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DROITS DE L'HOMME

DROITS DE L'HOMME

L'affirmation des droits de l’homme a une origine très ancienne, mais c’est au xviiie siècle qu’ils sont revendiqués comme un principe fondateur avec la Déclaration d’indépendance américaine de juillet 1776 et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 en France.

Après la Seconde Guerre mondiale, le rejet de la barbarie et la création de l’ONU (Organisation des Nations unies) marquent la volonté de fonder désormais les relations internationales sur le respect de la personne humaine comme valeur essentielle. Une Commission des droits de l’homme, créée en 1946, charge un groupe de travail de rédiger un projet de déclaration en ce sens.

Le 10 décembre 1948, l’Assemblée générale des Nations unies adopte à l’unanimité la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont la vocation est à la fois de s’appliquer à l’ensemble des États membres de l’ONU et de couvrir tous les droits de l’homme : droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Deux conférences mondiales, à vingt-cinq ans d’intervalle, réaffirment cette universalité par deux textes : la proclamation de Téhéran (de mai 1968) et la déclaration finale et le programme d’action de Vienne (de juin 1993).

Pourtant, lors de la conférence mondiale des droits de l’homme de Vienne, l’universalité, l’indivisibilité et la complémentarité des droits de l’homme, présentées comme une nécessité, ont été sérieusement remises en question par plusieurs pays en développement - africains et musulmans, mais surtout asiatiques -, au motif des spécificités culturelles.

Le préambule de la Charte de l’ONU, texte fondateur.

Pour amorcer une analyse du contenu de l’universalité, de l’indivisibilité et de la complémentarité des droits de l’homme au sens « onusien » de ces termes, il faut situer l’évolution de ces questions dans le contexte historique du demi-siècle écoulé.

Un demi-siècle plus tôt, la Charte de l’ONU, signée à San Francisco le 26 juin 1945, proclamait dans son préambule la « foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites [et sa résolution à] créer les conditions nécessaires au maintien de la justice et du respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international, [ainsi qu’à] favoriser le progrès social et instaurer de meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande […] ».

L’universalité des droits de l’homme est encore rappelée à l’article 55, qui prône « […] le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ».

Il faut évidemment se rappeler que seuls quelques États, essentiellement occidentaux, avaient signé la Charte. Les nombreux États devenus par la suite membres de l’ONU au gré des indépendances ou des soubresauts de l’histoire ont souvent continué à voir dans la Déclaration universelle un bréviaire des valeurs occidentales qu’un colonialisme moderne voudrait leur imposer.

Il faut attendre plus de trois ans pour que l’Assemblée générale adopte la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ce n’est que le 16 décembre 1966 qu’elle adopte et ouvre à la signature les deux instruments chargés de lui donner un contenu plus concret, de définir plus précisément les droits qu’elle contient et de mettre à la charge des États signataires l’obligation de les respecter et de les faire respecter : le pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et le pacte international relatif aux droits civils et politiques (ils commenceront à s’appliquer seulement dix ans après leur adoption).

Les deux pactes se fondent sur le droit de tous les peuples à disposer d’eux-mêmes, c’est-à-dire à la fois à déterminer librement leur statut politique (autodétermination) et à assurer librement leur développement économique, social et culturel (art. 1, commun aux deux pactes). C’est affirmer à la fois l’égalité des droits civils et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels, et leur universalité, puisqu’ils concernent « tous les peuples ». C’est, en d’autres termes, dire qu’il n’y a pas de libertés individuelles lorsque les êtres humains vivent dans la misère et, à l’inverse, que l’acquisition des droits économiques et culturels ne peut se faire au détriment de la liberté. Le concept d’« universalité des droits de l’homme » recouvre donc cette double acception : tous les droits de l’homme pour tous les peuples, et même pour tous les individus.

Qu’en est-il des droits économiques, sociaux et culturels ?

Les droits économiques, sociaux et culturels sont-ils protégés de la même manière que les droits civils et politiques ? Sont-ils même réellement considérés comme de véritables droits de l’homme à caractère universel ? La réponse, en l’état actuel, reste négative.

