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évidence

Ce terme, parfois utilisé pour traduire le grec énargéia, correspond à un ordre de réalité qu’il n’est pas toujours facile de situer, entre la catégorie des figures (et il ne pourrait s’agir en ce cas que de figure de type macrostructural), et celle des qualités du style. Quintilien en parle à propos des effets, à susciter nécessairement, de l’imagination. Si j’ai à parler d’un homme qui a été assassiné, ne pourrai-je point me figurer tout ce qui a dû se passer en cette occasion? Ne verrai-je point l’assassin attaquer un homme à l’improviste ? lui mettre le poignard sous la gorge? Et celui-ci, saisi de frayeur, crier, supplier, faire de vains efforts pour se défendre, et enfin tomber percé de coups ? Ne verrai-je point son sang qui coule, la pâleur qui recouvre son visage, ses yeux qui s’éteignent, sa bouche qui s’ouvre pour rendre son dernier soupir? C’est à cela que servira /évidence, qui ne semble pas tant dire une chose que la montrer : d’où naîtront les sentiments dans notre âme, comme si nous étions présents à la chose même. Quintilien précise qu’il s’agit au fond d’une sorte d’ornement : c’est même selon lui la plus grande beauté d’un discours. Un discours est orné quand il ne se contente pas d’être clair et probable. Le premier degré pour parvenir à une plus grande perfection est de concevoir vivement les choses; le second, de les exprimer comme on les conçoit; le troisième de répandre sur elles un certain éclat, en quoi consiste rigoureusement la beauté. C’est sans doute un merveilleux secret, quand nous parlons d’une chose, de savoir l’exprimer si vivement qu ’il semble qu ’elle se passe sous les yeux.

Car nos paroles font peu d’effet et ne prennent pas cet empire absolu qu’elles doivent prendre, lorsqu’elles ne frappent que l’oreille, ou lorsque le juge croit simplement entendre un récit, et non pas voir de ses yeux ce dont il s’agit. L’un des moyens pour y parvenir consiste à exprimer trait pour trait l’image d’une chose, comme dans les tableaux; un autre consiste à rassembler un amas de circonstances naturellement représentées, pour peindre l’image de l’action ou de l’objet; enfin, on peut s’attacher à tous les accidents de la chose, les développer à loisir et à foison ; et c’est particulièrement dans cette troisième manière de traiter son sujet qu’il peut être judicieux de recourir pertinemment aux comparaisons, aux similitudes et aux métaphores. On a donc affaire à un système d’effets, assorti d’un ensemble de moyens formels. Parmi ceux-ci, on notera, entre autres, les diverses composantes de la description, l’hypotypose, la conglobation, le recours à des procédures discursives qui englobent la deuxième personne, l’utilisation de verbes de sensation ou de représentation, des intensifs, des jeux sonores. Quant à l’effet, Scaliger insistera, au xvie siècle, sur la force du discours rendant les choses présentes d’une manière remarquable, sur la vivacité de l’expression, sur l’impression de choses vues. Il semble que l’évidence désigne ainsi plutôt une valeur majeure du style. Par-delà la naïveté linguistique de la présentation traditionnelle (cette fameuse et ridicule suppression de l’écran du discours, avec l’idée que l’auditeur est transformé en spectateur), on sera particulièrement sensible au caractère social de cette qualité. Elle illustre à la fois le devoir-être, l’exigence et la force du discours : celui-ci est appréhendé ainsi comme acte, comme dynamisme qui peut même modifier la réalité de la situation existentielle, concrète, des partenaires dans la relation oratoire. Signe du ravissement, l’évidence définit la parfaite réussite qui conduit du rhétorique au poétique.

=> Éloquence, oratoire; style, qualités, ornements; imagination; description; figure, macrostructurale, hypotypose, conglobation, similitude, comparaison, métaphore.

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