FIRDOUSI ou FIRDAWSI Abu'l Qasim
FIRDOUSI ou FIRDAWSI Abu'l Qasim. Auteur de l'épopée nationale iranienne, le Livre des Rois , il naquit entre 932 et 934 dans une bourgade voisine de Tous, ville alors capitale du Khorasan et métropole florissante, mais qui devait être détruite au XIVe siècle par les hordes de Tamerlan. Il y termina ses jours entre 1020 et 1025. Firdousi appartenait à la classe des « dehqâns », c'est-a-dire à cette noblesse rurale qui, dans les siècles qui suivirent l'islamisation de l'Iran, se montra la fidèle gardienne des antiques traditions du pays. Il vint au monde à l'époque où s'amorçait la renaissance nationale qui allait permettre l'éclosion de la civilisation persane que nous admirons aujourd'hui. Ayant recueilli l'héritage de plusieurs dynasties locales de moindre importance, les Samanides atteignaient alors à leur apogée et ils faisaient de leur cour de Boukhara le centre de ce mouvement à ses débuts. Depuis le milieu du VIIe siècle, époque de l'invasion arabe, le pehlevi (langue de l'Iran sassanide) avait cessé de s'écrire; un idiome nouveau, le persan, s'était formé, mais il n'avait pas encore reçu la consécration de grandes oeuvres littéraires. C'est au Samanide Nouh II (976-997) que revient le mérite d avoir (vers 976) incité le poète Da-qiqi à mettre en vers persans la vieille chronique du Khotây Nàmak [Livre des Rois], déjà modernisée en prose. Mais Daqiqi périt assassiné ayant à peine entrepris cette oeuvre gigantesque. Firdousi avait alors passé la quarantaine et déjà soufflait l'orage qui allait balayer la puissance des Samanides et modifier la carte de l'Iran. Jusque-là, sans doute, le poète avait vécu sur ses terres : ses biographes rapportent qu'il n'avait que deux ambitions, restaurer une digue nécessaire à la prospérité de son village et doter sa fille. Les allusions que l'on relève, dans son livre, à sa vie personnelle, évoquent une existence familiale longtemps paisible, aux côtés d'une épouse qui collaborait à ses travaux littéraires, car elle savait le pehlevi, langue que lui-même ignorait peut-être. Il devait perdre, jeune encore, un fils dont il pleura amèrement la mort. Il est probable que Firdousi avait formé, bien avant que la cour s'intéressât à une telle entreprise, le projet de composer un Livre des Rois. La disparition de Daqiqi, les conseils et les encouragements matériels de quelques amis (en particulier le gouverneur de la province et le receveur des finances de Tous), le confirmèrent dans son dessein et il se mit en devoir de rassembler la documentation indispensable, tâche ingrate à l'extrême, si on l'en croit. Déjà âgé, il craignait ainsi que le destin ne lui laissât pas le temps d'achever son ouvrage; cette inquiétude s'exprime souvent dans ses vers. Dès qu'il fut en possession des documents recherchés, et en particulier du texte sur lequel avait travaillé Daqiqi, il se mit à l'oeuvre avec une ardeur qui lui fit négliger ses propres intérêts matériels et, lorsque l'assistance de ses protecteurs lui fit défaut, ce fut la gêne. Il semble que la première rédaction du Chah-Nâmeh ait été achevée dès 994. L'usage de l'époque était que toute oeuvre nouvelle fût présentée au Prince qui, en général, récompensait généreusement l'auteur. Par malheur, le trône des Samanides croulait déjà et le poète voyait s'évanouir l'espoir de largesses dont il avait le plus impérieux besoin. Il décida donc de quitter son pays pour chercher fortune ailleurs. Son choix se porta sur la Cour des Bouyides, lignée iranienne et chiite qui dominait toute la Perse occidentale et dont les chefs jouaient auprès des califes de Bagdad le rôle de maires du Palais. Il gagna donc l'Irak, sans doute vers 995-996. Il obtint la protection d'un des grands du royaume, le vizir Mowaffaq qui l'Invita à entrer en compétition avec un autre poète pour la composition d'une histoire de Joseph (épisode coranique emprunté à la tradition juive). Firdousi écrivit ainsi son Yûsef et Zalikhâ qui fut souvent imité par la suite. Les circonstances dans lesquelles il fut amené à entreprendre cette oeuvre montrent assez qu'il n'était pas parvenu à intéresser le souverain bouyide, Behâ od Dawlah, à son Livre des Rois. Or la fortune s'acharnait contre lui : son mécène tomba en disgrâce et dut s'enfuir pour éviter le pire. L'écrivain reprit alors le chemin du Khorasan, s'arrêtant, semble-t-il, à Isfahan, ville aux environs de laquelle il faillit périr