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Essais de Michel de MONTAIGNE

Essais de Michel de MONTAIGNE, 1580-1588-1595, Classiques Hachette, Le Livre de poche.

• Ayant entrepris de mettre en rôle ses chimères (livre I, ch. VIII), peu après sa retraite de 1571, Montaigne a publié les deux premiers livres de ses Essais en 1580, puis en a donné une deuxième édition augmentée d’additions et d’un troisième livre en 1588. À sa mort (1592), il annotait encore son texte en vue d’une nouvelle édition qui a été assurée par Mlle de Gournay, sa fille adoptive. Il est intéressant d’étudier l’évolution du texte des Essais, ce que permettent les éditions actuelles. Nous nous bornerons ici à une analyse succincte des chapitres les plus importants.

• Livre I. Le chapitre III loue la maxime socratique Connais-toi toi-même. Les chapitres XIV et XX sont des synthèses personnelles de la morale stoïcienne. Au chapitre XXIII (De la coutume), Montaigne dénonce avec une ironie sceptique les caprices des coutumes et de la justice; il cite le Nouveau Monde et condamne les préjugés à l’égard des Barbares; puis il affirme que le sage respecte les lois en usage tout en sachant retirer son âme de la presse. Je suis dégoûté de la nouvelleté, dit-il sous l’influence des guerres de Religion; toutefois, il termine en demandant que les lois fassent place aux protestants. Le chapitre XXVI (De l’institution des enfants) propose plus qu’une pédagogie nouvelle fondée sur le respect de la personnalité et l’appel au jugement; il définit des principes permanents de conduite intellectuelle : curiosité, esprit critique, capacité de rester en doute. Il s'agit de former un honnête homme à l’exercice de la liberté et de la vertu. Au chapitre XXVIII (De l’amitié), Montaigne consacre de belles pages à son ami La Boétie. Au chapitre XXXI (Des cannibales), il prend la défense des Indiens du Brésil contre les préjugés de l’Europe, et même, renversant la hiérarchie des valeurs admises, crée le mythe du Bon Sauvage, bon parce qu’il est fidèle à la nature, et s’en sert pour critiquer la civilisation. Rousseau cite ce texte (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes). Le chapitre XXXIX (De la solitude), écrit dans un esprit épicurien, fait l’éloge de la retraite, mais critique les morales du renoncement.

• Livre II. Au chapitre I (De l’inconstance de nos actions), Montaigne constate qu'il ne se trouve guère deux fois en même état. Au chapitre III (Coutume de l'île de Céa), intéressant débat sur le suicide à partir de l’éloge qu’en font les stoïciens. Au chapitre V (De la conscience), protestation contre l’emploi de la torture - la question - par la Justice. Au chapitre VI (De l’exercitation), retour sur le problème de la mort; intéressant récit d’une mémorable chute de cheval. Le chapitre XII (Apologie de Raymond Sebond) est le plus long des Essais. Le théologien catalan Sebond (mort en 1436) avait tenté de démontrer rationnellement la vérité de la religion chrétienne. Montaigne lui rend hommage, mais démontre la faiblesse de la raison humaine et la vanité de ses prétentions en des pages célèbres sur les effets du vertige et les caprices des coutumes et des lois. Il conclut en humiliant l’homme devant Dieu. Pascal a réutilisé à sa façon ces analyses sceptiques. Au chapitre XVII (De la présomption), Montaigne s'abandonne à des confidences familières sur lui-même et au chapitre XVIII (Du démentir), il fait réflexion sur le rôle de son livre dans sa vie et dans la formation de son moi.

• Livre III. Au chapitre I (De l’utile et de l’honnête), Montaigne ne nomme pas le Florentin Machiavel (1459-1527) qui conseille à l’homme d'État de sacrifier la morale à l’efficacité, mais il semble lui répliquer, car il opte fermement pour l’honnête qui fut sa règle de conduite pendant les guerres de Religion. Au chapitre II (Du repentir), très important pour la définition de son projet, Montaigne oppose à l’invention de l’homme idéal (Les autres forment l’homme) le souci de peindre l'homme réel (je le récite = je le décris). Il n’est pas nécessaire de s’attacher aux destinées exceptionnelles : Chaque homme porte la forme entière de l'humaine condition. Il est frappé surtout par sa mobilité : Je peins le passage. Au chapitre VI (Des coches), nouvelles réflexions sur le Nouveau Monde et la brutalité de la colonisation qui montre la fragilité morale de la civilisation européenne. Au chapitre IX (De la vanité), propos sur le profit des voyages si l’on est curieux et sans préjugés. Au chapitre X (De ménager sa volonté), propos sur ses fonctions de maire de Bordeaux; il faut rester soi-même dans les charges qu’on exerce, sans céder à la vanité ni au fanatisme. Au chapitre XI (Des boiteux), critique de la crédulité et de la croyance aux miracles. Au chapitre XIII (De l’expérience), Montaigne présente la synthèse de sa sagesse, déclarant avec ferveur son amour de la vie et son désir d’en jouir dans les limites que Dieu et la Nature lui ont imparties.

• Les Essais sont un des livres fondamentaux de la pensée française et même occidentale parce qu'ils affirment les droits de la conscience individuelle en face de la société, c’est-à-dire fondent l’individualisme moderne, et parce que, au moment où la tradition chrétienne et la pensée antique se trouvent confrontées avec la découverte du Nouveau Monde, ils formulent les principes humanistes qui sont l’honneur de l’Europe : justice, liberté, respect de l’homme, droit au bonheur, et valorisent l’attitude critique qui en assure le progrès.

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