Fichte: Concept
Concept
• Si un sens est, comme orientation, le mouvement signifiant unifiant une diversité en tant que telle sensible, il peut être une unification elle-même diverse, flottante, et tel est le sens produit par l’imagination, confusion du sens et du sensible, ou une unification elle-même une, unité vraie car sensée, déterminée, fixée, du sens et du sensible : tel est le concept, synthèse de l’intuition intellectuelle de l’agir déployant le sens et de l’intuition sensible exprimant la négation de celui-ci en un être. Le concept est ainsi le sens déposé et reposant dans l’être comme structure, totalité statique alors susceptible d’être comprise dans un signe. Or, l’être, divers, niant l’agir comme identification présupposée, les concepts se rapportent originairement les uns aux autres dans un système de signes articulés par le discours. Synthèse du sens où s’identifie à lui-même le sujet et de l’être où se différencie de lui l’objet, le concept constitue donc la relation intime sujet-objet qu’est la conscience. Mais la discursivité du concept, aliénation du sens intuitionné intellectuellement, étant celle de la conscience, et la philosophie étant elle-même une figure de celle-ci, le problème se pose du statut à accorder à la quête philosophique du sens vrai.
•• La compréhension d’un concept suppose bien — puisque l’on ne comprend que ce que l’on fait — une réactivation du sens originairement intuitionné qui a été comprimé en un signe à travers lequel on en dispose aisément. Mais le renvoi des concepts les uns aux autres au sein du discours peut, comme compréhension dérivée, réduire à l’extrême cette réactivation. Alors, l’analyse conceptuelle se libère arbitrairement de la nécessité de l’intuition intellectuelle seule capable de lui fournir un sens authentique et se perd dans une construction purement formelle de significations extérieures à la vie réelle de la conscience pensante. C’est là une démarche trop fréquente en philosophie. Mais la philosophie ne peut retrouver sa vocation scientifique en tant que doctrine de la science ou de la conscience que dans la mesure où, au lieu de se complaire dans des jeux conceptuels méprisant le langage commun, elle s’emploie à concevoir explicitement les concepts de ce langage, objectivations spontanées de l’activité native de l’esprit présent à lui-même dans l’intuition intellectuelle. C’est pourquoi le discours philosophique, nécessairement conceptuel (puisque conscient, et même deux fois conscient en tant que conscience de la conscience !), est l’incitation, constamment adressée à son lecteur, à rééffectuer consciemment en lui l’intuition intellectuelle du sens subjectif objectivé dans l’être du concept. La philosophie, en sa vérité, n’est pas la création de nouveaux concepts, mais la conception consciente du sens originaire qui s’est déposé, en s’oubliant comme un tel sens, dans les anciens concepts structurant en sa vie la plus ordinaire la conscience naturelle. Mais la conception philosophique du sens comme sens et non plus comme concept naturel ne peut que le viser dans un effort spéculatif sans cesse à reprendre : la philosophie ne peut se fixer dans un système de concepts définitifs.
••• Dans les dernières versions de la Doctrine de la science, qui situent la science, le savoir ou la conscience dans l’être absolument subjectif de la vie divine, comme manifestation conceptuelle de celle-ci sous la forme d’un monde apparaissant en sa diversité statique, le concept reste saisi en sa limitation définitive. Il se conçoit lui-même — en sa culmination — comme incapable, en tant qu’Etre manifesté, d’appréhender l’Être se manifestant, c’est-à-dire sa propre genèse. Le concept s’achève en disant qu’il ne peut dire que lui-même, non l’Etre comme acte de se concevoir soi-même. La philosophie de Fichte est ainsi, en son aboutissement ultime, une philosophie de la relativité absolue de la philosophie, un système conceptuel proclamant absolument la non-absoluité du concept. Hegel aura beau jeu de remarquer que le concept fichtéen, en se relativisant absolument lui-même, dément son propre contenu par la forme même de son affirmation.
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