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Fichte: Être

Être

• Si l’être est ce que vise et dit immédiatement la conscience naturelle, qui est ainsi une ontologie spontanée, il ne peut constituer le concept premier de la philosophie parvenue à sa vérité : celle-ci consiste, pour elle, à fonder, en la rectifiant, la vie absorbée par l’être, mais le fondement diffère du fondé comme la raison d’être diffère de l’être. C’est pourquoi la philosophie traditionnelle, en se faisant elle-même ontologie, par exemple en fondant l'être sensible sur un être intelligible, restait bien plutôt prisonnière de l’absorption non philosophique dans l’être. Kant a, certes, bien vu que l’être dont on parle est toujours lui-même inséré dans la pensée de l’être, mais il a conservé l’idée, absurde, d’un être, d’une chose, en soi. Fichte, qui veut accomplir la révolution copernicienne, fait alors s’épuiser la philosophie dans une doctrine de la conscience, du savoir, ou de la science de l’être, conscience, savoir ou science qui dit l’être, c’est-à-dire dans une doctrine non plus ontologique, mais de l’ontologie naturelle. Pour une telle philosophie, l’être-pensé diffère de l’être comme l’agir s’auto-différenciant ou s’auto-déterminant, la liberté même qu’est le sujet, diffère de l’identité fixée à elle-même, figée sur elle-même, de la nécessité constitutive de l’objet. Cependant, l’agir qu’est le Moi dont nous avons l’expérience étant l’agir limité, exploré par la première Doctrine de la science, Fichte, le fondera ultérieurement dans un agir absolu, divin, dont la présence, au plus profond du sujet fini, le fera expérimenter par ce sujet comme autre que lui, donc poser comme un être, comme l’Etre. Toutefois, ce nouveau discours ontologique ne sera en rien une rechute dans l’ontologie disqualifiée philosophiquement, puisque, loin de réhabiliter l’objet, il célébrera le sujet pleinement sujet, dont l’affirmation s’opère à travers l’étude de la philosophie de l’ontologie qu’est la conscience, le savoir ou la science de l’être. Toujours, pour Fichte, l’être vrai n’est pas l’être, mais l’acte.

•• Ce qui est, et dont la philosophie doit rendre raison, en s’en étonnant d’abord, c’est la conscience de l’être, la présence, pour et dans le Moi cependant identique à lui-même, de ce qui est pour lui différent de lui. La question de l’être ainsi présent comme ce qui n’est pas cet être-présent de lui-même dans le Moi est la question de la philosophie. Cette question a d’abord été posée de façon non radicale par l’ontologie traditionnelle, laquelle s’est seulement demandé quel était l’être (le monde, la nature, Dieu...), mais non pas ce que c’était qu’être ; elle supposait alors comme allant de soi, posait donc dogmatiquement, l’affirmation de l’être, et partait de celle-ci, en réalité, pour rendre compte de la représentation, de la pensée ou de la conscience de l’être. Mais, souligne Fichte, si l’on part de l’être, on ne pourra jamais en tirer l’être représenté, pensé ou conscient, qui est la présence de l’être en tant que non-être ou absence. Puisqu’il y a plus de sens — et nous vivons dans le sens — dans l’être conscient que dans l’être, il faut, en philosophant, s’installer volontairement dans ce lieu originaire qu’est la conscience et, en faisant d’abord abstraction de l’être, en le mettant entre parenthèses, le voir surgir comme une détermination nécessaire de la conscience en tant qu’activité de se composer elle-même. Ce qui est pour le Moi est ce qu’il ne peut pas ne pas poser, c’est-à-dire son activité en tant que non arbitraire mais soumise à une légalité que le philosophe s’efforce de recomposer. L’agir déterminé par des lois, par là limité ou nié, vit immédiatement, dans un sentiment, son contenu comme celui d’un être qu’il recevrait ou éprouverait, dont il pâtirait. L’être naît de la limitation de l’agir, bien loin que l’agir naisse du développement de l’être.

••• A travers le devenir même de sa philosophie, qui a pu faire parler de plusieurs philosophies successives de Fichte, celui-ci a toujours affirmé qu’il n’avait jamais élaboré qu’une unique doctrine de la science, du savoir ou de la conscience de l’être, mais non pas, même ultimement, une doctrine de l’être, une ontologie. D’abord, prenant le mot « être » en son sens immédiat de réel objectif, il le rapporte au sujet comme l’une de ses déterminations nécessaires : l’idéalisme transcendantal, qui sait l’objet comme l’objectivation du sujet, le réel comme la réalisation de l’idéal, n’est pas une doctrine ontologique mais la doctrine de l’ontologie qu’est toute conscience. Puis, lorsque Fichte saisit le sujet lui-même, en sa fînitude, comme étant, à son tour, déjà une manifestation ou objectivation d’un sujet absolu alors érigé en l’être vrai, il pose, certes, une affirmation ontologique, mais dont le contenu est purement négatif. Car on ne peut savoir l’être comme ce qui se manifeste dans le savoir qu’en étant déjà immergé dans cette manifestation : le savoir ne peut sortir de lui-même pour s’installer dans l’être et en voir sortir lui-même, le savoir. L’affirmation de l’être exprime donc une ontologie négative se sachant telle, et dont l’idée est la traduction, dans le savoir qui ne peut savoir que lui-même comme savoir de l’être, de son absolue fînitude. En son approfondissement apparemment ontologique, le savoir fîchtéen du Moi fini se sait lui-même fini et séparé de l’être par le savoir de l’être lui-même. Mais on (notamment Hegel) pourra reprocher à Fichte de n’avoir pas été assez radical : l’être n’est-il pas lui-même cette négation de soi, comme simple être, dans le savoir de lui-même ?

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