Environnement et développement: la montée des risques planétaires
Environnement et développement: la montée des risques planétaires
Encadré : Effet de serre et réchauffement de la planète
Début avril 1989: des journaux de vingt-quatre pays publient la Déclaration de La Haye, "Notre pays c'est la planète", signée par vingt-quatre chefs d'États ou de gouvernements.
Acte important, parce qu'il exprime le fait que des responsables politiques de pays très divers ont pris conscience de l'ampleur et de la gravité des menaces qui pèsent sur la planète, l'humanité et le vivant: "Les conditions mêmes de la vie sur notre planète sont aujourd'hui menacées par les atteintes graves dont l'atmosphère est l'objet [réchauffement de l'atmosphère et détérioration de la couche d'ozone notamment...]. Comme le problème est planétaire, sa solution ne peut être conçue qu'au niveau mondial."
En même temps, cette démarche surprend: des responsables politiques en activité, à la tête de pays importants, face à un problème majeur, en sont réduits à... signer une pétition. En outre, leur déclaration est insuffisante sous deux aspects. D'abord, elle ne dit rien des autres risques technologiques et planétaires: dégradation des ressources essentielles: air, eau, sols, mers et océans ; atteintes aux espèces vivantes et aux ressources non renouvelables ; déforestation et désertification ; croissance des déchets et des rejets chimiques et radioactifs ; montée des risques de pollution et d'accidents énergétiques, chimiques et nucléaires... Ensuite, elle ne lie pas ces maux à leur source: le mode de développement, d'industrialisation, d'urbanisation "moderne", qui est en train de s'étendre à l'ensemble de la planète.
Une prise de conscience tardive
La prise de conscience des risques planétaires a été tardive, comme en témoignent quelques textes de référence. Le fameux rapport du Club de Rome de 1972, Halte à la croissance?, mettait surtout en cause la double croissance, économique et démographique, et soulignait deux problèmes majeurs: l'épuisement des ressources non renouvelables (énergie et matières premières) ; et la dégradation de l'environnement (avec, surtout, la croissance du volume des déchets produits).
De même, la Déclaration de la conférence des Nations unies sur l'environnement (Stockholm, 1972), si elle prenait en compte les atteintes à l'environnement, à la biosphère, à la faune et à la flore, restait extrêmement discrète sur les responsabilités des pays industrialisés et prônait le développement, sans s'interroger sur ses effets sur l'environnement.
En 1975, le rapport Que faire?, préparé à l'initiative de la Fondation Dag Hammarskjöld et du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), mettait en cause les pays industriels et préconisait, pour les autres, un "autre développement" au contenu mal défini.
Symétriquement, les auteurs du rapport Face aux futurs (1979) publié par l'OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économiques), estimaient que les principales difficultés à venir tiendront à la croissance démographique: les problèmes d'environnement ou de ressources pourront, selon eux, être gérés et il n'y aurait donc pas, dans le prochain demi-siècle, de "limites physiques de long terme insurmontables" pour la "croissance économique de l'ensemble des pays du monde".
C'est le rapport d'une commission indépendante, présidée par Willy Brandt, Nord-Sud: un programme de survie (1980), qui a le premier à la fois: posé dans leur dimension planétaire les trois problèmes des ressources, des atteintes à l'environnement et des risques globaux ; souligné les responsabilités prises à l'égard des générations à venir ; et pris en compte le fait que cela n'est pas sans implications pour le développement à mettre en oeuvre (même si cet aspect demeure peu explicite).
Le Rapport de la Commission des Nations unies pour l'environnement et le développement (présidée par Mme Gro Harlem Brundtland) Our Common Future (1987) - traduit en français sous le titre Notre avenir à tous (1988) - prolonge et développe ces analyses. Partant d'un certain nombre d'échecs du développement et de la "faillite de notre gestion de l'environnement", il souligne la gravité croissante des risques que le développement moderne entraîne pour la biosphère et l'humanité. Il prône donc le sustainable development, formule sans équivalent correct en français: un développement qui réponde "aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs" ; ce qui implique une adaptation du mode de vie des nantis, un frein à la croissance démographique et des modalités de développement respectueuses de l'environnement pour les pays du tiers monde... Mais les voies ouvertes demeurent incertaines.
