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Espoirs et déboires des "démocraties restaurées"

Espoirs et déboires des "démocraties restaurées" Avec la résorption apparente des grandes "bourrasques révolutionnaires" qui ont marqué les années soixante et soixante-dix, les formes de changement politique sont devenues moins radicales. Du moins, un "club informel", créé en 1988 par quatorze nations "jouissant d'une situation de démocratie restaurée", en est-il convaincu... Début juin 1988, sur l'initiative de Raul Manglapus, le bouillant ministre des Affaires étrangères de Cory Aquino, une conférence exceptionnelle s'est tenue à Manille, aux Philippines, réunissant des représentants de pays ayant accompli, entre 1973 et 1988, le passage d'un régime autoritaire à une démocratie constitutionnelle sanctionnée par un suffrage populaire. A cette conférence ont participé l'Argentine, le Brésil, l'Équateur, l'Espagne, la Grèce, le Guatémala, le Honduras, le Nicaragua, le Pérou, les Philippines, le Portugal, la République dominicaine, le Salvador et l'Uruguay. Le débat fut marqué par le souci d'établir des "parallélismes historiques". Chacun des participants, en relatant ses expériences propres, a tenté de généraliser à partir du "vécu" des autres. Ce travail de réflexion a permis de dresser une liste précise des périls guettant toute jeune démocratie respectueuse "de la voie du juste milieu". Ainsi, le club s'est estimé fragile. Consciente de sa supériorité intellectuelle, humaine et politique, la "démocratie constitutionnelle" reste néanmoins vulnérable aux coups de boutoir idéologiques et armés. Les adhérents du club, à une exception près, le Nicaragua, ont renvoyé dos à dos les mouvements insurgés d'obédience communiste et les aventuriers des armées perdues. Au sortir de régimes dictatoriaux à forte composante militaire, il n'y avait aucune difficulté chez les participants pour identifier la vieille menace galonnée. Selon l'expérience grecque, "au sein d'une armée moderne, le contrôle des services de renseignement, des voies de communication et des unités blindées suffit pour mobiliser l'appareil militaire tout entier et pour terroriser la population civile". Les représentants grecs ont proposé comme remède "la décentralisation du commandement militaire, placé sous l'autorité civile", et l'introduction d'un programme d'enseignement sur les fondements de la démocratie dans les académies militaires. Mais la démocratie constitutionnelle peut aussi avoir à surmonter une âpre rivalité politique et militaire de la part de mouvements insurgés marxistes. Les "démocrates" du club ont ainsi reconnu volontiers l'avantage organisationnel et "propagandiste" des forces communistes (les représentants de l'Espagne y ont ajouté le danger "séparatiste"), mais se sont efforcés de leur nier toute assise légitime. Pour la plupart des participants, le respect des institutions démocratiques a été formulé comme une finalité, et si le "soulèvement populaire" a été reconnu comme un moyen extrême de renverser une dictature abhorrée, le club, dans sa majorité, a pris soin de préciser les conditions devant accompagner le recours à des méthodes extra-légales: récusation de la violence en soi et organisation d'élections au suffrage universel dans les meilleurs délais. Les "démocraties restaurées" se sont donc montrées d'accord - à l'exception du Nicaragua - pour dénier au marxisme sa vocation émancipatrice. Pour leur part, les représentants du Pérou ont réduit l'alternative marxiste à une formule sanglante des luttes de libération. Il est vrai que l'échec des mouvements révolutionnaires "classiques" a souvent entraîné l'essor de moyens d'action plus proches du "terrorisme" que du "travail de masse". Il s'agit donc pour le club d'éviter "la myopie" de certains feu-gouvernements démocratiques: "L'absence de flexibilité politique, de clairvoyance et de courage se traduisant par le refus de corriger les injustices sociales fait le lit du défi insurrectionnel." Pour le Nicaragua, le "vilain petit canard" du club, le risque de déstabilisation de sa "démocratie retrouvée" vient de Washington. A Manille, les représentants sandinistes ont mis les États-Unis, une fois de plus, en accusation. Les autres participants, tout en évitant une attaque frontale contre le géant américain, ont mentionné le rôle de frein à la démocratie que jouent certaines institutions guère neutres, telle l'OTAN (la Grèce et le Portugal sont concernés). Enfin, le club a choisi de mettre l'accent sur les problèmes économiques, source identifiée de toute agitation sociale et donc de tout risque de débordement "totalitaire". Créditeurs et débiteurs du club ont dénoncé avec passion l'incompréhension de ces nations industrialisées qui renâclent tant à reconsidérer leurs contrats envers les pays débiteurs. Ainsi, selon la "déclaration de Manille" adoptée en fin de conférence, si une révision importante des règles internationales du jeu économique n'intervient pas rapidement, la "démocratie fragile" de nombreux pays risque fort d'être déstabilisée, ce qui ne manquera pas d'avoir des conséquences désastreuses pour l'équilibre planétaire. A Manille, un premier pas a été franchi. Les théoriciens de la "révolution sage" sont convenus de se retrouver à Lima au printemps 1989.

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