ÉPICURE (vie et oeuvre)
Quand Épicure fonde son école, en 306 avant J.-C., la vie culturelle de la Grèce est dominée par deux écoles: l'Académie, qui a recueilli l'héritage de Platon, et le Lycée, qui dispense l'enseignement d'Aristote. Face à elles, Épicure propose une nouvelle façon de concevoir l'homme et le monde.
VIE
Épicure vit la décadence du monde grec après la domination de Philippe de Macédoine et de son fils, Alexandre le Grand. C'est sans doute le désordre de la Cité qui pousse Épicure à prôner un repli sur la vie intérieure.
Le penseur précoce
Épicure naît en 341 avant J.-C. d'un père maître d'école et d'une mère magicienne et devineresse. Selon Diogène Laërce, il se serait consacré à l'étude de la philosophie dès l'âge de quatorze ans (selon une autre tradition, dès douze ans), par irritation contre les maîtres d'école (son père peut-être) qui ne savaient pas lui expliquer convenablement le passage de la "Théogonie" d'Hésiode relatif au chaos. Vers 325, il est l'élève de Nausiphane, un disciple de Démocrite.
Le philosophe du Jardin
En 306, Épicure, âgé de 35 ans, achète à Athènes, dans le dème de Mélite, le Jardin et une maison. Il y ouvre une école qui accueille tout le monde, même les femmes, et, parmi elles, les hétaïres et les esclaves. Cette attitude lui vaudra une réputation de jouisseur, alors que l'on mène au Jardin une vie d'une extrême frugalité. (Épicure établissait un rapport direct entre les progrès dans la frugalité et les progrès dans la sagesse.)
OEUVRES
L'ensemble des écrits d'Épicure formait quelque 300 volumes. Mais la quasi-totalité de cette oeuvre est perdue. Si nous ne possédions pas les textes de nombreux auteurs qui l'ont cité, une part importante de son système nous serait inconnue.
Lettre à Hérodote (sur la physique)
Pour atteindre le bonheur, il faut se libérer de la crainte des dieux. Il faut donc exclure le divin du monde, et plus particulièrement de la naissance du monde. L'atomisme de Démocrite permet d'imaginer l'existence d'une matière infinie (les atomes) dispersée dans une extension infinie (l'espace). On peut alors penser une série infinie d'unions et de rencontres d'atomes, capables de donner lieu à des ensembles stables, les agrégats, plus ou moins résistants et destinés à se décomposer.
Lettre à Phytoclès (sur l'astronomie et la météorologie)
Les phénomènes cosmiques sont généralement trop lointains pour être observés aussi adéquatement que les réalités qui nous sont proches. Il est alors évident qu'à leur endroit, nous sommes réduits à des hypothèses sur lesquelles la seule certitude que nous ayons est qu'elles ne doivent pas contredire les phénomènes. Cela conduit Épicure à proposer une astronomie et une physique à valeurs multiples de vérité, où la seule contradiction impossible est celle entre les phénomènes et les hypothèses.
Lettre à Ménécée (sur l'éthique)
L'éthique épicurienne est tout entière fondée sur le postulat suivant: le plaisir est le bien, la douleur est le mal. Mais il peut exister des plaisirs dont la conséquence est une douleur, et qu'il faudra repousser. En revanche, il ne faut pas fuir certaines douleurs qui, une fois surmontées, peuvent provoquer un plaisir. Le parfait plaisir consiste à ne manquer d'aucune des choses qui sont nécessaires à la plénitude de l'être.
Maximes maîtresses
(recueil de 81 sentences découvert en 1888 dans un manuscrit de la bibliothèque vaticane).
Les quatre premières maximes maîtresses exposent le "tétrapharmakon" ou "quadruple remède". Ces préceptes visent à délivrer l'humanité de la crainte des dieux, de la peur de la mort, du chagrin et de la douleur. Ils montrent que la philosophie épicurienne n'est pas réductible à une recherche du plaisir, mais est aussi le souci d'apporter une réponse au problème de la douleur.
EPOQUE
Une civilisation en crise
Le choix du bonheur comme idéal assigné à la philosophie est une réaction d'Épicure à la désagrégation de la Cité, dans laquelle le citoyen ne trouve plus la possibilité de se réaliser et de satisfaire ses aspirations. C'est pourquoi il demande au sage de ne pas s'occuper de politique et de ne pas participer à la vie publique. En effet, les devoirs et les préoccupations qu'implique la politique sont des obstacles sérieux à la conquête de la béatitude.
