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FICHTE: Vie

Vie

• La notion de vie résume toute la philosophie fichtéenne, qui est une philosophie vivante de la vie. Pour Fichte, « rien n’a de valeur ni de signification inconditionnée si ce n’est la vie » (SB, SW, 2, p. 333). Celle-ci est l’unique objet de la philosophie vraie, soucieuse de ne pas sombrer dans l’arbitraire du formalisme métaphysique ; elle seule peut fournir un contenu réel à la philosophie, bien incapable, quant à elle, d’enrichir la vie. Cependant, la philosophie ne saurait annuler sa raison d’être en se faisant une simple description de la vie : il s’agit, pour elle, de comprendre, d’expliquer en sa possibilité, de fonder la vie tout en la disant, sans sortir d’elle et l’oublier, ce qui requiert qu’elle expose la vie en tant que celle-ci est elle-même sa propre fondation. Autrement dit : dans la philosophie, c’est la vie qui se déploie dans le mouvement, vivant, de cette fondation d’elle-même ; si bien que la philosophie est la vie s’exprimant de façon vivante. L’idéalisme fichtéen, philosophie de la vie, s’est bien développé lui-même dans la vie de ses formulations successives, suivant une fidélité revendiquée à lui-même, mais au plus loin de toute rigidité mortifère.

•• En sa vie naturelle, la conscience s’oublie elle-même dans son activité théorique et pratique : se représenter, percevoir, comprendre l’être, d’une part, et, d’autre part, le transformer, sont, en leur sens sinon en leur réalisation, des démarches qui vont de soi. Et pourtant ces démarches, qui, en leur sens, se donnent comme factuellement simples, sont des contradictions résolues : connaître, c’est m’y retrouver, me poser moi-même, dans l’être, ce qui me résiste et en quoi je suis nié ; agir, c’est nier en m’y posant moi-même ce qui se pose soi-même comme être. Connaître et agir sont donc des modalités de la conscience qui, vécues comme ses possibilités immédiates, résultent bien plutôt de processus résolvant les contradictions impliquées en elles et qui tiennent à ce que le Moi, en même temps, est position de soi et négation de soi ou opposition à soi. Ainsi, la première philosophie de Fichte, comme doctrine de la conscience, expose, à travers la conciliation par celle-ci, dans la réalisation d’un troisième principe, synthétisant, de ses deux premiers principes, antagoniques, sa propre fondation comme conscience connaissante et agissante. Cette conciliation qui rend possible la conscience en sa réalité vécue est une vie, une genèse dont le résultat est cette conscience réelle, mais qui, elle-même, est purement idéale. Ses moments, idéaux, ne sont en rien identiques aux moments de la conscience réelle, et ne viennent à la conscience que dans le discours philosophique (voir article Genèse). Celui-ci doit donc, par un acte de liberté, réactiver l’auto-construction inconsciente de la conscience pour la faire se dire dans le contenu même de celle-ci, et cela exige la mobilisation conceptuelle de l’intuition intellectuelle (voir article ainsi désigné) par laquelle la vie préconscientielle de la conscience est (seulement) présente non représentativement à elle-même. La philosophie ressaisit donc, en la réeffectuant comme vie, la vie essentielle fondatrice de la conscience, pour elle-même non immédiatement vivante, de la vie réelle.