accidentellement noyé. De retour au pays natal, il vit poindre une nouvelle lueur d'espoir; sur les ruines de la puissance samanide, naissait un jeune empire, celui des Ghaznévides dont le fondateur, Mahmoud de Ghazna, futur conquérant de l'Inde, jouissait déjà d'une flatteuse réputation de protecteur des lettres et des arts. Firdousi décida de lui dédier son poème qu'il passa quelque temps à polir encore. Un de ses amis, un certain Abou Daylam, calligraphia l'ouvrage en sept volumes, tandis qu'un autre, Abou Doulaf, se proposait pour le réciter devant le monarque. C'est suivi de ces deux compagnons que, probablement en 1012 ou 1013, l'auteur entreprit le voyage de Ghazna (dans l'Afghanistan actuel). Il croyait pouvoir compter sur l'appui du grand vizir, un iranophile, qui venait de remplacer l'arabe par le persan comme langue administrative du royaume. Il fut une fois de plus déçu : lorsqu'il parvint à la capitale, la roue du sort avait tourné et un nouveau ministre, animé de tout autres dispositions, se trouvait déjà en place. Quant au roi, il était turc, et par conséquent peu enclin à s'enthousiasmer Pour une oeuvre qui magnifiait les luttes de Iran contre les peuples touraniens; farouche sunnite, rien ne le portait non plus à la sympathie pour un solliciteur qui, comme Firdousi, professait le chiisme et se laissait aller, dans son épopée, à l'éloge du Zoroastrisme. Enfin, s'il s'intéressait aux lettres, c'était surtout par goût des flatteries que lui prodiguaient les thuriféraires officiels; la sobre dédicace introduite par l'aède de Tous au début du Livre des Rois dut lui paraître bien pâle à côté des panégyriques auxquels il était accoutumé. Privé de tout appui, Firdousi se heurta de surcroît à la malveillance de confrères plus désireux d'écarter le rival dangereux qu'ils reconnaissaient en lui que de l'aider. Les chroniques content qu'un tournoi poétique aurait été organisé dans le but caché de le couvrir de ridicule avant qu'il ne trouvât accès à la cour; ses compétiteurs, s'étant concertés à l'avance, l'auraient invité à compléter un poème improvisé prétendument sur une rime rare dont ils venaient déjà d'employer tous les exemples connus. Firdousi aurait triomphé de l'épreuve en exhumant des fastes de l'Iran antique le nom d'une bataille oubliée. Il parvint enfin à présenter son livre à Mahmoud, mais celui-ci n'y prêta guère attention et, pour se débarrasser du quémandeur, lui fit remettre 20 000 pièces d'argent. C'était une aumône en comparaison des présents parfois fabuleux par lesquels les souverains de ce siècle, le ghaznévide tout le premier, récompensaient des oeuvres généralement moins belles et, en tout cas, moins étendues que le Châh-Nâmeh. Firdousi, qui escomptait recevoir autant de pièces d'or, ressentit ce don comme un affront. A ce que l'on rapporte, il l'accepta pourtant. Puis il se rendit au bain public et s'y fit servir un verre de bière; en partant, il partagea les vingt mille pièces d'argent entre le baigneur, le vendeur de rafraîchissements et la personne qui lui apporta la somme de la part du sultan. Le soir même, de crainte de la colère du roi, il s'enfuit vers Hérat où il serait resté caché pendant six mois avant de regagner Tous. Dans le calme de sa retraite, il composa contre Mahmoud de Ghazna une cruelle satire dans laquelle le conquérant était traité de fils d'esclave (il descendait en effet d'un esclave turc de la garde des princes samanides). Firdousi, qui n'avait pas renoncé à tirer un bénéfice matériel de son Livre des Rois, entreprit un ultime voyage pour l'offrir à Chahriyâr, un émir des côtes de la Caspienne, dont la lignée remontait aux héros de l'Iran antique, fl fut accueilli avec faveur, mais le prince, craignant des difficultés avec Mahmoud, refusa la dédicace de l'ouvrage; en revanche, il insista pour acheter le droit de détruire la satire qui ridiculisait son trop puissant voisin; il en offrit à l'auteur 100000 pièces d'argent, soit mille par vers. Ses précautions n ont pas empêché quelques fragments de ce poème vengeur de traverser les siècles. Enfin dans l'aisance, Firdousi se retira sur ses terres ruinées par tant d'absences successives; il travailla jusqu'à sa mort (entre 1020 et 1025) à polir et à parfaire son oeuvre maîtresse, l'enrichissant de maintes méditations désabusées sur le cours des choses de ce monde. La tradition veut que Mahmoud le Ghaznévide, impressionné par le rapide succès du chef-d'oeuvre