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éloquence

L’éloquence peut être considérée comme la partie de la rhétorique, définie comme la science de bien parler, qui relève de la science. Comme il n’est pas question ici de faire un jeu de mots, ni encore moins une histoire sémantique, philosophique ou épistémologique, de l’articulation science / art, à la fois par rapport aux concepts de technique et d’esthétique en œuvre dans le mot art, et par rapport au couple platonicien connaissance / habileté, on admettra qu’il s’agit de l’art oratoire. À cet égard, l’éloquence se répartit en trois genres : le démonstratif, le délibératif et le judiciaire. Elle comprend des parties : l’invention, l’élocution, la disposition, la mémoire et l’action. Elle a des buts : instruire, toucher et plaire; à quoi correspondent des moyens spécifiques (comme ce qui a trait aux arguments, aux sentiments, aux figures). Le discours est composé de cinq parties : exorde, narration, confirmation, réfutation, péroraison. D’un point de vue plus large, l’éloquence est quelquefois distinguée, par un apparent paradoxe, de la technique prise en un sens restreint. C’est Quintilien qui, dans une envolée moitié colérique moitié pathétique, oppose l’éloquence des orateurs à l’habileté qui doit caractériser les dialogues et les disputes des dialecticiens. Il s’agit en fait d’opposer la vie du barreau ou de la tribune, d’une part aux exercices d’école, et d’autre part à l’aridité intellectuelle des logiciens-philosophes. Ces gens passent leur temps à rechercher la vérité, à disséquer les sujets et les questions, à soupeser et à séparer les plus infimes nuances : ils ont donc besoin de lourdes batteries de raisonnements serrés, abstraits et compliqués. Alors que l’éloquence véritable, celle des orateurs, s’adresse à des hommes qui ne sont nullement spécialistes de discussions scientifiques ou érudites : il faut les entraîner par le plaisir et par la force, jouer sur leurs passions et sur leurs mœurs, et les remuer par tous les moyens ; ce n’est certes pas un empilement d’abstractions intellectuelles qui risque d’atteindre ce but, car ce procédé échappe au public, l’endort ou l’irrite.

L'éloquence de sa nature est riche et pompeuse. Or, elle ne sera ni l’un ni l’autre, si nous l’enchaînons dans une multitude de syllogismes, d’épichérèmes et d’enthymèmes qui aient toujours même forme et même fin. Rampante, elle tombera dans le mépris; contrainte, loin de plaire, elle déplaira; trop uniforme et fatigante par la longueur et la sécheresse de ses raisonnements, elle causera de l’ennui et du dégoût. Qu’elle prenne donc son cours non par des sentiers étroits, mais, pour ainsi parler, à travers champs, non comme ces eaux souterraines que l’on renferme dans des canaux, mais comme un grand fleuve dont le cours est toujours rapide. Si les passages lui sont fermés, qu’elle sache se les ouvrir. Qu’y a-t-il de plus pitoyable que de s’attacher servilement aux règles ? Cette proposition ou cette conclusion que l’on tire tantôt des contraires, tantôt des consécutions d’une chose, ne peut-elle pas s’exprimer noblement, s’amplifier, s’orner, se déguiser, se varier par une infinité de tours et de figures, en sorte qu’elle ait un air libre et naturel, qu 'elle semble couler de source, et n ’ait rien qui sente la contrainte de l’art? Quel orateur a jamais parlé le langage de la dialectique? Plus un endroit est naturellement dénué de grâces, plus il faut tâcher de lui en donner. L’orateur qui veut que sa manière d’argumenter ne soit pas suspecte doit cacher le piège sous des fleurs, et se souvenir qu’un auditeur ou un juge qui prend plaisir à ce qu’il entend est déjà à moitié gagné.

Ce vibrant hommage de Quintilien à l’anti-pédantisme n’est cependant point naïf : la technique doit être camouflée et l’art doit se cacher. On reconnaît là une prescription qui va couvrir deux millénaires de rhétorique axiologique. Mais c’est qu’il y a un but précis : non point l’élégance comme valeur en soi, d’ordre esthétique, qui finaliserait l’art sur lui-même ; mais l’efficacité pragmatique impliquant de la ruse à l’adresse des auditeurs. On retrouve alors la question de l’ornement, de sa modération et de sa fonction. Comme on le voit, les deux nuances du terme éloquence ne sont nullement contradictoires : la seconde s’insère seulement dans une stratégie plus détournée qui vise davantage l’effet.

=> Orateur, oratoire, art; genre, partie; démonstratif, délibératif, judiciaire; invention, élocution, disposition, mémoire, action; topique; instruire, toucher, plaire; exorde, narration, confirmation, réfutation, péroraison; figure, amplification; moeurs, passions; ornements, élégance; dialectique, syllogisme, enthymème, épichérème.

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