Rupture des équilibres fondamentaux
C'est à un groupe indépendant, le Groupe de Vézelay (constitué à l'initiative de Michel et Calliope Beaud, Pierre Calame, Casamayor, Venaut, Cauchy, Maurier Cosandey, Joseph Kizerbo, René Loubert, et qui a par la suite accueilli Mohamed Larbi Bouguerra) que l'on doit ce diagnostic: "Les modes de vie dits "modernes", dont les aspects positifs sont indéniables, ont des effets - sur l'atmosphère, les océans, les rivières et les lacs, les nappes phréatiques, les forêts, la vie végétale et animale - qui traversent les frontières et peuvent affecter les générations futures. Pour la première fois dans l'histoire, l'activité humaine risque d'altérer de façon irréversible les équilibres fondamentaux nécessaires à la vie sur notre planète [...]. Écarts vertigineux de niveaux de vie [...], foisonnement de l'information et de la communication [...], tout concourt pour qu'explose la demande d'évolution vers ces modes de vie dits "modernes". Or leur généralisation, dans une période de croissance démographique rapide, conduit à des ruptures d'équilibre menaçant la survie de l'humanité tout entière. Il est donc urgent que ce modèle soit remis en cause par les pays riches eux-mêmes, et que se développent des formes d'activité, modernes elles aussi, mais non destructrices des équilibres fondamentaux de la planète."
En dépit de l'engouement des médias pour ce thème constaté à la fin des années quatre-vingt, ce diagnostic est loin d'être généralement admis ; et quand il l'est, le schéma d'analyse est souvent celui qui avait cours dans les années soixante et soixante-dix: des activités déterminées (telle production, telle entreprise, tel déversement ou telle émission accidentelle...) ont des effets, plus ou moins graves, sur l'environnement naturel. Ces effets pourraient être limités ou supprimés par des dispositions adéquates ; mais des logiques économiques et sociales - recherche de l'enrichissement individuel ou du profit, inertie bureaucratique, souci d'assumer les coûts directs les plus bas... - conduisent à ne pas prendre ces dispositions ou à ne pas les respecter. Dès lors se multiplient les atteintes à l'environnement.
Or, un tel constat ne suffit pas: ces atteintes résultent largement des activités industrielles ou agricoles "normales": usage massif d'engrais, d'insecticides, d'herbicides..., dans l'agriculture ; pollutions liées aux élevages industriels... ; rejets d'effluents chimiques ou radioactifs dans les airs et les eaux... Ces atteintes à l'environnement peuvent aussi être liées à des "accidents" - dont il est presque toujours possible de montrer qu'ils auraient pu être évités si... les mesures de sécurité nécessaires avaient été prises. Les dernières décennies ont été marquées par l'augmentation du nombre de tels accidents: usines chimiques (Bhopal, Bâle), centrales nucléaires (Three Miles Island, Tchernobyl), plates-formes pétrolières et transports de pétrole (Alaska)...
Des phénomènes de dimension planétaire
Certains de ces phénomènes ont désormais une dimension planétaire. Tel est le cas des atteintes à la couche d'ozone: dès la première moitié des années soixante-dix, des savants avaient mis en lumière les atteintes que les CFC (chloro-fluoro-carbones) causent à l'ozone de l'atmosphère ; dans la deuxième moitié des années quatre-vingt, après de nombreux rapports, débats, études et controverses, le fait a été reconnu par les principales firmes productrices de CFC et par les gouvernements des pays industriels (le protocole de Montréal, signé par les représentants de vingt-quatre pays en septembre 1987, a été ratifié par onze pays en janvier 1989).
De même pour le nucléaire: pour les milieux qui soutiennent ou acceptent ce secteur, ses rejets courants peuvent être maîtrisés, les risques d'accidents limités et les problèmes de stockage, de transport et de retraitement des déchets résolus: tout est affaire de technique, de règles, de normes et de contrôles. A l'inverse, adversaires et sceptiques soulignent la fatigue des matériels soumis à des corrosions chimiques et les limites humaines et sociales qui rendent incidents et accidents inéluctables: avec des effets qui traversent les frontières et dépassent la vie d'une génération.
CFC et nucléaire: le caractère commun à ces deux sources de pollutions et de risques - dont la dimension planétaire est évidente -, c'est qu'ils correspondent à des activités nettement délimitées susceptibles, le jour où la volonté politique existerait, d'être soumis à des réglementations nationales ou internationales. Cependant, rien n'empêche les entreprises chimiques de cesser de produire les CFC là où ils sont interdits, et de les faire produire ailleurs par des filiales ou sous-filiales ; d'autre part, dans la mesure où le remplacement des CFC par d'autres produits est un moyen de maintenir une avance technologique, des firmes de pays en cours d'industrialisation sont amenées à proclamer leur "droit" à produire des CFC ; enfin, en l'absence d'études contradictoires, rien ne permet aujourd'hui d'être assuré que les produits de remplacement ne se révéleront pas, dans dix à vingt ans, sources d'autres dommages causés à l'environnement.
