole. Son commerce s'appelle Librairie de France et Anatole s'en servira lorsqu'il choisira son pseudonyme. L'enfant grandit parmi les livres et se passionne pour la Révolution française. Après son baccalauréat, il aide son père dans sa librairie, écrit des vers et s'amuse à « retrouver » des poésies d'André Chénier qu'il a lui-même écrites dans une revue. La supercherie n'est pas découverte, preuve qu'il a déjà du talent. Son père, malade, doit liquider la librairie en 1866, son fils ayant refusé de prendre sa succession : Anatole France, républicain et anticlérical, préfère rédiger des chroniques dans les journaux de gauche. ■ La chute du Second Empire le réjouit mais les pillages de la Commune l'indignent et il fuit Paris. La paix revenue, il fréquente les poètes du Parnasse et le salon de Nina de Villars, où il côtoie Verlaine, Mallarmé, Villiers de l'Isle-Adam, Charles Cros... Pour vivre, il fait le « nègre », collabore au Grand Dictionnaire de Pierre Larousse, au Dictionnaire de cuisine d'Alexandre Dumas, aux côtés de Leconte de l'Isle... En 1873, il publie ses Poèmes dorés, en 1876, Les Noces corinthiennes. Cette même année, il est nommé commis-surveillant à la bibliothèque du Sénat et épouse un an plus tard, en l'église Saint-Sulpice, lui l'anticlérical déclaré, Valérie Guérin de Sanville, dont l'ancêtre a été un miniaturiste protégé de Marie-Antoinette. Jocaste et le chat maigre, en 1879, est salué à sa parution comme un chef-d'œuvre par Flaubert. Le Crime de Sylvestre Bonnard, en 1881 — année de la naissance de sa fille —, le rend célèbre. Dans ses articles, il continue à pourfendre les extrémistes de touts bords. Son ménage bat déjà de l'aile lorsqu'en 1887 les France vont passer leurs vacances avec les Caillavet, une grande famille bordelaise. Entre Léontine de Caillavet et le romancier, c'est le début d'une longue et orageuse passion (Léontine de Caillavet, mère de Gaston, qui écrira des pièces de boulevard avec Robert de Flers, inspirera en partie à Marcel Proust, qui fréquente son salon, le personnage de Mme Verdurin ; Anatole France, lui, sera peint sous les traits de l'érudit Bergotte). Thaïs (1890), La Rôtisserie de la reine Pédauque (1893)... Anatole France, qui a reçu la Légion d'honneur, est fêté comme un nouveau Voltaire. On loue en France et dans les capitales européennes son esprit libre. Il voyage, rencontre la reine Victoria, l'empereur d'Allemagne... Il a divorcé depuis trois ans quand il est élu à l'Académie française en 1896 au fauteuil de Ferdinand de Lesseps, qui a creusé le canal de Suez : il prend prétexte de la préparation de son discours de réception pour aller visiter l'Égypte. Il préface Les Plaisirs et les Jours, le premier livre de Marcel Proust, et parraine la nouvelle Ligue des droits de l'homme, prenant sa plume pour défendre les opprimés politiques, Arméniens sous le joug turc, Juifs de Roumanie, intellectuels russes... Il déserte l'Académie française pour s'engager aux côtés de Zola lors de l'affaire Dreyfus, et milite pour la séparation de l'Église et de l'État. Il participe aussi à la fondation du journal L'Humanité, en 1904 ; la presse de droite en fait l'une de ses cibles favorites. Léontine de Caillavet meurt en 1910. Anatole France continue ses voyages et ses écrits : Les Dieux ont soif (1912), La Révolte des anges (1914). Lors de l'entrée en guerre de la France, ses prises de position pacifistes, à l'instar de Jaurès, lui valent injures et menaces. La police le surveillé, son courrier est intercepté. Pour apaiser les haines, il demande, à 70 ans, à être engagé dans l'armée ! À la fin de la guerre, malgré la disparition de sa fille, morte de la grippe espagnole, il reste toujours aussi combatif. Dénonçant le traité de Versailles, « un acte de guerre et non un instrument de paix », prenant parti pour Joseph Caillaux, adhérant au groupe « Clarté » de Henri Barbusse, il bataille sur tous les fronts, salue la révolution en Russie (mais refuse la « bolchevisation » et cesse de collaborer à L'Humanité en 1921) ; il reçoit le prix Nobel de littérature en 1921 et profite de la réception organisée en son honneur, à Stockholm, pour attaquer une nouvelle fois le traité de Versailles... Van Dongen fait son portrait, Bourdelle le sculpte, Maurras, son