familier
C’est un caractère du style, apparemment saisissable en fonction de la hiérarchie des niveaux et des genres. L’un des emplois les plus stables du terme le situe d’emblée en relation avec une matière traitée (ce qui est un des paramètres majeurs dans l’appréciation des niveaux stylistiques) : des lettres, des mémoires, des descriptions à tonalité intime. Mais il s’agit bien sûr que l’ensemble des déterminations de l’élocution et de la disposition obéisse à un minimum (c’est-à-dire à assez) de dignité et de convenance. Il faut donc que l’écriture de ces textes, dans la mesure où on les prend en eux-mêmes, soit de style moyen. On en arrive à une sorte de synonymie entre les deux qualificatifs, synonymie réduite à la caractérisation d’un champ thématique et générique limité. La question est en réalité, comme souvent en rhétorique, plus complexe, à cause des diverses strates de la culture en ce domaine. Ce trait de style peut être circonscrit par le rapprochement avec un autre trait, nettement axiologique celui-là, et fortement décalé ou déclassé, celui de bas. C’est tout le problème de savoir s’il y a vraiment une tripartition élevé-moyen-bas, avec des caractérisations précises et également acceptables pour chaque niveau ; ou s’il n’y en a vraiment que deux, les deux extrêmes, avec l’idée qu’évidemment tout ce qui n’est pas élevé est bas, et que ce qui est bas est fondamentalement vicieux, la qualité authentique ne pouvant qu’appartenir à l’élevé. Dans ce dernier cas, point de place pour du moyen acceptable, encore moins pour du familier, irrémédiable-ment réduit à la bassesse. C’est pratiquement le sens actuel de l’adjectif, en socio-lexicologie, et même en lexicologie historique, pour la langue des xviie et xviiie siècles. Mais, au cours de toute l’étendue de la tradition rhétorique, l’ambiguïté demeure. Un bon exemple de cette ambiguïté apparaît dans un passage de l’article «familier» du Dictionnaire de l'Académie française (1694). On appelle discours familier, style familier, un discours, un style naturel et aisé tel que celuy dont on se sert ordinairement dans la conversation entre bonnestes gens, & dans les lettres qu’on escrit à ses amis. Et on dit qu’un terme est familier, pour dire qu’il n’est pas assez respectueux eu esgard aux personnes à qui, ou devant qui on parle. Les termes d’affection & d’amitié sont des termes familiers à l’égard des personnes qui sont au dessus de nous. On appelle Epistres familières, les lettres que Cicéron a escrites à ses plus familiers amis. Et on dit proverbialement d’un homme qui se rend trop familier, qu’il est familier comme les Epistres de Cicéron.
On trouve à peu près tout dans ce texte. Une analyse lexicologique qui semble une leçon de bonnes manières et qui est en réalité une étude sociolinguistique (sur l’emploi dit familier de certains mots) : on insiste là sur l’aspect fondamentalement social de cette caractérisation. Il s’y attache également une connotation nettement négative. Un amusant jeu de mots littéraire, où l’on prend manifestement en deux registres différents (mondain et culturel) la portée du même terme. Et pourtant, l’ensemble est bien présenté sous l’angle de la valeur rhétorique (un discours - un stylé), immédiatement mesurée par rapport à un code social, à un niveau tendant plutôt vers le bas, mais dans la dignité de l’honnêteté, ce qui biaise considérablement le critère du naturel. Le familier ne saurait donc être véritablement bas, d’autant qu’il a pour modèle les lettres de Cicéron, qui ne saurait déroger, dans quelque matière (et nous y revoilà) que ce soit, à la dignité de l’orateur parfait. Malgré les tentations de dérapage axiologique, le familier, en tant que rhétorique, reste toujours très convenable.
=> Orateur; style, niveau, genre; élevé, moyen, bas; élocution, disposition; honnêteté, convenance, dignité; vices, qualité; naturel.
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