••• Si la conscience ne peut être essentiellement que comme vie, c’est dans la mesure où l’agir qui la constitue fondamentalement est un agir limité, dont la contradiction, que le philosophe se représente d’abord comme subie (à travers l’idée d’un choc affectant le Moi), est précisément la cause de son animation. Lorsque, dans le développement ultérieur de la Doctrine de la science, Fichte s’interroge sur l’agir infini dont l’agir conscientiel est une limitation et voit en lui l’Etre (absolument subjectif) de la conscience (subjectivité déjà objectivée) de l’être (purement objectif), il caractérise aussi un tel agir infini comme vie. Le savoir philosophique, qui se sait assurément n’être que l’Etre su, manifesté (lequel n’est pas l’Être tel qu’en lui-même), dit cet Être qui achève en lui sa manifestation comme la vie bienheureuse de l’amour, car la vie est bien l’identité s’affirmant en sa différenciation d’avec soi, l’amour cette même auto-différenciation de l’identité absolument subjective, et la béatitude la jouissance de soi de cet amour vivant : « il est clair que vie, amour, et béatitude sont absolument une seule et même chose » (ASL, SW, 5, p. 402). Une telle vie bienheureuse rassemblant en son infinité les esprits finis s’éprouve dans la religion (voir article Points de vue). La philosophie comprend elle-même la vie religieuse, tout en sachant que l’excès de l’Être sur sa manifestation fait que nous ne pouvons savoir sa vie infinie, mais seulement l’être à travers notre agir moral effectif.

FICHTE (Johann Gottlieb), philosophe allemand (Rammenau, Saxe, 1762-Berlin 1814). Elevé chez un pasteur de campagne, puis au collège de Schulpforta, il manifeste, par une fugue célèbre, un ardent amour de la liberté. Il lit Lessing, défenseur de la liberté de pensée, s'enthousiasme pour Kant, qui a donné une preuve pratique de la liberté capable de mettre un terme à tous les vains essais de démonstration théorique. Sa première œuvre spéculative est une Critique de toute révélation (1792); son premier ouvrage engagé est une Défense de la Révolution française. La querelle de l'athéisme, qui devait secouer toute l'Allemagne littéraire, est une querelle contre Fichte. Il fut le premier professeur de philosophie à l'Académie de Berlin. Sa philosophie présente deux aspects : 1° l'un, rigoureux et abstrait, qui s'exprime dans les différents exposés de la Théorie de la science (1794, 1801, 1804). Cette théorie n'est « de part en part, qu'une réflexion sur la liberté ». La science dont il s'agit est finalement la science philosophique, qui est seule apte à pouvoir donner consistance à toutes les aspirations de l'imagination humaine; 2° l'autre, où Fichte se montre un philosophe de la vie économique et sociale (l'Etat commercial fermé, 1800; Discours à la nation allemande, 1807-1808). Sa véritable pensée de républicain libéral et de philosophe humaniste a été déformée et méconnue. Il est le fondateur de la philosophie moderne : de la méthode «phénoménologique», des descriptions de l'existence et de la réflexion sur l'histoire. Hegel a écrit que trois grands événements avaient marqué son siècle : la Théorie de la science, de Fichte, est le premier (les deux autres sont Wilhelm Meister, de Goethe, et la Révolution française). L'esprit de la philosophie de Fichte a profondément inspiré la phénoménologie moderne et la philosophie de l'existence.

THÉORIE DE LA SCIENCE, ouvrage de Fichte, développant sa doctrine du fondement de notre connaissance (premier exposé en 1794, nouveaux exposés notamment en 1801, 1804, 1812). — L'exposé de 1794, qui est le mieux connu, représente la philosophie du « moi absolu » : étant donné que comprendre consiste toujours à comprendre à partir de soi, comprendre toutes choses consistera à « rapporter à soi toute la réalité ». Cette doctrine, qui tire la conséquence extrême de la méthode critique de réflexion sur soi, évolue en 1801 pour culminer en 1804 dans une théorie de Dieu ou de l'Absolu, comme réalité parfaitement rationnelle et accessible à l'esprit humain. La Théorie de la science de Fichte a été comptée, par Hegel, au nombre des trois grands événements du siècle, dont le deuxième était la Révolution française de 1789 et le troisième, le roman de Goethe Wilhelm Meister. La Théorie de la science a directement inspiré la philosophie de Schelling, ainsi que la Logique et la Phénoménologie de Hegel. Enfin, la plupart de ses thèmes (le non-savoir, fondement du savoir, l'être absolu comme présence et non représentation, etc.) se retrouvent dans les doctrines les plus modernes (l'existentialisme, la théorie de la liberté chez Sartre, l'ontologie de Heidegger, etc.).

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