Fichte: Genèse
Genèse
• « Toute bonne description doit être génétique et doit laisser naître peu à peu ce qui est à décrire devant les yeux du spectateur » (ASZ, SW, 5, p. 507). C’est ainsi que la philosophie fîchtéenne, comme doctrine de la science ou de la conscience (de l’être), fait comprendre celle-ci en exposant son auto-construction simplement reflétée par le Moi philosophant qui la réactive en lui, mais alors dans une pleine conscience d’elle-même. Car la conscience immédiate, naturelle, vivante, est tellement son auto-construction qu’elle ne l'a pas et saisit son contenu d’un coup sous la forme d’un être — celui du monde, et d’elle-même dans le monde — qu’elle ne peut que recevoir : « La vie n’est pas un engendrer, mais un trouver » (SB, SW, 2, p. 398) ; il y a un réalisme empirique de la conscience naturelle. Au contraire, la doctrine de la conscience ressaisit la réception de l’être comme le produit de la genèse par laquelle la conscience se construit de telle façon que la synthèse de tous ses éléments s’accomplit dans la saisie d’un être, d’un objet, par elle-même comme sujet ; il y a un idéalisme transcendantal (objectivation affirmée du subjectif) de la philosophie vraie.
•• Cette genèse transcendantale de la conscience de l’être, dont naît la conscience la plus élémentaire, immédiate (le sujet se sait voir un objet), laquelle se développera en particulier comme conscience du temps, n’est donc pas elle-même une genèse temporelle, historique, bref : réelle, de cette conscience. Elle est une genèse purement idéale. Dans la réalité de la vie conscientielle, qui naît de l’achèvement d’une telle genèse idéale, toutes les phases de celle-ci ne font qu’un dans leur simultanéité architectonique ou systématique. C’est le Moi philosophant qui réactive librement, en les abstrayant artificiellement de leur tout, les actes composant l’acte global d’objectivation du sujet, et qui fixe leur signification fournie par l’intuition intellectuelle dans des concepts différenciant explicitement celle-là. Recréation conscientielle de l’auto-création inconsciente de la conscience, pourrait-on dire. Cette recréation, qui part de la détermination la plus abstraite et la plus simple supposée par la conscience réelle, à savoir le pour-soi du Moi ou la Moïté (Ichheit), la combine avec toutes les autres, plus complexes ou plus concrètes, jusqu’à ce qu’on aboutisse à l’être-pour-soi de ce pour-soi, à la conscience réelle dans laquelle le Moi est pour lui-même en distinguant de lui-même, mais dans lui-même puisqu’il lui donne un (tel) sens, un Non-Moi ou un objet.
••• L’engendrement du contenu de la philosophie comme doctrine du savoir est-il total ? Le « trouver » caractéristique de la conscience non-philosophique n’y a-t-il plus aucune place ? La première Doctrine de la science affirme bien une émergence formelle irréductible entre l’acte de la position de soi constitutive du Moi en son absoluité et l’acte de l’opposition à soi, inengendrable à partir du premier. Quant aux dernières Doctrines de la science, elles soulignent de façon analogue l’« hiatus » qui, pour le savoir philosophique lui-même, sépare l’Être (au principe des Moi) et sa manifestation ou son être-là comme savoir de lui-même (le milieu des Moi), et interdit donc toute genèse stricto sensu de la genèse elle-même au sein de l’être. La philosophie sait ainsi, chez Fichte, la limite de la genèse, et donc d’elle-même.