qu'il n'avait pas su apprécier, ait un jour reconnu son erreur et que, désireux d'y remédier, il ait fait envoyer au poète une caravane chargée d'indigo pour une valeur de 6 000 pièces d'or. En franchissant les portes de Tous, le convoi aurait croisé le cortège funèbre de Firdousi. On dit que les héritiers de ce dernier repoussèrent cette trop tardive réparation, employant le don royal à réparer le barrage que Firdousi souhaitait restaurer dans sa jeunesse ou, selon d'autres versions, à construire un caravansérail. Au même titre que l'Iliade dans la Grèce antique, le Châh-Nâmeh est révéré en Iran comme le livre national par excellence, et il a puissamment contribué à cimenter l'unité spirituelle et politique d'un empire divers à 1 extrême. Sa popularité, immense dès sa publication, demeure intacte de nos jours; il n'est pas rare d'entendre des chanteurs errants le célébrer, pour le plus grand plaisir du public, dans les cafés fréquentés par les petites gens; le persan a fait preuve au cours des siècles d'une si remarquable stabilité que la langue du poème n'a guère vieilli; elle reste au moins aussi proche de celle que l'on utilise maintenant que le français de Montaigne du nôtre. Firdousi a suscité de nombreux imitateurs dont les uns ont développé certains épisodes seulement esquissés dans son oeuvre, tandis que d'autres, généralement plus tardifs, ont composé d'interminables épopées sur les hauts faits de certains souverains. On possède même un George-Nàmeh, récit de la conquête de l'Inde par les Anglais, dû à la plume d'un poète de ce pays musulman d'expression persane. En Europe, le Livre des Rois a été apprécié dès le XIXe siècle et plusieurs traductions en ont été faites en diverses langues. La meilleure est celle de Mohl (1838-1878), dont la grande édition, ornée de reproductions en couleurs d'enluminures orientales, figure au nombre des chefs-d'oeuvre de l'imprimerie Nationale française. La publication du premier volume suscita l'enthousiasme des milieux littéraires : elle inspira un article d'Ampère dans la Revue des Deux Mondes (août-septembre 1839) et un des Lundis de Sainte-Beuve, tandis que Lamartine consacrait plusieurs pages au héros iranien Rostam. Victor Hugo, de son côté, dédie une dizaine de vers à Firdousi dans sa Légende des Siècles , mais, oubliant que le malheureux poète n'avait déjà que trop voyagé de son vivant, il le condamne à visiter encore « Mysore » pour obtenir la rime d'« aurore ». La critique moderne, sans cesser de s'attacher aux beautés du Chah-Nâmeh, lui a découvert un mérite supplémentaire, celui d'une exactitude historique, relative assurément, mais précieuse dans l'indigence où nous sommes de sources iraniennes anciennes. L'ouvrage de Firdousi suit scrupuleusement les chroniques pehlevies qui l'ont inspiré et dont la plupart sont aujourd'hui perdues. Sans doute le poète a-t-il embelli la matière dont il disposait; il ne s'est néanmoins permis d'autre licence que de donner à ses personnages la vie, l'âme et l'éloquence. De leurs aventures, du milieu où ils vivaient, de leurs costumes même, il n'a rien changé; il en a seulement ravivé les couleurs. A ce titre, le Livre des Rois, dont les quelque soixante mille distiques éternisent les fastes de l'Iran, des temps légendaires jusqu'à la conquête islamique, demeure, pour les historiens, une mine inépuisable. C'était là une des principales ambitions de l'auteur. « La destinée de l'Homère persan ne manque point d'intérêt et d'une sorte de poésie mélancolique; elle a droit de prendre place à côté de celles de Dante, de Camoëns, de Torquato, ses émules en malheur et en génie. » H. Ampère. ? « C'est l'esprit de sagesse, d'élévation, de justice et de douceur qui circule à travers l'immense poème de Firdousi » Sainte-Beuve. Cet émule d'Homère commença par avoir une vie qui ressemble à celle d'Hésiode, sinon qu 'une légère teinte de gentilhommerie en couvre le fond rustique. Cet homme qui, comme tous les grands poètes, devait posséder le monde, de la terre au ciel, commença par être seulement le seigneur d'un étroit domaine. Puis il emporta son coeur à travers les hommes; il traversa le faste des cours sans s'y enrichir : il eut cette longévité qui convient au génie, parce qu'elle lui permet de se couronner de sagesse et, après beaucoup de traverses, il mourut pauvre, ce qui est une façon d'être resté pur. » Abel Bonnard.
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