Le droit de philosopher
Épicure n'est pas le premier à poser le problème de la dignité des femmes et des esclaves, mais il est le premier à leur reconnaître le droit et la capacité de philosopher. Cet élément constituait la différence fondamentale avec l'Académie et le Lycée. L'académie s'adressait à une élite, au sein de laquelle on se proposait de former les parfaits gouvernants d'un État idéal. Le Lycée tendait à devenir un centre de recherches. Ni l'un ni l'autre ne visait, comme le Jardin, à conduire tout homme sur le chemin de la sagesse.
APPORTS
Le «quadruple remède» condense en quatre propositions toute la doctrine épicurienne du bonheur: il ne faut pas craindre les dieux; la mort ne doit pas troubler l'âme; on peut atteindre le bonheur; le mal est aisément supportable.
Les conditions de la vie heureuse. La religion populaire et les superstitions sont la première cause du malheur des hommes. Convaincus d'un rôle des dieux dans nos actions, nous vivons dans la crainte. Or, les dieux ne s'occupent pas des affaires humaines, ils possèdent le bonheur visé par le sage. La deuxième cause est la crainte de la mort; or, «la mort n'est rien pour nous» ("Lettre à Ménécée") puisque lorsqu'elle est là, nous ne sommes plus. La douleur n'est pas non plus à craindre, car lorsqu'elle est intense, elle est brève, et lorsqu'elle est longue, elle est faible. Une fois cela compris, il suffit de modérer ses désirs pour ne jamais manquer de rien et atteindre le bonheur.
Actualité - postérité. L'épicurisme authentique est toujours d'actualité. Épicure classait les plaisirs en trois catégories: les plaisirs naturels et nécessaires, par exemple le fait de boire quand on a soif (avec un peu d'eau et de pain, «le sage rivalise de félicité avec Zeus»); les plaisirs naturels mais non nécessaires, comme ceux d'une nourriture raffinée et de boissons rares, et auxquels il ne faut pas céder trop souvent si l'on ne veut pas en devenir esclave; les plaisirs qui ne sont ni naturels ni nécessaires, à savoir ceux qui naissent de jugements illusoires, comme le désir de richesse et d'honneur, dont le sage prendra soin de se détourner. Une vie simple en harmonie avec la nature permet d'échapper aux troubles et d'atteindre la tranquillité de l'âme, qui a pour nom «ataraxie».
Épicurisme: Au sens actuel, synonyme d'hédonisme. Mais cette définition repose sur un contresens. Épicure, en effet, ne considérait pas que le bonheur résidait dans la jouissance, mais dans l'ataraxie, c'est-à-dire l'absence de trouble. Il était donc plus proche d'un ascète que d'un libertin…
CITATION A RETENIR
« La mort n’est rien pour nous. »
Il ne reste pas grand-chose des quelque 300 ouvrages que la tradition attribue à Épicure ; seules trois lettres où il expose différents aspects de sa philosophie et un résumé de son système - les "Maximes capitales" - nous ont été conservées.
On retiendra que sa philosophie est une des premières tentatives pour expliquer la réalité à partir de causes entièrement naturelles. Il s’agit de rassurer les hommes en les guérissant de leurs tendances superstitieuses, qui les poussent à attribuer à l’action de quelque divinité la cause des événements qui les étonnent ou les effraient, comme le tonnerre ou les tremblements de terre. Ceux-ci ne sauraient résulter de la volonté des dieux, car, pour Épicure, les dieux, jouissant d’un bonheur parfait, ne se soucient pas des hommes et n’interviennent pas dans le monde : « L’être bienheureux et incorruptible n’a pas lui-même de soucis et n’en cause pas à autrui ; de sorte qu’il n’est ni sujet à la colère ni à la bienveillance : car tout ce qui est tel est le propre d’un être faible » ( "Maximes capitales", I).
