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Fichte: Effort

Effort

• La première philosophie de Fichte, comme doctrine de la conscience au sens strict, c’est-à-dire du Moi fini, agir limité, est ainsi une doctrine de l’effort. Selon elle, la conscience accomplit une telle essence d’elle-même dans son existence morale ou éthique, jamais accomplie mais toujours en quête active de son accomplissement, celui de l’identité réflexive à soi qu’est le Moi en tant que tel. C’est pourquoi le mal absolu, le mal moral, consiste dans ce renoncement à l’effort qu’est la paresse. L’activité constitutive du Moi — qui n’est qu’à ne pas simplement être, de façon inerte, mais à vivre réflexivement dans la distanciation d’avec soi aussitôt surmontée dans le retour à soi — n’est alors jugée telle pour elle-même que dans l’effort, quand elle s’affirme intensément en niant un obstacle qui la nie. Plus tard, lorsque Fichte, ayant libéré le sujet de la fascination de l’objet, entreprendra de le libérer de sa finitude de sujet en le réinsérant, comme dans son principe déjà totalement présent en lui, dans la vie infinie de l’esprit (divin), il rabaissera l’effort à une expression dépassable, chez le Moi fini lui-même, d’un agir absolu immédiatement participable. L’expérience religieuse, qui fait éprouver dans l’enthousiasme une telle participation à l’agir pleinement agir, remplacera dès lors l’expérience morale comme accomplissement de l’existence.

•• Lorsque Fichte fait de la conscience morale, en son effort sans fin pour réaliser son unité effective avec elle-même comme dépassement de l’opposition entre son unité idéale-rationnelle simplement visée et sa multiplicité réelle-naturelle toujours subie, l’accomplissement concret de la conscience, c’est qu’il découvre en elle précisément ce qui concrétise l’essence universelle abstraite de la conscience, que le philosophe a été logiquement contraint de supposer pour s’expliquer la possibilité même de toute conscience réelle en tant que, théorique ou pratique, elle est toujours conscience d’elle-même en étant conscience d’autre chose qu’elle. Dans l'Assise fondamentale de la Doctrine de la science en son ensemble, Fichte dégage — comme autant de « principes » — les trois actions par lesquelles le Moi réel (agir s’éprouvant comme être, donc fini) doit nécessairement se poser pour trouver du sens à l’être. Si les deux premières : se poser lui-même absolument, donc en tout ce en quoi il s’y retrouve, trouve du sens, et se nier soi-même ou poser un Non-Moi conférant, par son altérité, un être au sens, sont claires en elles-mêmes, il n’en va pas de même pour la troisième, qui doit les concilier en les faisant se limiter, terminer, déterminer l’une par l’autre. Fichte montre d’abord que et comment on peut penser que le Moi, en tant que théorique ou intelligence, peut se faire déterminer par le Non-Moi. Puis comment il peut ainsi se limiter et nier tout en étant un Moi, position absolue de soi. La solution, nécessaire si la conscience est possible, consiste à penser le Moi comme déterminant, mais sans le supprimer, donc comme tendant à déterminer, comme déterminant pratiquement, le Non-Moi à partir d’une détermination idéale de la réalité. Un tel Moi conciliant de la sorte en lui-même son infinité de Moi et sa finitude de Moi théorique est le Moi pratique de l’effort. La conscience n’est elle-même, conscience de quelque chose, d’un objet, que parce qu’elle est d’abord projet actif : « Pas d’effort, pas d’objet » (GWZ, SW, 1, p. 262).

••• La promotion de l’effort concret, expérimenté comme tel par le Moi réel, est donc justifiée par la réflexion logique du philosophe recherchant la seule manière de penser sans contradiction l’action synthétique qui doit réunir, c’est-à-dire, pour Fichte, réconcilier, les deux actions opposées à supposer dans toute conscience comme lieu où du sens (première action) est, à de l’être (deuxième action), attribué (troisième action). Cette seule manière de penser la synthèse nécessaire de la conscience de fait est la pensée philosophique du Faktum qu’est ainsi l’effort. Une fois ce Faktum justifié, et parce que la conscience se pose elle-même, elle doit se poser comme un tel Faktum, se le donner comme un Datum, et les diverses étapes d’une telle auto-genèse de la conscience s’achèvent, dans la première Doctrine de la science, par la conscience morale (et sa postulation religieuse). Cependant, Fichte a lui-même reconnu que c’est l’heureuse illumination — d’origine kantienne — de l’absoluité de cette conscience morale qui lui a fourni la clef de la compréhension de la conscience en sa totalité et par là guidé la déduction, alors finalisée, de tous les moments de celle-ci. N’est-ce donc pas une telle idée de l’effort moral qui s’est anticipée dans le sens total de l’assise abstraite de la conscience et a fait déterminer cette assise comme effort ? Ce que vérifierait l’évolution fichtéenne rétrogradant l’effort éthique au profit de l’amour religieux dans l’élévation de la conscience à sa vérité et remaniant dès lors l’assise même de la Doctrine de la science. C’est bien un thème essentiel du fichtéanisme que celui selon lequel la philosophie n’a pas d’autre contenu que la vie et dépend, par conséquent, dans la justification qu’elle en donne, du jugement même que cette vie énonce sur elle-même.

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