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FÉNELON François de Salignac de La Mothe

FÉNELON François de Salignac de La Mothe. Évêque et écrivain français. Né le 6 août 1651 au château de Fénelon, dans le Périgord, mort à Cambrai le 7 janvier 1715. Sorti du séminaire de Saint-Sulpice, ordonné prêtre vers 1675, il rêve de missions lointaines. Mais, après trois ans de ministère paroissial à Saint-Sulpice, l'archevêque de Paris lui Confie la direction de l'établissement des Nouvelles Catholiques, où l'on recevait les jeunes protestantes récemment converties. Pendant les dix ans qu'il remplit ces fonctions, Fénelon se lie avec des personnalités du monde parisien, en particulier avec le duc de Beauvillier et sa femme, mère d'une nombreuse famille, pour laquelle il écrit le Traité de l'éducation des filles (1689). Il avait également rencontré Bossuet, s'était entièrement attaché à lui, et avait composé sous son inspiration le Traité du ministère des pasteurs (1688), dans lequel il établissait l'illégitimité des ministres protestants; ce fut encore grâce à la recommandation de Bossuet que Louis XIV, qui venait de révoquer l'Édit de Nantes, confia à Fénelon la direction d'une mission en Saintonge et en Poitou. Repoussant tout emploi de la force, Fénelon obtint de grands résultats dans ces provinces troublées par le fanatisme religieux, en n'usant que de prudence et de charité, et grâce à une façon particulière d'accommoder le catholicisme (jusqu'à sacrifier l'« Ave Maria » au début de ses sermons), sans rien renier cependant de l'essentiel. Aussi, malgré les censeurs, Louis XIV accorda toute sa confiance à Fénelon et, poussé par Mme de Maintenon, il le choisit en 1689 comme précepteur de son petit-fils, le duc de Bourgogne, nature dure et hautaine, caractère difficile, que Fénélon saura apprivoiser peu à peu. Il compose pour lui des résumés historiques et moraux comme les Dialogues des morts, des traités littéraires, des Fables , et surtout les Aventures de Télémaque . Son préceptorat terminé, Fénelon est nommé par Louis XIV archevêque de Cambrai (1694). C'est à la même époque que Mme Guyon commençait à attirer sur elle l'attention des milieux ecclésiastiques; bien vue à la cour, accueillie par Mme de Maintenon et Mme de Beauvillier, en relation avec Bossuet lui-même, Mme Guyon, — on s'en aperçut bientôt — professait le mysticisme sentimental connu sous le nom de quiétisme, et que l'Église avait condamné dès 1691. Le quiétisme, en face de la mystique traditionnelle, inclinait à dédaigner l'étape ascétique, la lutte contre les passions. Mme Guyon avait d'autre part l'âme d'une animatrice de secte; plusieurs fois emprisonnée, elle fut ensuite condamnée par les conférences ecclésiastiques d'Issy. Mais Fénelon, entre-temps, avait été gagné à sa cause : dans le quiétisme, il voyait surtout une religion présente au coeur. Il espéra rallier Bossuet à Mme Guyon; mais, apprenant que Bossuet préparait une Instruction contre le quiétisme, il fit rapidement paraître son Explication des maximes des saints, fortement influencée par l'hérésie guyonniste. Bossuet, qui voyait dans le quiétisme une primauté accordée à l'expérience intérieure (trait fondamental de Fénelon) aux dépens de la tradition de l'Eglise, et qui soupçonnait son ancien protège de verser déjà dans le déisme, rompit avec lui et l'attaqua vivement jusqu'à ce qu'il obtînt, en 1699, la condamnation de son livre par le Saint-Siège. Fénelon fit aussitôt une humble soumission, mais des lèvres plus peut-être que du coeur. Au même moment, sans l'aveu du prélat, était publié le Télémaque : Louis XIV y vit une critique de son règne, fit arrêter l'impression, et disgracia l'auteur. D'Alembert a pu dire que « la grande hérésie de Fénelon était en politique, non pas en théologie ». Fénelon était en effet, aux yeux de Louis XIV, « le plus bel esprit et le plus chimérique du royaume ». Il appelait des réformes, mais en rétrograde plus qu'en homme de progrès; dans son Examen de conscience sur les devoirs de la royauté et dans ses fameuses Tables de Chaulnes, c'est au nom de la stricte tradition qu'il s'en prend à l'absolutisme. Son idéal, proche de celui de Saint-Simon, est d'une monarchie fortement tempérée par une noblesse honorée et puissante, rénovée par l'accès aux professions commerciales, mais purifiée par l'interdiction de toute mésalliance, et qui, sans exercer directement le gouvernement, contrôlerait l'autorité royale. Désormais, réfugié et en quelque sorte exilé dans son diocèse, Fénelon ne fut plus qu'un pasteur irréprochable, prenant soin de 1 instruction religieuse, secourant ses fidèles, ou se dépouillant de tout, pendant le dur hiver de 1709, pour nourrir l'armée française qui campait devant sa ville. La mort de son élève le duc de Bourgogne mit un terme à ses dernières ambitions politiques; visité par de nombreux étrangers de distinction, directeur écouté, il écrivait son Manuel de Piété et dans ses Lettres, où il réintégrait son quiétisme dans le cadre du christianisme traditionnel, il prodiguait à ses filles spirituelles d'admirables conseils de renoncement, qu'il était le premier à mettre en pratique. Plus encore que sa doctrine, c'était la personne de Fénelon qui séduisait. Cet être un peu chimérique était plus humain que Bossuet, nerveux, sentimental, à la fois sévère et courtois, lettré, raffiné et gai, enfantin parfois jusqu'au mauvais goût de la sensiblerie guyonniste, d'une extrême tolérance, aimant les artistes, permettant le théâtre, mais capable aussi bien de se révéler comme un directeur exigeant, rigoureux, bien plus que ne le laisserait croire sa doctrine, mais toujours assez délicat — ou assez habile — pour entourer ses injonctions ou ses défenses d'une onction insinuante, irrésistible. Fuyant, péchant par dérobade en face de Bossuet qui pèche par violence, partagé, sinon tourmente, il fut à l'image de cette époque de transition qu'est la fin du Grand Siècle : son hellénisme n'a pas la grandeur de l'hellénisme des vrais classiques, mais il est plus vivant aussi, et c'est, comme l'écrivait Sainte-Beuve, « de l'antique ressaisi naturellement et sans effort » ; sa religion veut une piété plus amoureuse mais plus libre aussi, elle pousse à se confier à l'instinct de la conscience, à un abandon sentimental à Dieu qui, détaché du dogme, deviendra aisément la religion de Mme de Warens et du Rousseau de Clarens et des Rêveries — celui-ci dans sa jeunesse, avait d'ailleurs subi, comme influence majeure, celle de Fénelon. L'utopiste de Salente, exalté par la nature, n'est pas loin non plus du Jean-Jacques politique. Contemporain de Bossuet par l'âge (quoique de vingt-quatre ans son cadet), il l'est bien plus, par l'esprit, des hommes « sensibles » du XVIIIe siècle.
