Databac

Fichte: Doctrine de la science

Doctrine de la science

• Kant avait voulu élever la philosophie à la scientificité en lui donnant d’abord un objet certain, déterminable de façon nécessaire en sa réalité : la position subjective de ce qui est objectif (le vrai, le bon, le beau), c’est-à-dire le transcendantal (le subjectif, l'a priori, en tant qu’allant, que s’élevant — scandere — au-delà — trans — de lui-même, vers ce qui est autre que lui, qui lui résiste, bref, pour lui, est). Fichte a voulu exprimer cette révolution dans la tâche de la philosophie en lui donnant un nouveau nom. Celle-ci ne doit plus être une doctrine de l’objet ou de l’être, une ontologie, mais une doctrine de la science, du savoir ou de la connaissance de l’être, c’est-à-dire de l’ontologie également constitutive de la conscience, de sa forme la plus naïve à sa forme la plus savante. La philosophie ne doit plus, d’une façon immédiate ou irréfléchie, comme telle grosse de tout l’arbitraire conflictuel qui a marqué jusqu’à présent son histoire, s’interroger sur ce qui est, sur l’étant, mais réfléchir d’abord sur ce sens même : être, à partir de et au sein de ce qui est pour nous l’immédiat, de ce que nous sommes tous, de la conscience la plus commune, pour voir surgir en et de celle-ci le sens « être » et, par là même, son contenu universel ou nécessaire.

•• La scientificité que recherche la WL en tant qu’accomplissement de l’idéalisme transcendantal exige une certaine détermination, d’abord, de son contenu, ensuite, de sa forme, enfin, de sa méthode.

1) Quant à son contenu, il doit être universel, ce qui le limite aux déterminations nécessaires de la conscience de l’être ou aux représentations accompagnées du sentiment de nécessité : par exemple, les choses sont saisies comme appartenant à un monde, comme spatiales..., le Moi se vit comme incarné, comme un Moi parmi les Moi, comme libre vouloir de fins, etc. Sont donc exclues les représentations contingentes et arbitraires : il est nécessaire de vouloir librement, mais pas de vouloir ceci ou cela. Les déterminations nécessaires de la conscience comprennent des catégories et principes scientifiques généraux (le principe de causalité...), mais le contenu des sciences particulières est exclu de la WZ. Ces sciences, en effet, naissent de la libre décision qui fait s’appliquer suivant une loi particulière l’agir général qu’est l’esprit à un objet général de lui-même : ainsi, la géométrie doit son existence à la liberté du Moi décidant de mouvoir selon une loi arrêtée par elle le point dans l’espace. La WL n’est donc pas une encyclopédie des sciences particulières : elle les fonde en leurs éléments constituants nécessaires, mais ne les constitue pas en leur libre unification spécifique de ceux-ci. 2) Quant à sa forme, la WL, comme doctrine elle-même scientifique de la science, du savoir ou de la conscience, doit vouloir unifier en un système toutes les déterminations nécessaires de cette conscience de l’être. Par conséquent, elle suppose nécessairement que celles-ci forment elles-mêmes un système, et le succès de la construction d’un tel système vérifie le bien-fondé de cette présupposition. Que la WL soit un système, cela signifie qu’elle présente la conscience essentielle ou universelle de l’être comme la déduction, à partir d’un principe lui-même constitué par la base, l’assise fondamentale (Grundlage) de la détermination conscientielle, base qu’il s’agit d’établir et fixer d’abord, des déterminations sectorielles présentes dans toute conscience (le droit, l’éthique, etc.). L’établissement du principe — qui n’est pas une déduction — ne va pas de soi, car le noyau de toute conscience de l’être, objectivation, aliénation, négation de l’auto-position qu’est originairement cette conscience, renferme par là une contradiction dont il s’agit de penser la possibilité en synthétisant la thèse (position de soi) et l’antithèse (opposition à soi), qui la suscitent, dans et comme la détermination de l’effort (auto-position assumant son empêchement). Ensuite, la déduction enchaîne les médiations par lesquelles le Moi pose sa détermination principielle ou basale désormais établie, position constituant une nouvelle, plus englobante ou concrète détermination, elle-même à poser par le Moi, etc., cela, jusqu’à ce qu’une détermination totalisante s’avère ultime en tant qu’elle-même se pose dans l’acte absolument libre pour lui- " même et inépuisable, donc indéfiniment à reprendre, qui accomplît le Moi comme éthique. Alors, la déduction se montre achevée, car le Moi éthique pose pour lui-même, a, la position de soi qu’il est originairement dans l’effort. La WL se boucle dans le cercle de son système, où elle se sait reposer comme en sa vérité. 3) Enfin la méthode de la WL requiert que la rigueur scientifique — de l’exigence absolue de ne pas se contredire même en traitant de la contradiction mobilisant le Moi fini — qui a présidé à la fixation de sa base et régi formellement la déduction de son système, contrôle l’expression discursive du contenu déduit. Mais ce contenu est d’abord à recevoir de l’« intuition intellectuelle » en laquelle le Moi est immédiatement présent à lui-même en chacun des « moments » simultanés de son activité totale d’auto-position, et que le Moi philosophant doit réactiver en abstrayant chacun de ceux-ci d’une telle totalité et en les distinguant ainsi les uns des autres, c’est-à-dire en la réalisant elle-même comme une « imagination créatrice » de son contenu pleinement configuré. Le Moi philosophant, qu’il soit l’auteur ou le lecteur de la WL, conceptualise sa reconstruction de lui-même comme Moi naturel moyennant la mobilisation de son imagination créatrice.

