DUMAS (ALEXANDRE)
En 1802, Alexandre Dumas naît à Villers-Cotterêts, la même année que Victor Hugo. Il meurt en 1870, comme Prosper Mérimée, d'un an son cadet, à Puys, près de Dieppe, dans la résidence secondaire de son fils. Il aurait pu inspirer un personnage de La Comédie humaine de son ami Balzac, de trois ans son aîné. Fils d'un général républicain qui a gagné ses galons au service de la Révolution, comme Victor Hugo, pour lequel il éprouvera toujours une profonde amitié (après le coup d'État de Napoléon III, il se réfugiera, un temps, en Belgique, avec l'auteur de Notre-Dame de Paris), il est né d'Alexandre Davy-Dumas, marquis de La Pailleterie et de Tiennette. Élevé par sa mère, devenue veuve en 1806, il connaît des débuts difficiles. Saute-ruisseau chez un notaire (comme Balzac), il trouve, à Paris, grâce au général Foy (ancien compagnon d'armes de son père), une place de douze cents francs comme surnuméraire chez le duc d'Orléans, ce qui lui laisse le temps d'écrire ; il débute en 1826 par un volume de Nouvelles, puis par quelques pièces : La Chasse et l'Amour, La Noce et l'Enterrement, Henri III et sa cour. Ce drame historique, écrit en deux mois, est joué en 1829 au Théâtre-Français et ravive la lutte entre les classiques, et les romantiques victorieux déjà en poésie. Ce succès le fait nommer bibliothécaire du duc d'Orléans, qu'il accompagne en Espagne en 1846, pour, de là, passer en Afrique. Ce géant aux yeux clairs et à la chevelure frisée va devenir l'un des monstres sacrés de son temps. Ses frasques, ses dettes et ses amours seront aussi célèbres que ses romans et ses pièces. En 1842, il épouse Ida Ferrier, actrice au théâtre de la Porte-Saint-Martin ; en 1860, il se fait l'historiographe de Garibaldi et participe, à ses côtés, à la prise de Palerme. » Profitant de la notoriété de ses romans, il fonde des revues éphémères, Le Monte-Cristo, Le Mousquetaire, Le d'Artagnan, etc., réside en Italie, où il jouit d'une grande popularité, voyage en Suisse avec Gérard de Nerval (qui sera l'un de ses « nègres »), en Russie, etc., crée le Théâtre européen, où il fait jouer Les Pailles rompues, d'un jeune inconnu nommé Jules Verne, traduit Ivanhoé de Walter Scott, l'auteur le plus en vue de l'époque, se bat en duel, chasse le matin et régale le soir ses amis en cuisinant lui-même (sa cuisine est réputée) et trouve le temps d'écrire quelque trois cents romans, feuilletons (dans Le Siècle, Le Journal des Débats, Le Constitutionnel), pièces de théâtre ou récits de voyage. Dumas écrit comme il vit : avec frénésie et gourmandise. Le jeune homme famélique est devenu un bon vivant ventru que rien ne décourage. Ni les dettes, dues à un fastueux train de vie, ni les interdictions (en 1863, ses œuvres sont mises à l'index par l'Église), ni les procès (ses nègres, dont Jules Maquet, un jeune professeur d'histoire qui l'aide à situer dans l'époque décrite ses romans historiques, revendiquent la paternité de romans qu'il a signés)... Ses aventures sentimentales sont célèbres (trente-quatre maîtresses homologuées). Il a été l'amant de Marie Dorval, la plus prestigieuse interprète des drames historiques, et passion d'Alfred de Vigny (lequel, pour aider Dumas, réécrit, pendant qu'il dort, Christine, l'une de ses pièces). En 1849, c'est Dumas qui recueille le dernier soupir de la comédienne; elle est devenue si pauvre qu'elle n'a même pas de quoi être enterrée. Dumas, bien qu'en faillite (il l'est constamment), s'endette, met Victor Hugo à contribution et réussit à faire élever un mausolée à la gloire de Marie qui a été son interprète dans Antony (1831), le drame qui a contribué à sa gloire. Chargé de faire le discours devant la tombe, il ne peut que sangloter. Comme il pleure lorsque, dans Le Vicomte de Bragelonne, il fait mourir Porthos, qui lui ressemble beaucoup. Sur la fin de sa vie, il continue à voyager et s'interroge sur la pérennité de son œuvre. L'Académie française n'a pas voulu lui ouvrir ses portes; Hugo, Vigny, Mérimée qui y sont — lui ont souvent reproché son manque de sérieux. « L'immobilité, c'est la mort », a-t-il coutume de dire. Venu se reposer dans la maison de campagne de son fils, qui est devenu aussi célèbre que lui, il s'éteint dans son sommeil le 5 décembre 1870, à 22 heures, le noctambule qu'il a été s'étant, ce soir-là, senti fatigué... Parmi ses romans, dont beaucoup ont paru en feuilletons, il faut citer Les Trois Mousquetaires (1844), suivi de Vingt ans après et du Vicomte de Bragelonne (1847), puis Le Comte de Monte-Cristo (1841), qui sont traduits dans toutes les langues ; ils ont eu de très nombreuses éditions et ont le plus contribué à la renommée de l'écrivain. Il faut citer encore les Impressions de voyage (1833), La Reine Margot, Le Chevalier de Maison-Rouge (1846), La Dame de Montsoreau, Les Quarante-cinq, Le Collier de la Reine (1849), Les Mohicans de Paris (1857), Les Compagnons de Jéhu, Les Louves de Machecoul (1858), Les Mémoires de Garibaldi (1860), Dictionnaire de cuisine... Ses pièces de théâtre les plus connues et qui sont en partie restées au répertoire sont Antony (1831), La Tour de Nesle (1832), Kean (1832), Caligula (1839).
