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FICHTE: Théorique et pratique

Théorique et pratique

• Fichte reprend le couple kantien : théorique-pratique, qui structure fondamentalement le système de la raison moderne. Chez Kant, la raison — pouvoir visant une détermination objective totale du contenu de la subjectivité — est dite originairement une, mais saisie immédiatement dans une dualité d’usages : l’usage théorique, où elle s’applique aux constats empiriques, et l’usage pratique, où elle s’applique aux maximes de l’arbitre. Ces deux usages constituent deux législations séparées, même si Kant subordonne à l’usage pratique, qui fait s’affirmer l’homme comme étant en soi libre, l’usage théorique qui, affirmant la nécessité naturelle aussi dans l’être libre fini, sensible, qu’est l’homme, doit relativiser sa portée comme simplement phénoménale. Tandis que, de la sorte, dans le kantisme, le primat de l’usage pratique de la raison signifie une limitation, une négation, de son usage théorique, Fichte, qui veut réaliser pleinement l’unification systématique du savoir du savoir ou de la conscience, fait déterminer positivement la raison théorique par la raison pratique : « La raison ne peut être elle-même théorique si elle n’est pas pratique, aucune intelligence n’est possible dans l’homme s’il n’y a pas en lui un pouvoir pratique » (GWL, SW, 1, p. 264). Ou encore : « L’unique et ultime assise solide de notre connaissance est notre devoir » (SS, SW, 4, p. 172). Kant soumettait pratiquement le pouvoir théorique au pouvoir pratique de la raison, Fichte déduit théoriquement le premier du second.

•• Le Moi, même fini — tel que nous l’expérimentons en nous-mêmes — n’est que comme auto-position de soi (posé, il renverrait en lui-même à quelque chose d’autre qui, comme tel, empêcherait sa réflexion en lui-même, qui le constitue comme Moi). Mais que pose-t-il, quel contenu pose-t-il en lui ? Le rapport, interne à lui-même comme Moi fini, de lui-même en tant que Moi se posant absolument, à lui-même en tant que fini, c’est-à-dire se niant, est un agir contradictoire dont la contradiction ne peut être conciliée que s’il est, théoriquement, imagination créatrice et, d’abord et surtout, pratiquement, effort, ainsi que le philosophe a établi le contenu du troisième principe constitutif d’un tel Moi selon la première Doctrine de la science. Sur la base de ce fondement pratico-théorique, démontré par le Moi philosophant, du Moi réel fini, la déduction fîchtéenne fait déployer par celui-ci lui-même, se posant en posant un tel fondement, tout le contenu, toujours à la fois théorique et pratique, de sa vie effective orientée, soit, plutôt, vers la connaissance, soit, plutôt, vers l’action. Ainsi, la limitation ou négation de l’agir qu’est le Moi comme effort est posée de façon de plus en plus nette dans la séquence : sentiment, sensation, intuition, représentation, cette dernière ayant pour contenu l’opposition même du Moi et du Non-Moi, du sujet et de l’objet. Mais Fagir limité qu’est l’effort n’étant limité pour lui-même qu’en tant qu’il dépasse idéalement sa limite, cette négation idéale de la limite représentée comme objet est pour elle-même dans le vouloir, qui, niant le rapport du Moi à autre chose, pur rapport à soi, est libre ; c’est cette liberté du vouloir qui se pose dans le vouloir juridico-politique et le vouloir éthique. Le monde représenté (contenu de la philosophie théorique) est nécessairement tel que puisse s’y réaliser le vouloir juridico-politique et éthique qui se représente à lui-même en son idéalité dans le devoir (contenu de la philosophie pratique).

••• Si Fichte établit ainsi théoriquement — dans un discours se voulant rigoureusement scientifique — la détermination du théorique par le pratique, il ne se contredit aucunement en opposant ce qui est dit par lui et son acte de le dire, c’est-à-dire en contrevenant à son grand principe de la conviction. Car la théorie philosophique se veut et se sait, chez Fichte, foncièrement pratique. D’abord elle se dit bien, en son existence même, d’origine pratique : « Le genre de philosophie que l’on choisit dépend du genre d’homme que l’on est» (EE, SW, 1, p. 434). Par exemple, l’idéalisme, qui insère l’être, comme tel, dans la pensée de l’être, est le fait d’un homme actualisant moralement la liberté de son Moi dans un « Je veux » qui se prolongera dans un « Je pense », tandis que le réalisme sera professé par un homme habitué à tout attendre de la nécessité des choses. Mais, surtout, en son essence même, la Doctrine de la science exprime une pratique du Moi philosophant qui consiste à réactiver librement en lui, en toutes ses phases articulées systématiquement mais alors posées chacune pour elle-même, l’agir présent à soi comme intuition intellectuelle, dans lequel le Moi réel se pose pour lui-même, c’est-à-dire est précisément un Moi. La doctrine ou théorie suprême se réalise donc, chez Fichte, comme la pratique absolument telle, puisqu’elle est l’activité originaire finalement actualisée en tant que telle.

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