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Fichte: Amour

Amour

• Dans la première philosophie de Fichte, qui insiste sur la corrélation originaire stricte de la conscience d’un Moi et de la conscience d’un Toi, la réalisation développée de cette corrélation s’opère essentiellement dans une interaction morale par laquelle les Moi s’incitent mutuellement à se libérer progressivement en vue d’une existence rationnelle à venir. C’est dans le dépassement d’une telle relation horizontale directe entre les sujets finis voués à l’effort éthique sans fin, et leur insertion native dans la vie infinie de l’esprit dont ils éprouvent religieusement la présence agissante au cœur d’eux-mêmes, que l’amour, qui enveloppe ainsi leur lien entre eux dans leur lien vertical à leur principe divin, est consacré philosophiquement comme un concept majeur de la pensée fichtéenne. Une telle promotion spéculative de l’amour témoigne bien, chez Fichte comme chez Hegel, de la promotion de la religion, qui élève la raison à son contenu vrai, bien loin que, ainsi qu’il en allait chez Kant, la raison philosophante ait à rabaisser la religion à ses propres limites.

•• L’expérience de l’amour est l’expérience même de l’Etre, non plus comme altérité de l’objet qui n’est qu’une objectivation du sujet fini, mais comme celle du sujet infini dont celui-là s’éprouve lui-même comme une simple objectivation ou manifestation. Cependant, l’Etre n’est l’objet d’une telle expérience que parce qu’il en est d’abord le sujet. L’Etre, absolu ou divin, s’aime lui-même, en tant que, exsistant, s’objectivant ou manifestant, il se sépare de lui-même en lui-même à travers les sujets finis alors posés par lui, mais, se séparant, s’affirme encore en son identité avec soi de sujet dans ces sujets qui sont alors amour de lui. L’amour partage ainsi l’Être en le réunifiant aussitôt dans les êtres qu’il aime et qui l’aiment, qui s’aiment aussi les uns les autres en tant qu’il s’aime à travers eux. Il n’est donc pas l’objectivation inerte du sujet absolu, il en fait bien plutôt le sujet vivant. Cet amour vivifiant qui unifie étant d’abord le principe de la séparation et non pas seulement son but, cette séparation est en soi aussitôt surmontée, et la vie qu’il suscite est d’emblée en soi accomplie comme béatitude. Assurément, la vie bienheureuse de l’amour peut, en fait, ne pas se réaliser immédiatement de façon adéquate : la finitude de l’homme la lui fait atteindre généralement à travers cinq étapes d’une dialectique ascendante de l’amour ; mais, en soi, la possibilité de sa réalisation immédiate est donnée, et certains hommes en témoignent.

••• La promotion philosophique de l’amour ne consiste pas seulement à lui faire exprimer le contenu, ultime, de la réflexion philosophique, mais, plus fondamentalement encore, à renvoyer à lui, comme à sa raison d’être, la forme même, initiale, de cette réflexion. N’est-ce pas l’amour, cette culmination de la vie, qui se reflète dans l’acheminement réflexif de la pensée, où le philosophe fichtéen fait s’opposer celle-ci à elle-même, y fait surgir sans cesse des contradictions, pour en dégager la conciliation croissante (partage et réunion) ? N’est-ce pas la certitude du triomphe de l’amour qui assure dans elle-même une démarche réflexive qui, amenée à opposer le savoir et l’être ou l’absolu, sait absolument cette opposition et, forte de ce savoir absolu de la relativité du savoir, se relativise elle-même comme réflexion philosophique et se confie à l’amour religieux ? Or, et pour ne rien dire, au demeurant, d’un tel traitement réflexif final de la réflexion philosophique chez Fichte, ne peut-on pas s’interroger sur son affirmation que la réflexion est le reflet pensant de l’amour vivant ? L’amour tel que Fichte le comprend n’est-il pas plutôt lui-même une projection de la réflexion sur la vie ? Car, à son époque, les penseurs qui ont célébré l’amour (les Romantiques...) et, particulièrement l’amour religieux (Schleiermacher...), en ont parlé bien différemment.

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