C’est pourquoi l’étude de la physique, en nous donnant « la vue exacte de la nature et son explication raisonnée », permet d’être délivré des deux craintes qui, aux yeux d’Épicure, tourmentent les hommes et gâchent leur vie ; celle des dieux et celle de la mort, la crainte de la mort étant moins celle de la mort en elle-même que de ce qui nous attend après le trépas. Un des grands principes de la physique épicurienne est que seuls les atomes et le vide existent et que rien ne naît à partir de rien. « Il n’est rien dont [on] puisse affirmer l’existence hors de toute espèce de corps, hors du vide, rien en quoi on puisse imaginer comme une troisième manière d’être » (Lucrèce, "De rerum natura", L.I, v. 445-448). L’épicurisme est donc une philosophie matérialiste. Ce qu’on appelle l’âme n’est qu’un composé d’atomes et de vide, comme tout ce qui existe dans l’univers, et ce composé se désagrège au bout d’un certain temps, libérant les atomes qui se dispersent dans l’univers. Si l’âme ne survit pas au corps, c’est donc qu’il n’y a pas d’au-delà, pas de châtiment comme ceux que nous font craindre les poètes et les croyances populaires. « La mort n’est donc rien pour nous ; car ce qui est dissous ne sent pas, et ce qui ne sent pas n’est rien pour nous » (Maximes capitales, II). Si Épicure accorde une telle importance à la physique, ce n’est donc pas parce que la connaissance est par elle-même intéressante, ni parce qu’elle nous permettrait d’acquérir une maîtrise intellectuelle ou matérielle de la nature, mais pour une raison purement éthique, parce qu’en nous délivrant de la superstition, elle ouvre la voie au bonheur. La science est donc nécessaire, mais comme moyen et non comme fin.
La fin de la vie est le souverain bien ou le bonheur dont le principe est le plaisir. Épicure souligne l'universalité de la recherche du plaisir chez tous les êtres vivants. Toutefois, il faut noter que si « tout plaisir est un bien » et si « toute douleur est un mal », si le plaisir est « le principe de tout choix et de tout refus », l’épicurisme n’est cependant pas une philosophie du plaisir, au sens d’un sensualisme. Tout plaisir ne doit pas toujours être choisi et toute douleur n’est pas telle qu’elle doive toujours être évitée. Il faut considérer la conséquence de nos actes. « Il y a des cas où nous passons par-dessus de nombreux plaisirs: lorsqu’il en découle pour nous un plaisir plus grand ». Le sage épicurien doit donc procéder à un calcul des peines et des plaisirs, calcul qui le détourne des excès de la table et de la débauche. Il lui faut arriver à l’ataraxie, c’est-à-dire à cet état « d’absence de troubles de l’âme » et de santé du corps, état où « l’on est délivré de toutes [les] craintes » , où le sage vit tel un dieu parmi les hommes.
ÉPICURISME. n. m. 1° Doctrine du philosophe grec Épicure (341-270 av. J.-C.), selon laquelle, pour être heureux, il faut fuir la douleur et rechercher le plaisir. L'idée profonde d'Épicure est que l'âme ne survit pas à la mort ; l'homme ne doit donc rien craindre ni espérer des dieux (qui sont peut-être une invention humaine). Ces points bien établis, il faut vivre en épargnant au corps la souffrance et à l'âme l'angoisse. Mais cette recherche du bonheur terrestre, du plaisir quotidien (illustrée par la fameuse formule du poète latin Horace : "Carpe diem", «cueille le jour présent »), ne conduit pas à la débauche ou à la poursuite effrénée des plaisirs matériels. Elle implique à la fois la connaissance et la maîtrise de soi, de sa nature corporelle ; elle suppose également l'amour des plaisirs de l'esprit, plus profonds, partagés entre amis. Elle peut conduire l'homme sage à une vie ascétique, qui débouche sur l'ataraxie.
2° Par extension, philosophie de la vie ou façon de vivre qui se propose avant tout de jouir de toutes les choses de l'existence, le plus tôt possible, et notamment des plus matérielles. C'est dans ce sens que l'adjectif Épicurien désigne l'homme amateur de bonne chère, de bons vins et de douces compagnes. Le terme est souvent péjoratif dans la bouche des moralistes puritains. C'est ainsi que Sganarelle traite son maître Don Juan de «pourceau d'Épicure ». Il faut donc bien comprendre ce sens, mais en se souvenant qu'il est une trahison de la pensée première d'Épicure qui disait : «Mon corps est saturé de plaisir quand j 'ai du pain et de l'eau. » Voir : Ascétisme, Stoïcisme.
N.B. La doctrine d'Épicure nous est surtout connue par son disciple Lucrèce, poète latin du 1er siècle av. J.-C., dans son poème "De Rerum Natura" (« De la nature des choses »).
Textes importants relatifs à l'épicurisme
- Sur la morale, "Lettre à Ménécée" (§ 124 à 131).
- Sur la physique, "Lettre à Hérodote" (§ 39 à 41) et Lucrèce, "De rerum natura" ["De la nature des choses"] (v. 151-264).
[…] ATARAXIE (gr. ataraxia, absence de trouble). Absence de troubles dans l’âme. Cf. Epicure. […]
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