élevé
Le caractère élevé désigne une catégorisation majeure de la rhétorique et renvoie au grand principe de la hiérarchisation des niveaux et des genres. Du même point de vue, ce trait entre dans toute une série d’oppositions et d’équivalences. Il s’oppose, dans le modèle de répartition le plus canonique, qui est ternaire, au moyen ou médiocre, et encore plus lointainement au bas ou humble. Dans la zone des équivalences, il est en relation avec le soutenu, le noble, et il a à voir avec le grand style, de même qu’avec le sublime. Dans certains commentaires, élevé et sublime sont des termes synonymes. Ainsi, le style élevé doit se caractériser par des faits de lexique, de construction syntaxique, d’emploi de figures, d’organisation du développement, voire de sujet ou de matière traités, en tout point marqués par la hauteur et la profondeur des pensées, par la puissance et l’originalité des systèmes figurés ainsi que par leur tenue, par la rigueur et par l’ampleur de la modération des phrases, par la plus scrupuleuse pureté grammaticale et lexicale, par un ton constamment distingué dans l’usage du vocabulaire, que celui-ci soit rare (avec sagesse et sans ostentation) ou commun (avec sélection et sans banalité). Sont donc engagées des déterminations à la fois de l’élocution et de la composition, ainsi que de la disposition (voire de l’action). Il est certain qu’une telle conception de l’élevé ne peut se penser que dans le cadre d’une axiologie incontestablement sociale des niveaux de langage, ce qui correspond tout à fait au dynamisme fondamental de la rhétorique (on n’en soulignera en effet jamais assez la dimension sociale). Le style élevé, dans l’ensemble, est difficile à penser en dehors de l’abondance. C’est alors que se pose le problème de la spécificité du niveau élevé. Est-il un niveau caractérisé de ses traits propres, comme chacun des deux autres ? A-t-il les traits des deux autres poussés à l’état ou à l’intensité supérieurs? Ou constitue-t-il le seul des trois niveaux à emporter toutes les valeurs proprement rhétoriques? La tendance forte de la tradition va dans le sens de la troisième solution envisagée. On a bien l’impression que l’élevé emporte effectivement la totalité des qualités ou des vertus oratoires (ce qui ne laisse pas grand chose aux autres niveaux). On en arrive à l’idée que ces qualités fondamentales sont à leur tour plus ou moins équivalentes entre elles, et même que la définition de l’une ou de l’autre est équivalente à la reconnaissance du trait élevé : celui-ci devient à la fois une somme et l’un quelconque des éléments de la somme. Le style élevé résumerait donc en lui, récapitulerait la totalité des valeurs emblématiques des vertus oratoires, considérées chacune dans leur excellence ; il serait, par définition, le plus excellent de tous les styles. Un transfert de cette vue dans le domaine des genres, selon une opération beaucoup plus délicate et historiquement bien plus chaotique, aboutit à placer en haut la tragédie, puis l’épopée. Les autres genres, dans la mesure où ils ont pu être diversement repérés au cours des âges rhétoriques, occupent encore après des rangs variables de plus en plus bas, avec des incertitudes concernant la poésie lyrique, l’historiographie et les discours politiques; en revanche, point d’hésitation pour la comédie (quitte à la sous-catégoriser), irrémédiablement classée vers le bas, ni surtout, quand il apparaît bien repéré, pour le roman, même dans ses variétés héroïques, nettement déclassé jusqu’à la fin du xviiie siècle. On le voit, on ne sort pas facilement de l’atavique amalgame du technique et du moral, du social et du verbal, du thématique et du formel. Une dernière question stylistique peut être soulevée à propos de l’élevé ; c’est son rapport avec l’ornement. En principe, ce rapport est aussi nécessaire que copieux. Mais le sublime peut apparaître sans abondance d’ornement ; il y a donc un problème. C’est à peu près le même qui risque de se poser avec l’élégance. On finit ainsi par aborder les lisières d’une esthétique et les limites de la théorie hiérarchique : elle peut lasser ou étouffer (et porte alors en elle-même son destin) ; elle jouxte une autre inflexion, tout à fait hétérogène, qui signale la vivacité et le chatoiement de l’ordre rhétorique.
=> Oratoire; style, niveau, genre; soutenu, noble, sublime, grand style; moyen; bas; abondance, dignité, ornements, élégance, pureté; qualités, vertus; élocution, composition, disposition, action; figure; variation.
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