enjouement
L’enjouement est une qualité rhétorique; elle est quelquefois réservée au style, mais elle caractérise aussi bien tout un comportement codifié. Lorsqu’on l’entend d’une manière restreinte, elle concerne cependant toutes les parties qui constituent le champ oratoire. Il s’agit donc de donner à celles-ci, dans la pratique que l’on en fait, une certaine couleur plaisante, voire gaie et amusée, empreinte de grâce et de légèreté ou de brillant tout ensemble, qui charme et plaise, comme d’un divertissement quasi ludique. C’est Cicéron qui semble avoir le plus profondément insisté sur la force rhétorique de l’enjouement. Il rattache ce trait, en disant qu’il renvoie à une qualité qui ne s’apprend pas, à l’un des caractères que doit avoir, au moins parfois, la narration. L’enjouement est alors lié à la variété (qualité reine de la rhétorique) ; la réunion des deux s’oppose manifestement à l’approche axiologique de la rhétorique des niveaux et des genres. Cette variété qui crée l’enjouement se marque en effet tout spécialement dans la narration. Elle a une nature, ou une détermination doubles. D’une part, elle tient à la peinture des caractères et des sentiments ; d’autre part, elle est attachée à la diversité même de ces caractères et de ces sentiments : elle est donc liée à l’expression des mœurs (et des passions). On peut se demander si n’est pas ainsi posée, au moins implicitement, une théorie du rire et même du comique : le spectacle moral est en soi source d’agrément et de divertissement, de moquerie amusante, à la manière dont, sur un autre domaine, se joue l’ironie socratique. Une sorte de théâtre de poche, de dramatisation en scénario, serait ainsi mise en œuvre dans la peinture éthique de la farce humaine. On a peut-être là la source du plaisir littéraire qui a pu accompagner l’émergence du genre appelé caractères.
On voit comme il est aisé, par une transposition à peine marquée, de quitter le domaine de la rhétorique restreinte pour atteindre celui des relations sociales : l’enjouement devient alors une des exigences de la vie relationnelle, dans son expression verbale codifiée que constitue le rituel des conversations. Tous les manuels de l’honnêteté, dans le devenir de l’âge classique, insistent sur les règles et usages des conversations, qui sont le lieu et le moyen par excellence d’exercice de la rhétorique mondaine. Or, l’enjouement représente une des qualités essentielles requises dans ce type de comportement, entièrement balisé dans ses circuits verbaux. L’enjouement y est même d’autant plus nécessaire que le figement rituel y est plus avancé; c’est alors un des procédés pour jouer, aussi, du naturel. On ajoutera que l’enjouement devient alors le triomphe de la rhétorique, qui donne l’impression de se moquer de la rhétorique.
=> Oratoire, style, partie, narration; niveau, genre; qualités, plaisant, plaisanterie, raillerie, rire; variété, naturel, honnêteté; grave; mœurs, passions; éthopée; plaire.