••• La WL, se saisissant ainsi comme l’expression conceptuelle d’un acte vivant de recréation intuitive du savoir par lui-même, ne pouvait que s’animer elle-même de sa ré-exposition successive. Fichte passe bien d’une WL à une autre, tout en affirmant rester entièrement fidèle à lui-même. Il est vrai que c’est toujours le savoir de l’être, et non pas l’être lui-même, qu’il expose, même s’il en vient à réinsérer de plus en plus intimement ce savoir dans l’être, non pas, certes, dans l’être que dit le sujet (l’être objectif), mais dans l’être dont le savoir dit qu’il se dit dans le sujet en s’y aliénant déjà, un être pleinement sujet et non plus déjà objectivé dans le sujet fini qui dit l’objet. La première WL s’est déployée notamment dans Y Assise fondamentale de la doctrine de la science dans son ensemble (1794) et les ouvrages sectoriels comme l'Assise fondamentale du droit naturel selon les principes de la Doctrine de la science (1795) et Le système de l'éthique selon les principes... (1798). Le Moi y culmine précisément comme Moi éthique (la religion étant appelée par l’éthique). À partir de 1800, de nouvelles WL, souvent non publiées par Fichte, et dés ouvrages qui veulent en populariser le contenu (La destination de l’homme, 1800, L’initiation à la vie bienheureuse, 1806), font s’accomplir le Moi dans la vie religieuse, susceptible de devenir claire à elle-même dans la philosophie, où la manifestation, qui le constitue, de l’Etre infini de Dieu agissant au cœur de lui-même, se manifeste à elle-même comme telle. Cependant, même ici, l’affirmation de l’Etre qui se manifeste ou « est-là » (Daseiri) dans et comme le savoir déployant le monde sait qu’elle procède elle-même de cet être-là de l’Etre, du savoir de l’Être, savoir qui se relativise et se nie en quelque sorte pour affirmer un Être qui se dissimule au savoir dans et par le savoir lui-même. Le savoir ne peut comprendre pourquoi et comment l’Être se fait savoir. La philosophie fichtéenne, au plus loin de tout absolutisme ontologique, reste jusqu’à la fin, à ses propres yeux, une pure doctrine du savoir, de la conscience ou de la science.

Liens utiles