Databac

Fichte: Principes

Principes

• S’étant attaché à réaliser le système dont Kant attendait la scientificité en philosophie mais qu’il n’avait pas réalisé lui-même, reprenant également la conception kantienne générale du système comme déduction de propositions à partir d’une proposition érigée en principe, Fichte établit d’abord, dans la Doctrine de la science, du savoir, de la conscience ou du Moi, qu’il convient, selon lui, de substituer à la doctrine traditionnelle de l’être, une proposition principielle. Ou plutôt — et puisque la conscience ou le Moi, en son sens le plus général, est cette réalité déjà complexe, voire contradictoire, de l’affirmation de soi d’un sujet dans l’objet, dans ce qui s’objecte à lui et le nie, alors que lui-même, en le connaissant, se pose dans l’objet — Fichte fait reposer la doctrine d’un tel Moi sur une base ou assise principielle elle-même composée de plusieurs propositions. Tels sont les trois principes ouvrant, par exemple, la première Doctrine de la science (1794). Le premier énonce l’auto-position du Moi ou du sujet conscient en lui même. Le deuxième l’opposition à, dans et par lui-même d’un objet ou d’un Non-Moi. Le troisième la composition d’un tel Moi avec lui-même dans ses deux actes opposés, réunis dans et comme la conscience d’un objet par un sujet.

•• Le premier principe exprime la position absolue du Moi ou du sujet qui se pose comme identique à lui-même en tout ce qui est pour lui, a sens pour lui (en étant rendu précisément par là identique à soi). Le deuxième principe exprime l’opposition au Moi d’un Non-Moi (objet niant le sujet) dans le Moi et par le Moi lui-même, qui, en vertu du premier principe, pose tout ce qui est en lui. Le premier principe est tel totalement, et par son contenu (le Moi) et par sa forme (la position) ; le deuxième principe ne l’est que par sa forme (la négation, tout autre que la position), car son contenu, le Non-Àfoz, est déterminé par le Moi du premier principe. Dès lors subordonné à celui-ci en son opposition à lui, il doit, quant à son statut dans le Moi, et comme le doit, d’ailleurs, le Moi en tant que posé aussi dans lui-même, obéir à l’exigence d’unité avec soi du Moi imposée par le premier principe. L’opposition de la thèse (auto-position) du Moi et de l’antithèse (opposition au Moi) du Non-Moi doit donc, en vertu même de la première, prioritaire, être conciliée dans une synthèse constitutive de la conscience subjective de l’objet. Cette synthèse n’est possible, puisque les opposés qui, comme tels, en leur qualité même, s’entre-détruisent alors qu’ils doivent subsister si une conscience est possible, que par leur limitation réciproque, laquelle — signifiant pour chacun d’eux qu’il est affirmé en partie et nié en partie — n’est elle-même possible que par leur quantification, c’est-à-dire leur divisibilité. Le troisième principe énonce donc que le Moi oppose en lui-même au Moi divisible un Non-Moi divisible. Ce troisième principe, soumis, par sa forme, au premier (exigeant l’unité prioritaire du Moi) en tant même que celui-ci est juxtaposé au deuxième (affirmant l’opposition interne au Moi), et donc requis par eux comme synthèse, est cependant aussi un principe, par le contenu, original, et donc à découvrir, de cette synthèse. La première Doctrine de la science de 1794, a pour tâche essentielle de déterminer ce contenu, contradiction apparente qui doit être pensée comme non contradictoire.

••• Ce sont des dizaines et des dizaines de pages que Fichte consacre à la détermination d’un contenu non contradictoire du troisième principe : il s’agit de penser une synthèse elle-même non antithétique de l’antithèse originaire du premier et du deuxième principe. La synthèse exprimée par le troisième principe, nécessaire, est, en effet impossible telle qu’elle se présente immédiatement. Car dire que le Moi pose dans lui-même un Moi et un Non-Moi qui se limitent, terminent ou déterminent l’un l’autre, c’est dire, d’une part, que le Moi se pose, se détermine comme déterminé par le Non-Moi, est, à l’égard de soi, déterminant et déterminé, ce qui est contradictoire, et, d’autre part, qu’il pose, détermine, bref rend déterminé le Non-Moi comme déterminant, ce qui est tout aussi contradictoire. La première proposition, qui fonde la conscience en tant que théorique, et la seconde, qui fonde la conscience en tant que pratique, doivent donc être approfondies de telle sorte que le Moi y soit pensable sans contradiction. Pour être pensable, le Moi théorique — connaissant — doit poser, faire ressortir, son infinité agissante de sujet à travers l’aliénation dans et comme un objet de la limitation elle-même toujours ou sans cesse niée de cette infinité (« pas d’infinité, pas de limitation » ; « pas de limitation, pas d’infinité »). Le Moi théorique est pensable comme un tel agir « flottant » dans la production se reprenant sans cesse, libre, de déterminations idéales évanescentes de lui-même : c’est ce que Fichte appelle l’« imagination créatrice ». Cependant, la réitération sans fin de la création d’une image objective fait s’échapper à lui-même le Moi théorique, ainsi opposé à l’identité à soi absolue qui le caractérise comme Moi. Opposition permise dans le Moi parce qu’elle est conciliable par lui-même en tant que pratique, qui pose le Non-Moi comme posé par lui. Ce qu’il ne peut faire qu’en conciliant d’abord en lui-même la contradiction consistant, pour lui, à poser le Non-Moi, donc à ne pas poser le Moi (posant). Cette conciliation s’opère dans le Moi comme effort, agir s’affirmant à chaque moment de lui-même comme maîtrise à l’infini du Non-Moi par le Moi. Ici, l’indéfînité de l’agir n’est pas pour celui-ci un destin, comme dans le cas de l’imagination créatrice, mais le contenu ou le sens même qui le définit et par là le rend identique à lui-même dans sa propre fînitude. La synthèse du Moi fini réel prescrite par le troisième principe a donc pour contenu l’effort, noyau de la conscience de soi, base de la déduction de toute les déterminations de celle-ci, étapes de l’auto-position progressive d’un tel effort.

Liens utiles