Fichte: Action - agir ou faire - fait
Action - agir ou faire - fait
• L’opposition cardinale, dans la vie comme dans la philosophie, est, selon Fichte, celle de l’agir et de l’être. Dans la vie, le grand choix est, pour l’homme, entre, d’un côté, l'agir assumé en sa pureté, non pas comme dans la coutume où il devient une sorte d’être, mais comme un faire qui est précisément à faire, tel est l’agir moral, et, d’un autre côté, l'être en tant qu’il ne peut qu’être reçu et qu’on attend de lui le bonheur. Il y a ainsi les « moralistes », qui veulent agir, et les « eudémonistes », qui désirent jouir. Héritier de Kant, Fichte choisit le moralisme ainsi entendu : « Agir, agir, voilà pourquoi nous sommes là ! (BG, SW, 6, p. 345). Privilégiant l’action par rapport à la réception, la vie culminant dans la morale par rapport à la pensée d’abord soucieuse de saisir l’être, Fichte fait déterminer la seconde par la première et reposer sur l’opposition moralisme-eudémonisme l’opposition philosophique fondamentale entre le réalisme, qui, affirmant l’être, est dogmatique, et l’idéalisme, qui s’en libère en ramenant de façon critique l’activité pensante sur elle-même.
•• À vrai dire, tout homme, et donc tout penseur, affirme et l’agir et l’être : il n’y a d’être, d’être vraiment être, d’être vrai, que pour une pensée qui doit parfois beaucoup s’activer pour le découvrir, et l’agir ne se vit comme tel qu’en niant un être qu’il n’est pas et en affirmant son propre être en s’identifiant à soi-même dans la cohérence de ses phases. Agir et être sont des corrélatifs indissociables. Mais on peut se représenter leur corrélation de deux façons opposées. Pour le réaliste, l’agir suppose un être, l’être agissant, dont il est un simple prédicat, une simple propriété ; pour l’idéaliste, l’agir pose un être, qui n’est que son dépôt, son produit. Cependant, la corrélation réaliste ne peut faire s’affirmer l’être, pure identité à soi, repos ou inertie, comme agir, l’agir consistant à être soi-même, identique à soi, en étant autre que soi, différent d’avec soi, qu’autant que le penseur réaliste, paradoxalement dans un activisme arbitraire, ajoute à l’être, qu’il contemple en sa passivité, cet agir qui n’a de sens pour lui que parce qu’il l’a pratiqué, mais en le mésinterprétant ; cette mésinterprétation consiste à regarder le faire comme un être, à le nier en un fait, ce qui revient à le supprimer comme l’un des corrélatifs. En revanche, le penseur idéaliste se contente d’exprimer le passage tout à fait légitime de l’agir à l’être. L’agir, cet arrachement à soi-même, peut parfaitement se nier comme agir, et pâtir ainsi de ce qui est alors pour lui un être. Le premier être est, pour un tel agir, lui-même, lorsque, au lieu d’être présent immédiatement à lui-même en agissant, il se détermine, délimite, limite, nie, en s’opposant ou exposant comme agir. Le fait (Tat) qu’il y ait un fait, un être, une chose (Sache}, bref : la Tatsache, est l’objectivation, l’objection à soi, la négation de soi ainsi seconde du fait lui-même originaire qu’il y ait un faire, un agir, une action (Handlung), c’est-à-dire d’une Tathandlung. Cette Tathandlung, que le philosophe doit admettre au principe de tout sens, de tout ce qui est pour une conscience, ne peut elle-même avoir de sens pour lui que parce que, comme homme, il l’actualise sans cesse, sans réfléchir sur elle. Il s’agit de la ré-effectuer avec réflexion. La philosophie veut mobiliser sa présence à soi qui éclaire tout et que Fichte appelle l'intuition intellectuelle.
••• L’agir n’appartient donc pas à un être, il est l’être lui-même, au sens actif de l’infinitif « être » (« esse»), qui est sujet de lui-même, sans être déjà nié par son objectivation finie dans un « il est » [« est»]. Un tel agir pur identique à l’être est, en tant qu’action ou vie, réflexion en soi, mais sans que cette réflexion interne se réfléchisse à nouveau, cette fois-ci en s’extériorisant, c’est-à-dire en différenciant de son identité la différence, en elle, d’un réfléchissant et d’un réfléchi se déterminant ou limitant l’un par l’autre. Ce qui signifie que cet agir absolu, qu’il faut nécessairement admettre pour que soit possible le moindre jugement : « c’est », expression de l’expérience ou épreuve la plus commune, du pâtir le plus général, et qui doit bien être actualisable puisque le mot « agir » a un sens, ne peut lui-même être déterminé, c’est-à-dire pensé ou su effectivement. Mais peut-on vraiment penser, en bon fichtéanisme, que le principe de toute pensée effective ne soit pas lui-même effectivement une pensée ?
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