Pour ce qui concerne le nucléaire, le développement de son usage civil a permis de fournir à certains pays une source d'électricité ; et sa remise en cause poserait d'énormes problèmes dans les pays où il en fournit une part importante ; or cette part est de plus de 60% en France, plus de 50% à Taïwan, plus de 40% en Suède, plus de 35% en Suisse et en Finlande, plus de 30% en Allemagne fédérale et en Bulgarie. Mais si l'on pose le problème du nucléaire, on rencontre le problème central de la période: celui de l'énergie...
A côté de ces risques, à dimension planétaire certes, mais aux origines relativement délimitées, se développent d'autres risques planétaires, qui eux résultent de l'ensemble des activités humaines (industrielles, agricoles, de transport, de chauffage et de climatisation...) telles qu'elles s'organisent dans nos sociétés urbaines et industrialo-informationnelles.
Le principal, aujourd'hui, est l'effet de serre. Il résulte, on le sait, de l'augmentation, du fait des activités humaines, de la teneur de l'atmosphère en différents gaz: gaz carbonique, méthane, oxyde nitreux, composés chlorés, etc. Pour une large part, il résulte de notre consommation d'énergie fossile.
L'effet de serre devrait entraîner un relèvement de plusieurs degrés de la température moyenne de la planète, une élévation du niveau des océans, des changements climatiques importants: avec de graves conséquences sociales et géopolitiques.
L'énergie au coeur des risques
D'autres risques planétaires commencent à se manifester (destruction massive des espèces vivantes, des sols, de l'eau potable, déforestation, désertification, accumulation des rejets et des déchets dans les océans...) ; certains s'annoncent, avec notamment la mise en oeuvre trop hâtive et non maîtrisée des biotechnologies.
Aujourd'hui, le problème de l'énergie se trouve au coeur des risques planétaires:
- dans les sociétés les plus pauvres, l'usage du bois de feu contribue souvent à la dégradation des sols et à la désertification ;
- dans les sociétés riches, la consommation massive d'énergie fossile est source de pollutions multiples et constitue le principal facteur de l'effet de serre ;
- quant au nucléaire, principale réponse alternative à des demandes massives et concentrées d'énergie, il est loin d'être sans risque.
Le paradoxe est que les pays du Nord (un cinquième de la population mondiale) sont responsables pour deux tiers à quatre cinquièmes des sources de ces risques planétaires ; que la plupart des pays du Sud, sous des formes très disparates et à des degrés très inégaux, sont engagés dans le même processus de développement ; et que la généralisation de ce mode de développement serait fatale pour la planète. Les appels en faveur d'un développement respectueux de l'environnement sont entendus, au Sud, comme l'affirmation d'une nouvelle contrainte à laquelle les pays du Nord ne se sont pas assujettis.
Compte tenu des dynamiques en cours, il serait raisonnable, dans les pays industrialisés, de réduire significativement la fringale de consommation des classes aisées et riches et notamment toutes les consommations voraces en énergie ; et en même temps de rechercher - dans tous les domaines - des technologies à la fois moins destructrices d'énergie et non dangereuses pour les équilibres fondamentaux de la planète. Et il serait raisonnable, dans les pays en cours d'industrialisation et de modernisation, d'adopter d'emblée, éventuellement avec le soutien de la communauté des pays riches, de telles technologies. Plus largement: refréner la croissance des besoins dans les classes et les sociétés riches ; freiner la croissance démographique dans les pays pauvres. Plus concrètement: créer, par exemple, des taxes mondiales sur la production de voitures, sur le transport aérien, sur le nucléaire, et utiliser ces ressources pour soutenir des formes de développement et de modernisation non dangereuses pour l'environnement.
Si cela n'est pas fait, nos activités provoqueront, dans les prochaines décennies, des destructions et des évolutions irréversibles. Il en résultera une nouvelle et profonde aggravation des inégalités, car les sociétés riches trouveront les moyens de s'assurer la reproduction des conditions essentielles à la vie (air, eau, protection et production alimentaire) ; mais certaines des sociétés les plus pauvres se trouveront privées de ces ressources essentielles à la vie. Il ne pourra qu'en résulter, à l'échelle locale ou régionale, mais aussi à l'échelle mondiale, de terribles tensions, sources d'inexorables affrontements.
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