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Fichte: Athéisme (Querelle de l')

Athéisme (Querelle de l')

• La « Querelle de l’athéisme » — l’une des grandes querelles philosophiques allemandes après celle du panthéisme, qui opposa, vers 1785, à Jacobi prétendant que Lessing avait adhéré au panthéisme (identifié à l’athéisme !) de Spinoza, Mendelssohn soucieux de laver celui-là d’un tel propos jugé infâmant — amena Fichte à quitter l’Université de Iéna. Il avait préfacé, dans son Journal philosophique, l’article de l’un de ses disciples, Forberg, sur « Le développement du concept de la religion », avec un texte intitulé « Du fondement de notre croyance en un gouvernement divin du monde » (1798). Ce texte suscita un écrit anonyme haineux accusant le philosophe d’athéisme. Le consistoire de Dresde éleva alors à l’encontre de Fichte une semblable accusation. La cour de Weimar rechercha bien un compromis, que l’intransigeance indignée de Fichte, qui voulait voir son droit reconnu, fit échouer. Il publia des réponses et réclamations très fermes et menaça d’abandonner sa chaire, certain d’être suivi par beaucoup de ses collègues. Le gouvernement du duché le prit au mot et accepta sa démission : Fichte partit, seul !

•• L’article fichtéen de 1798 rapporte l’affirmation d’un Dieu d’abord, certes, à la présence agissante, dans l’esprit fini, de la loi morale, mais ensuite aussi à la certitude, proprement religieuse, de l’existence de cette loi, au sein même du monde sensible, comme « ordre moral ». Un tel ordre moral du monde, identique à Dieu, à vrai dire, n'est pas, au sens courant où l’on dit être le monde, objet que le sujet ou Moi fini pose en se l’opposant, ce qui ne saurait être le statut d’existence de Dieu. Fichte refuse donc le simple être [Sein], objectif, à Dieu, d’où l’accusation d’athéisme : or l’être objectif, être posé par la conscience finie, ne saurait convenir à la puissance infinie. Ne peut lui convenir qu’un être qui soit plus que l’être, c’est-à-dire que l’être-posé, à savoir le sur-être posant, l’acte même. L’ordre moral divin est un ordo ordinans auquel le Moi fini doit participer, au-delà de sa simple connaissance, par l’agir moral où il s’accomplit. Dans des textes, liés à la querelle, des années 1799 et 1800, Fichte souligne que Dieu ne peut être rien d’autre que cet ordre moral vivant et agissant, et que la conscience religieuse est celle du lien entre l’agir moral du Moi et ce Dieu qui permet à cet agir d’avoir des suites dans le monde : « Toute croyance qui contient plus que ce concept de l’ordre moral est, dans cette mesure, fiction et superstition » {Extrait d'un écrit privé, 1800, SW, 5, p. 394). Plus tard, Fichte redonnera un sens absolu au terme d’être en le distinguant de l’être auparavant identifié à l’être objectif, désormais rabaissé au simple être-là, à la simple existence, manifestation (alors seconde) du sujet ou du Moi lui-même saisi comme (première) manifestation de l’être absolu de la vie divine agissant à son principe. En tout cas, Fichte, s’inscrivant dans la nouvelle philosophie du sujet inaugurée par Kant, n’attribua jamais à Dieu le simple être objectif ou substantiel : l’être de Dieu ne consiste pas à être, mais à se faire dans une auto-activité absolue.

••• Si l’accusation d’athéisme dirigée contre Fichte procédait ainsi de l’ignorance où étaient ses accusateurs du sens réel de sa philosophie, celle-ci pourrait cependant, aux yeux de certains commentateurs, revendiquer une sorte d’athéisme, au sens seulement privatif du terme, en ce sens qu’elle ne peut pas plus être, en et par elle-même, une affirmation de Dieu, que de n’importe quoi d’autre affirmable par la vie, car elle n’est pas vie — or seule la vie affirme réellement et s’engage — mais seulement réflexion sur la vie, savoir de la vie : « Le vivre est, très proprement, un non-philosopher ; le philosopher est, très proprement, un non-vivre » {Rappels, réponses, questions, 1799, SW, 5, p. 343). Il faut distinguer strictement une philosophie de la religion et une philosophie religieuse, car la philosophie ne peut par elle-même constituer un engagement religieux : « La philosophie de la religion n’est pas de la religion... ; la religion est efficiente et puissante, la théorie est morte en elle-même ; la religion remplit de sentiments, la théorie ne fait que parler d’eux » {ibid., p. 351). La philosophie n’affirme ni ne nie Dieu. Il est vrai, cependant, qu’en parlant de la religion — comme de toute autre forme de la vie, et même si elle est la plus haute de ses formes réelles —, la philosophie en montre la genèse nécessaire comme moment rendant possible la pleine conscience de soi et justifie ainsi la vie religieuse comme vie de cette conscience refusant de se contredire dans l’assomption de son propre être. Il est vrai que le philosophe sait qu’il ne peut être seulement philosophe et que l’homme total doit, en lui, assumer son moment religieux, qui, au demeurant, peut seul nourrir la philosophie vraie. Mais la conscience peut parfaitement se contredire elle-même, car elle est libre : le choix de la non-contradiction ou de la contradiction est un choix éthique que la philosophie peut éclairer, non dicter. La théorie de la nécessité de la religion n’est pas nécessairement la pratique de celle-ci.

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