? « Je suis à moi-même tout un grand diocèse, plus accablant que celui du dehors. Mon fond semble changer à toute heure. » Fénelon. ?« Fénelon imite Homère, Virgile et Platon, jusqu'à la souplesse désossée d'un vêtement qui se plie au nu et aux formes des membres... Il effémine avec grâce cette langue trop durcie par la trempe de Bossuet; il la rend malléable et propre aux plus tendres épanchements de la piété, de la rêverie et de l'amour. » Lamartine. ? « C'est un mystique sans ascension de coeur, comme disent les mystiques. » J. Barbey d'Aurevilly. ? « On a tracé de Fénelon vingt portraits, qui en donnent une idée juste sans le représenter exactement, tant il fut complexe, ondoyant et flexible, humble et hautain, détaché et soigneux de lui, résigné, puis soudain redressé vers l'espérance. » Mgr Crente. ? « Tendre et violent, détaché et tenace, avide à la fois de se perdre et de se dominer, cet amant des âmes, cet amant de Dieu offre l'image d'une flamme tantôt fumeuse, tantôt très pure, mais permanente.» Marcel Arland.
Fénelon, François de Salignac de la Mothe-Fénelon (château de Fénelon, Quercy, 1651-Cambrai 1715); archevêque de Cambrai. De tempérament romantique et rêveur, légèrement instable, F. est issu d’une famille noble ancienne mais ruinée. Devenu prêtre en 1675, il se consacre d’abord, après avoir remporté de brillants succès en tant que prédicateur, à l’éducation de jeunes filles protestantes converties au catholicisme, une activité qui donne le jour au Traité de L'éducation des jeunes filles (1687). Peu après (1689), il devient précepteur princier, affecté à l’éducation du jeune duc de Bourgogne, l’aîné des petits-fils de Louis XIV en qui il place tous ses espoirs politiques. Depuis 1688 (rencontre avec Mme Guyon), il s’est tourné vers le spiritualisme et le quiétisme, ce qui lui vaut les attaques de Bossuet. Pour se défendre, il publie une Explication des maximes des saints (1697) condamnée par Rome deux ans plus tard. Acceptant le jugement de Rome, F. se retire alors dans son diocèse (il est depuis 1695 archevêque de Cambrai). Les causes de cet exil sont également politiques. Dans sa Lettre à Louis XIV (1694 ?), F. s’était déjà livré à une critique acerbe de la politique du « Roi-Soleil ». La publication en 1699 des Aventures de Télémaque, roman pédagogique composé à l’intention du duc de Bourgogne et proposant une sorte d’utopie politique derrière un travestissement mythologique, lui vaut la disgrâce : Louis XIV interprète cet écrit comme une critique de son règne et lui retire ses faveurs. F., qui garde jusqu’à sa mort une attitude digne et vertueuse, écrit aussi des Fables, ainsi qu’un important programme politique intitulé Tables de Chaulnes (1711). Il y défend l’idéal d’une société strictement hiérarchisée, qui serait dirigée par l’aristocratie, ainsi qu’un modèle politique décentralisé, reposant sur une pyramide d’assemblées des trois ordres dotées de larges pouvoirs. Il prévoit en outre d’importantes réformes dans les domaines de la fiscalité, de la justice, de l’économie. F. apparaît comme le principal représentant de tout un courant d’opposition aristocratique à Louis XIV, auquel appartiennent également le duc de Saint-Simon, auteur des célèbres Mémoires, dont les idées politiques renchérissent sur celles de F., et Boulainvilliers, dont les idées s’apparentent à celles de F. et de Saint-Simon. F. s’inscrit en réaction contre toutes les grandes tendances de son temps : la centralisation monarchique, l’appareil administratif des intendants, le mercantilisme (il met l’accent sur l’importance de l’agriculture), le luxe excessif, et enfin le gallicanisme, dans la mesure où il revendique l’autonomie respective des pouvoirs ecclésiastique et séculier. Il peut apparaître ainsi comme un nostalgique du passé. Toutefois, son idéalisme politique, son aversion pour le despotisme, sa sensibilité font de lui un précurseur des philosophes du xviiie siècle.
Bibliographie : A. de La Gorce, Le Vrai Visage de Fénelon, 1958 ; M. Raymond, Fénelon, Bruges, 1967.