Fichte: Déduction
Déduction
• Kant voulait élever la philosophie à la scientificité ou systématicité en réunissant toutes ses propositions sous une Idée érigée en principe, mais une telle soumission à un principe, qui consiste à ne pas le nier, ne signifie pas être affirmé ou posé par lui, qui conditionne donc, mais sans déterminer, dans un lien par là non total. Fichte veut accomplir le lien systématique ou scientifique du discours philosophique en substituant à la simple subsomption kantienne la déduction ou dérivation (Ableitung). Ainsi, Kant fait bien de la conscience de soi (du sujet), du « Je pense », ce qui conditionne toute conscience (d’objet) : la relation objectivante de causalité, par exemple, est nécessairement pensable, c’est-à-dire que le « Je pense » s’y retrouve en son exigence d’identification à soi ; mais Kant ne la déduit pas de ce « Je pense » en montrant que, parce que je pense, je pense nécessairement selon la causalité : il trouve cette catégorie (en explorant la table des jugements), dont la « déduction transcendantale » ne consiste pas à engendrer son contenu déterminé à partir du Moi pensant, mais à établir sa vertu générale (celle de toute catégorie) dans la constitution de l’objectivité. Fichte, en revanche, déduit cette catégorie, en son sens singulier, de la pensée de soi définissant le Moi.
•• La déduction fîchtéenne, dans la première Doctrine de la science, part d’un fait (Faktum) ou d’une réalité à admettre qui a pour contenu, non pas quelque chose de donné à la conscience commune (ce qui le récuserait alors comme principe), mais la condition nécessaire rendant possible cette conscience elle-même, son fondement tel que peut et doit l’établir un strict raisonnement philosophique. Une telle assise fondamentale de la conscience consiste dans la structure active portant toute conscience comme présence à soi d’un sujet se représentant un objet. Cette activité complexe au principe de la conscience synthétise, d’une part, un acte infini n’ayant ainsi rapport qu’à lui-même, thèse ou position absolue car non limitée par quelque chose d'autre qu'elle poserait, position de soi se vivant alors comme un Moi, et, d’autre part, un acte, fini, de négation de soi, antithèse par laquelle le Moi s’oppose un Non-Moi. La synthèse de ces deux activités contradictoires n’est cependant quelque chose (la conscience, précisément), et non pas rien, que si, pour ne pas se détruire l’une l’autre, elles se limitent ou déterminent réciproquement sous le primat nécessaire de la première, réciprocité hiérarchisée qui ne se laisse penser que comme l’effort (position de soi comme maîtrise réitérée de ce que l’on s’oppose à soi-même). En son fond essentiel, le Moi, position de soi, est donc position de soi comme effort (voir article Principes). — Telle est la base de la déduction fîchtéenne de la conscience ou du Moi réel. Celui-ci, qui s’affirme pleinement tel dans le monde concret de sa vie aussi théorique, mais d’abord pratique, est le Moi assumant son existence communautaire, se consacrant religieusement, dans un engagement moral absolu alors capable de se réfléchir dans cette philosophie de la liberté qu’est la Doctrine de la science. La déduction rendant elle-même scientifique une telle doctrine compose le Moi réel comme position totale ou concrète de l’essence du Moi en tant qu’effort, position résultant d’une série de positions de plus en plus complètes de cette essence. Ainsi, le Moi qui est effort et qui n’est qu’en tant qu’il se pose, ne se pose comme effort, c’est-à-dire comme agir limité, que par un nouvel agir se vivant à travers un pâtir de lui-même, et tel est le sentiment ; ce sentiment est lui-même posé comme tel par un acte encore plus englobant ou concret, qui est la sensation, etc. Toutes les déterminations de la conscience : intuition, représentation, volonté... sont ainsi successivement déduites comme conditionnant l’auto-position du Moi réel selon son noyau originaire essentiel : elles sont manifestées en leur nécessité en tant qu’elles rendent possible en leur composition finale la conscience de soi réelle. Elles sont déduites selon un ordre linéaire nécessaire conférant à la nouvelle philosophie une systématicité, et la déduction s’achève, en s’avérant par là absolument, quand la dernière détermination a pour contenu la première (la conscience, réelle en tant qu’éthique, est la conscience de l’effort en sa pureté absolue), ce qui fait de cette philosophie un système. La déduction des moments (facteurs) composant la conscience réelle n’exprime pas Une genèse réelle de celle-ci, qui n’existe comme telle qu’au terme de ce qui n’est donc qu’une genèse idéale, reconstruction « logique » du sens synthétique de la conscience finie dont nous avons l’expérience.
••• On voit que le moteur de la déduction fichtéenne, à propos de laquelle on a parfois pu parler de « dialectique », en considérant que c’est l’insuffisance ou la négativité jugée d’une détermination constitutive de la conscience qui exige la position d’une autre détermination, alors que la déduction au sens habituel du terme fait reposer sur l’être de la détermination précédente celui de la détermination suivante. Mais il faut observer que cette négativité à la vertu positive n’est pas celle de la détermination rapportée à elle-même, son auto-négation ou sa contradiction interne — ce que Hegel appellera plus tard le dialectique —, mais sa négativité par rapport à ce qu’elle exige et qui consiste dans la position d’elle-même, c’est-à-dire, absolument parlant, dans ce qui définit l’ultime détermination déduite, la conscience de soi complète et par là réelle présupposée par le philosophe qui entreprend la déduction. C’est ainsi le manque de la détermination première, et de toutes celles qui la suivent, par rapport à la dernière, en cela d’emblée agissante de façon finalisée ou téléologique, qui mobilise ce qu’on ne peut dès lors pas proprement désigner comme une dialectique. Au fond, la déduction fichtéenne vit de la présupposition originelle de ce qui est laborieusement posé ; elle est la reconstruction génétique de la conscience immédiate immédiatement affirmée par le philosophe. La subjectivité philosophante continue de commander le mouvement de son objet.
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