Auteur dramatique, conteur et romancier, né à Villers-Cotterêts. Fils d’un général de Napoléon d’ascendance créole. C’est d’abord un enfant laissé très libre, sinon délaissé. Mais vite « le petit Dumas père » (comme l’a écrit un biographe distrait) devient un jeune géant qu’ennuie la vie de clerc chez un avoué. Aussi fait-il jouer à Paris quelques vaudevilles. Bientôt, enhardi par un premier succès, il aborde le genre pathétique où il ne tarde pas à porter ombrage à Victor Hugo lui-même : Henri III et sa cour (1829), Antony (1831) et La Tour de Nesle (1832). Œuvres sonores où l’intrigue est compliquée ; les personnages, simples. Ces défauts vont se transformer en vertus, dès lors que Dumas s’avisera d’abandonner « l’analyse des caractères » pour le roman de cape et d’épée. C’est-à-dire (en somme) pour le conte. On a longtemps tenu pour extra-littéraire (puisque « lue par tous ») cette partie de son œuvre. Et, par exemple, selon l’édition scolaire (dite « manuel illustré ») de La Littérature française de Lanson, « ce sont ses pièces de théâtre qui lui valent une place dans la littérature ». Moins respectueuse de la hiérarchie des genres, la «Bibliothèque de la Pléiade » délaisse les pièces « tragiques » de Dumas père et accueille les plus populaires de ses romans. Dans ce domaine romanesque, et aidé quant à la « documentation historique » (un peu cavalière, mais n’affirme-t-il pas qu’il est permis de violer l’Histoire à condition de lui faire un enfant ?), il va donner au public 257 volumes : Les Trois Mousquetaires avec ses deux suites, Vingt ans après et Le Vicomte de Bragelonne (10 volumes en tout, 1844-1847), Le Comte de Monte-Cristo (1845), La Reine Margot (1845), La Dame de Monsoreau (1846), etc. La quantité ne mérite pas seule, ici, notre admiration, mais encore l’écriture, nerveuse, étincelante ; l’humeur, chaleureuse, contagieuse, toujours égale ; l’humour, enfin : nullement aigre et « noir », mais énorme, et surtout tonique (la mode à l’époque du romantisme était au toxique, cependant). Il invente, de pied en cap, un type de personnage, fracassant, bavard, grandiose, désintéressé et prodigue de lui-même jusqu’à la mort, qui va renverser ou pourfendre en se jouant les tortueux adversaires qui lui barrent la route, et entraîner derrière ses bottes des meutes de lecteurs. Dumas mourra à la tâche, glorieux et pauvre, car il dépensait plus vite qu’il ne gagnait. Durant sa grande période de fécondité (18401855), plusieurs journaux à la fois ont sorti en feuilleton ses romans et il a dû courir de l’un à l’autre, tel Napoléon dans sa campagne de France. (À cette vue, le grave Michelet s’écriera : « Vous êtes une des forces de la nature. ») Magnanime, il dote, au passage, tel personnage historique, ou fictif, de ses propres dons : d’Artagnan, Edmond Dantès, etc. (Déjà, naguère, dans un de ses drames, Antony maîtrisait, à la seule force de ses biceps, l’attelage de chevaux emballés qui risquaient d’emporter sa maîtresse à la mort.) Mais la plus étonnante de ses créatures est bien l’énorme et généreux Porthos, qui mourra de façon exemplaire, en géant bienfaisant qu’il est, dans la grotte de Locmaria : pour couvrir la retraite d’Aramis et de ses trois marins fidèles, ne jette-t-il pas sur leurs poursuivants un tonneau de poudre qu’il vient d’enflammer, et qui doit déterminer inévitablement l’écroulement sur ses épaules de la grotte ? Mais s’imaginer que tout est fini pour si peu serait faire injure à un héros de Dumas : L’Hercule réunit ses forces, et l’on vit les deux parois de cette prison dans laquelle il était enseveli s’écarter lentement et lui faire place. Un instant, il apparut, dans cet encadrement de granit, comme l’ange antique du chaos (Le Vicomte de Bragelonne, dernière partie).