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Fichte: Conscience de soi

Conscience de soi

• Pour Fichte, la conscience de soi n’est pas une simple figure, un simple exemple de la conscience en général, en tant que celle-ci a pour objet un être qui n’est qu’occasionnellement l’être d’elle-même ou du Moi. A dire vrai, une telle conscience de soi comme d’un être n’est pas vraiment la conscience de soi, la conscience de la conscience comme regard se dirigeant, souvent intentionnellement, vers ce qui est autre que cette activité, que cet agir qui la constitue, vers l’être en tant que reçu, subi, c’est-à-dire vers le négatif d’elle-même. C’est ainsi bien plutôt la conscience en général, comme conscience d’un tel négatif de la conscience de soi, qui est englobé par celle-ci comme un moment conditionné par elle : « Sans conscience de soi, il n’y a pas du tout de conscience » (ZE, SW, 1, p. 466). L’affirmation centrale de la philosophie fichtéenne est bien que, dès que le Moi est pour lui-même, est un Moi, naît un être hors de lui. Cette philosophie est d’abord une philosophie de l’agir, et non pas de l’être, une philosophie de la liberté, et non pas de la nécessité.

•• La première Doctrine de la science fichtéenne, dont l’objet est la conscience (le savoir, la science) de l’être, explore cette conscience en son intégralité essentielle, entre une origine et une fin qui ne sont autres que la conscience de soi. Toutes les déterminations de la conscience, théorique et pratique, du monde naturel et culturel, sont montrées, démontrées, comme exigées par le développement de la conscience de soi, pour que le moment primitif de celle-ci se concrétise en sa figure ultime qui est la conscience de soi morale ou éthique. C’est d’ailleurs le choix libre et — selon le legs kantien — requis comme tel par le commandement lui-même moralement absolu de cette conscience, qui l’a fait privilégier philosophiquement comme exprimant le sens total, achevé, de la conscience de soi. C’est bien la conscience de soi éthique qui révèle immédiatement, comme conscience pratique absolue, l’essence foncièrement active de toute conscience. Il s’agit là, reconnaît Fichte, d’une présupposition première, à savoir « que le résultat suprême de la conscience, c’est-à-dire ce à quoi se rapporte toute la multiplicité variée de celle-ci, comme la condition au conditionné [qui, en son affirmation de soi morale, donc absolue, exige, conditionne absolument, la position de ce qui le rend possible en sa nécessité], ou comme les rouages, les ressorts et les chaînettes dans la montre à l’aiguille indiquant l’heure, n’est rien d’autre que la claire et complète conscience de soi (ZE, SW, 1, p. 361). C’est l’auto-imposition de cette conscience de soi comme essence de toute conscience qui a fait affirmer par Fichte, « heureuse idée survenant en lui » (ibid.), comme noyau originaire d’elle-même, ce qu’il appelle la « Ichheit» (Moïté, égoïté), la présence à soi immédiate, non encore réfléchie en tant que telle, que mobilise nécessairement toute conscience de l’être, puisque l’être est pour la conscience ce qui lui résiste, ce qui est autre qu’elle, et qui, par là, se réfère négativement à elle. La conscience tout entière se déploie entre une telle présence à soi immédiate, fondement du Moi, mais qui ne peut pas encore se réfléchir et dire comme un Moi, et l’accomplissement d’elle-même que constitue la conscience morale, où le Moi tend à s’identifier absolument à lui-même en assumant tout son engagement mondain, toute sa concrétisation universelle, c’est-à-dire en s’élevant à une raison qui ne dit plus simplement : « moi ». Tout l’entre-deux est rempli par l’ensemble des déterminations de la conscience — la conscience du monde, celle, corrélative, du Moi, d’un Moi empirique ou mondain individualisé face à un Toi, etc. — dont l’intervention, ainsi nécessaire, rend possible le développement de la « Ichheit » en la conscience de soi morale qui commande absolument sa propre position. On voit que, loin de se réduire à ce moment, ni premier ni dernier, d’elle-même qu’est la conscience du Moi empirique individuel, la conscience de soi, en sa toute-puissance transcendantale, est le principe suffisant de tout le contenu de la conscience. Allant au-delà du kantisme, Fichte pose bien que la conscience de soi ne conditionne pas seulement, mais détermine, n’accompagne pas seulement, mais produit, tout le contenu de la conscience.

••• Si la progression exposée par la Doctrine de la science fait passer du noyau fondateur de la conscience de soi à sa réalisation accomplie dans la vie morale, dont celle-là se veut la célébration, c’est cependant par une réflexivité qui objective pleinement pour le sujet philosophant la pure présence à soi du sujet originaire. La conscience du Soi le perd donc pour une part en le gagnant. Un tel aspect négatif va ultérieurement, lorsque la réflexivité de l’agir spirituel — comme Moi — sera relativisée dans l’approfondissement de cet agir, s’expliciter dans la théorie d’un « hiatus » entre l’être absolu qui se manifeste ou se fait savoir et le savoir même de cet être du savoir. La philosophie fichtéenne se relativisera elle-même définitivement (au profit de la religion) en absolutisant les limites de la conscience de soi comme aliénation de la pure présence à soi de l’être absolu : le savoir de l’absolu ne peut être absolu. Mais les successeurs de Fichte — Schelling et Hegel — libéreront le savoir philosophique de l’absolu des limites de la conscience de soi, en montrant qu’il ne peut pas, sans se contredire, ne pas se savoir lui-même absolu.

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