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Fichte: Communauté (société, État, nation)

Communauté (société, État, nation)

• Fichte, pour qui « l’homme ne devient homme que parmi les hommes » (GNR, SW, 3, p. 39), identifie la communauté ainsi anthropogène successivement à la société, puis à l’État, enfin à la nation, dans une progression de l’intensité du lien réunissant à chaque fois les individus. La société est leur interaction horizontale spontanée, non institutionnellement, c’est-à-dire extérieurement, répressive, comme l’est en revanche l’autorité rendue quasi transcendante de l’Etat. Mais le lien national, lui, est encore plus fort, parce qu’il est ancré, comme ce qui les porte, à l’intérieur même de ces individus. La philosophie politique de Fichte a donc pu apparaître d’abord comme socialisante, puis comme étatiste, enfin comme nationaliste, suscitant autant de critiques par son caractère toujours très entier.

•• C’est dans ses premiers textes (par exemple : Contributions destinées à rectifier les jugements du public sur la Révolution française, 1793, et Leçons sur la destination du savant, 1794), en sympathie proclamée avec la grande Révolution, que Fichte, internationaliste et anti-étatiste, célèbre la société. Il y déclare que l’Etat doit essentiellement rester dans ses limites, et qu’il n’est d’ailleurs qu’une institution provisoire vouée au dépérissement : « La vie dans l’Etat ne figure pas parmi les buts absolus de l’homme, mais l’Etat n’est qu’un moyen — existant sous certaines conditions — de fonder une société accomplie » (BG, SW, 6, p. 308). La société proprement dite, naissant spontanément de la libre interaction des individus est, par son caractère libéral, le lieu essentiel de la culture et de l’éducation, tout comme elle est également la source de toute assistance concrète. — Dans les œuvres plus systématiques de la première Doctrine de la science (notamment l'Assise fondamentale du droit naturel, 1796), Fichte fait se réaliser le droit, exigé par la nature libre de l’homme, dans le droit étatique. L’Etat, détermination jugée désormais nécessaire de la raison, assure par son organisation contraignante la coexistence des libertés individuelles. Il naît du contrat civique qui fait s’unir les individus en une communauté capable de protéger la propriété délimitée accordée à chacun, et dont la force s’exerce à travers un gouvernement représentant le peuple et disposant de tous les pouvoirs, non séparés. Le fait que ce gouvernement soit contrôlé par des « éphores » autorisés à en appeler au peuple en cas d’abus de pouvoir n’a pas suffi à détourner de l’Etat fichtéen l’accusation d’Etat policier (Hegel). Il est vrai qu’il se soumet dans un dirigisme strict toute l’organisation économique (L’État commercial fermé, 1801), dans une autarcie aux antipodes de tout internationalisme. — C’est précisément la nation qui est présentée, dans les Discours à la nation allemande (1808), comme la communauté vraie, car concrète, des hommes. L’État est alors rabaissé à son simple instrument, ordonné à la tâche subalterne d’assurer la sécurité des personnes et des biens. Car la nation, manifestation particularisée de la vie divine en laquelle sont enracinés, à travers elle, les individus, est le lieu où ceux-ci, dépassant la phase historiquement provisoire de l’égoïsme, peuvent communier entre eux au sein de leur source spirituelle une. Les Allemands, qui ont su rester fidèles à leur âme originelle, vivante dans leur langue, sont spécialement appelés à régénérer, moyennant une éducation nouvelle, cette dimension nationale de l’esprit.

••• Il est à remarquer que la première et la dernière philosophie politique de Fichte, dans leur exaltation de la société ou de la nation, assignent à celles-ci une finalité méta-politique, essentiellement culturelle ; la politique est plus que simplement politique. Mais, même dans sa période « étatiste », Fichte élève l’homme au-dessus du citoyen : « l’humanité se sépare de la citoyenneté pour, avec une absolue liberté, s’élever à la moralité ; mais cela, seulement pour autant que l’homme passe par l’Etat » (GNR, SW, 3, p. 206). Ainsi, toujours, selon des degrés différents, le moment proprement politique de l’existence est relativisé dans un développement qui a pour fin la culture spirituelle des hommes, une culture dont la compréhension, elle aussi, a varié chez Fichte, mais pas la consécration.

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