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Edouard Glissant

Né aux Antilles en 1928, Edouard Glissant fait ses études (philosophie, ethnologie) en France. Ses premiers poèmes publiés en plaquettes à partir de 1953 (Un champ d’îles, La terre inquiète, les Indes), lui valent bientôt de figurer dans l’Anthologie de la poésie nouvelle de Jean Paris. En 1958, son premier roman La Lézarde obtient le Prix Renaudot. Depuis, Glissant, qui vit aux Antilles, n ’a cessé de dire la vie, la réalité et l’imaginaire de ses îles. Poète, jusque dans ses romans, ses essais, Glissant l’est au sens plein du terme. Il ne donne pas dans le poétique, cette plaie, il est celui qui fait : qui fait être une histoire, un monde, une langue. Ses poèmes, ses romans sont célébration, épopée, mieux, passion d’un pays et d’un peuple : les Antilles et leurs habitants, noirs, métis, petits-fils d’esclaves et de créoles, hantés encore par le mythe merveilleux du nouveau monde et les horreurs de la traite. Comme Césaire , Glissant a choisi de dire sa terre, ses îles, les joies qui les illuminent, les conflits, les révoltes qui les traversent, les secouent.
Ecrivain français, sans doute, mais des Antilles, et superbement, parce que des Antilles. Dès Un champ d’îles, sa voix s’impose, ample, forte, charriant des images somptueuses et, à travers elles, l’amour, l’inquiétude, la colère. S’y font jour déjà, ensemble, une sensualité accordée aux vagues, au soleil, au rythme de la respiration, et une blessure toujours ravivée, celle de la différence vécue, de l’oppression perpétuée sous les formes du colonialisme. Dans Les Indes, vaste poème, l’aventure de Christophe Colomb est décrite comme une conquête fabuleuse mais aussi comme porteuse des drames futurs : massacre des indiens, traite de noirs. La réalité présente s’inscrit comme en miroir dans cette réalité première, dans cette histoire épique, splendide et cruelle que furent la découverte et le viol d’un paradis. Dans Les Indes, le lyrisme, d’une force inhabituelle aujourd’hui, conjugue la violence verbale de Césaire et les cadences de Saint-John Perse. Mais Glissant échappe à ses modèles et son chant semble prendre racine dans la profondeur de son peuple, de son histoire et de sa légende. Aussi bien Les Indes sont comme l’ouverture musicale de toute son œuvre romanesque. De La Lézarde à Malemort, ses romans mettent en scène le présent et le passé des Antilles : souvent dans un même livre l’un fait contrepoint à l’autre ou l’éclaire dans un jeu subtil de narrations paralèles, d’aventures se répétant au fil des âges. Si Glissant part toujours du quotidien, de la réalité qu’il connaît, des conflits que vivent aujourd’hui ses compatriotes, dans les villes ou sur les mornes, au bord de mer ou dans les plantations, ce quotidien est pour lui inséparable de ce qui constitue la sensibilité, la culture des Antillais : leur relation profonde à la nature, le souvenir des souffrances ancestrales au temps de la conquête ou de l’esclavage, la conscience de leur métissage, leur goût enfin de la légende et de la parole. Cette parole, Glissant l’écoute, la transpose, la recrée. Il n’écrit pas le parler antillais mais dans une langue riche, baroque, aussi efficace que rythmée, il en reproduit, en réinvente les cadences, la saveur, les tournures, en utilise les mots, les images. Ainsi Malemort doit sa sève, son charme, sa puissance à l’accord profond entre le récit et le verbe qui le porte.


> Poète et romancier, né à Sainte-Marie, Martinique. C’est un roman, La Lézarde, qui valut à ce jeune poète de trente ans le prix Renaudot 1958, mais il avait déjà évolué (et avec ferveur) dans son élément naturel, la poésie. Son premier recueil, Un champ d'îles (1953), sera bientôt suivi du monumental poème épique Les Indes (1956) en cinq chants, et en « versets ». Des versets plus apparentés, par leurs audaces d’écriture, à ceux de Saint-John Perse que de Claudel, son prédécesseur en qualité d’historien des guerres coloniales dans les deux Amériques. À ce propos, tentez l’expérience de relire les tirades claudéliennes à l’éloge de Christophe Colomb après avoir entendu les accents douloureux du poète noir sur le même thème. L’auteur des Indes, d’ailleurs, ne chante pas seulement la révolte de son peuple et son espoir d’une « reconquête du passé » ; non, le thème qui alimente l’ampleur infatigable de son verbe, de son souffle, c’est l’océan déjà dans Un champ dites, dans La Terre inquiète (1956), et dans certains recueils plus tardifs depuis Le Sel noir (1960). Et même dans le roman La Lézarde. Édouard Glissant a écrit aussi, plus récemment, Le Discours antillais (1981) et les poèmes de Pays rêvé, pays réel (1985).