vieil adversaire et ancien ami l'encense, on adapte ses romans au théâtre et au cinéma naissant (Le Lys rouge, Crainquebille, avec Lucien Guitry) : Anatole France est une gloire nationale. Mais sa santé décline. Pour ses 80 ans, il est acclamé au palais du Trocadéro. Il meurt le 12 octobre 1924 ; ses obsèques sont l'occasion d'un immense rassemblement populaire, comme on n'en avait jamais vu depuis la mort de Victor Hugo. Anatole France a été l'un des écrivains français les plus lus à l'étranger. L'humour dans l'observation, la force dans le propos, servis par un style incisif et élégant : c'est la marque « Anatole France », qui disait : « Caressez longtemps votre phrase, elle finira par sourire. »


Essayiste, conteur et romancier, né à Paris. Fils d’un libraire spécialisé dans l’époque révolutionnaire, élevé dans le culte des livres, bibliothécaire au Sénat, chroniqueur au Monde illustré (1,883), critique littéraire au journal Le Temps (1887), il ne débute véritablement dans le roman qu’avec Thaïs (1889) ; La Rôtisserie de la reine Pédauque (1892) est encore de la « littérature de grand lettré », assez proche des variations romanesques du critique Jules Lemaitre, En marge des vieux livres. En 1894, avec Le Lys rouge, il s’aventure dans le roman d’amour (genre qui lui sied mal ; au surplus il n'y reviendra pas). Puis c’est, de 1897 à 1902, dans le contexte de l’affaire Dreyfus (où ce clerc ironique et douillet, admirateur de Renan, prend hardiment position), la série de quatre romans réunis sous le titre Histoire contemporaine, et centrés autour de M. Bergeret, son porte-parole : L’Orme du mail, Le Mannequin d’osier, L’Anneau d’améthyste et Monsieur Bergeret à Paris. Qu’on ne s’y méprenne pas : en dépit de ces titres évocateurs, c’est un simple recueil des "opinions" du très sympathique héros d’Anatole France (de même que dans un ouvrage précédent, annexe de La Rôtisserie : Les Opinions de Jérôme Coignard). Ses autres ouvrages vont être de plus en plus tributaires d’idées, de plus en plus généreuses. Avec Les dieux ont soif, toutefois, en 1912, il donne un roman véritable, et sans contredit, son chef-d’œuvre. Le thème en est la flambée de fanatisme lors de la période « robespierrienne », et il semble au total que la Révolution sorte de cette histoire assez mal en point : tout se passe comme si le « penseur » Anatole France s’était laissé, ici, déborder par le conteur. À la fin de sa vie, France nouera amitié avec le marxisme (1921), au surplus non sans réticence et sans « repentirs ». En résumé, l’itinéraire spirituel d’Anatole France se développe au rebours de celui de son maître Renan, qui, jetant à terre l’une après l’autre les idoles de Rome et puis celles de la Sorbonne, aboutissait au dilettantisme; le dilettantisme initial d’Anatole France, hérité de Renan, l’amène dans le rang des démocrates en lutte contre le fanatisme (affaire Dreyfus) et, pour finir, il pousse la volonté d’engagement jusqu’à écrire dans L’Humanité. Il envoie le 8 novembre 1922 un Salut aux Soviets ; puis, un jour, renonce à toute action militante (sans rompre pour autant, ni se croire tenu de se justifier ; ce qui irrite fort ses nouveaux amis). France est bien oublié. Voilà plus de soixante-dix années déjà qu’il passe de tristes jours au purgatoire des nonchalants (peut-être en sortira-t-il, grandi, si la modération, qui est la véritable modernité, devient un jour à la mode). Une chose est sûre : son style, longtemps tenu pour exemplaire, apparaît désormais comme un pastiche perpétuel des différents maîtres qu’il admirait dans les siècles passés (le XVIIIe, surtout). Non pas que l’homme pour le reste ait été influençable. Il n’a jamais agi qu’à sa guise. Quelle que soit la cause du moment, son comportement reste invariable : toute adhésion et même tout geste de sa part, qu’il soit de refus ou d’amitié, sont sujets à révision. Doux, rétractile (comme son héros Brotteaux des Ilettes, dans Les dieux ont soif) et, enfin, souriant, France a tout pour déplaire à tous en notre siècle, puisqu’il a fait le pari d’être, à la fois, cruellement lucide et exquisément compréhensif; ce qui devrait être un pléonasme, mais n’est aujourd’hui (et pour longtemps, sans doute) qu’une insupportable singularité.