Lorsque sont adoptés les deux pactes, en 1966, la Guerre froide régit encore les relations internationales. L’attitude des États face aux deux catégories de droits de l’homme s’en ressent, et toutes les définitions données à l’époque à ces droits, souvent de façon un peu hâtive, souffrent d’un manichéisme quelque peu caricatural : il y aurait d’un côté les droits dits collectifs, d’application progressive, mieux garantis par les États communistes, et de l’autre les droits individuels, d’application immédiate, mieux assurés par les États capitalistes libéraux. Les premiers ne seraient pas « justiciables », c’est-à-dire que les tribunaux judiciaires ne pourraient garantir leur application, alors que les seconds relèveraient tout naturellement de la compétence des juges. Si ces simplifications sont aujourd’hui dépassées, l’approche de ces problèmes reste encore marquée par l’ancienne division, qui contredit le discours officiel concernant l’universalité, l’indivisibilité et la complémentarité.

Dès le départ, le statut accordé aux deux pactes s’est ressenti de la prééminence de fait des droits civils et politiques. Pour veiller à l’application de ceux-ci, le pacte correspondant prévoit la création du Comité des droits de l’homme, doté d’un statut qui assure sa continuité ; un protocole facultatif est proposé à la signature des États pour permettre les recours individuels de ceux qui estiment avoir été victimes de violations de leurs droits. Rien de tel pour les droits économiques, sociaux et culturels : le pacte correspondant ne prévoit pas d’organisme indépendant de contrôle, aucun recours individuel ou collectif n’est rendu possible. Il faudra attendre 1985 pour que le Conseil économique et social de l’ONU (Ecosoc) décide de créer le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, qui est loin d’être le pendant du Comité des droits de l’homme. Quant à la possibilité de présenter des recours devant le Comité, elle est restée à l’étude et très peu d’États sont apparus disposés à la promouvoir.

Universalisme ou particularismes ?

Qu’en est-il de l’engagement pris par les États parties aux deux pactes, en vertu de l’article 2 commun, de « garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation » ? Les droits de l’homme sont violés partout dans le monde, à des degrés divers, à plus ou moins grande échelle, avec plus ou moins de cynisme. Mais, ce qui est sans doute plus inquiétant, c’est la revendication chaque jour moins voilée de « spécificités culturelles » qui dispenseraient des gouvernants de la respecter. Plusieurs pays d’Asie, de nombreux États musulmans et certains pays africains déclarent en effet dans les forums internationaux que les droits de l’homme ne sont pas compatibles avec leurs traditions ou qu’ils ne pourraient être respectés que très progressivement, en fonction de l’accession au développement. Le respect des droits de l’homme serait, selon une interprétation assez répandue, une sorte de luxe réservé aux démocraties occidentales. Les fondements idéologiques sur lesquels s’appuient ces réserves sont divers : religieux, sociaux, culturels ou simplement politiques. Il s’agit essentiellement de combattre le concept même de droits de l’homme considéré comme une valeur occidentale, inspirant une sorte de néocolonialisme plus ou moins déguisé qui viserait à l’uniformisation de l’idéologie, au détriment des valeurs ancestrales des civilisations non occidentales.

Les notions d’égalité et de non-discrimination, qui sous-tendent tous les instruments universels adoptés depuis 1948, seraient donc des concepts « occidentaux ». C’est pourtant le combat de Nelson Mandela, de ses compagnons et de nombreux militants du monde entier qui a permis de mettre fin à la politique officielle d’apartheid en Afrique du Sud. Mais d’autres « valeurs » sont encore combattues au nom des « spécificités culturelles ». C’est ainsi que tous les régimes théocratiques ou fortement teintés de religion justifient l’infériorité des droits de la femme dans le couple, dans la famille, dans la société, dans l’accès à de nombreuses professions ou à des charges publiques ou religieuses. Cette inégalité des droits est-elle inéluctable ? Faut-il admettre les mutilations sexuelles pratiquées sur de très jeunes filles dans de nombreux pays d’Afrique au nom des « spécificités culturelles », ou faut-il les combattre au nom des valeurs universelles et du droit de chacun à l’intégrité corporelle ? La lutte d’un nombre croissant de femmes africaines apporte un élément de réponse.

Un objet de monnayage économico-stratégique.

La question des droits de l’homme est éminemment politique. Les États membres de la Commission des droits de l’homme en sont arrivés à fonctionner en blocs géographiques soudés, dont le seul objectif semble être d’éviter toute condamnation d’un pays de la région, au prix de leur bienveillance face à des violations commises sous d’autres latitudes. Les droits de l’homme sont de plus en plus monnayés en fonction d’intérêts géopolitiques ou stratégiques.

Faut-il conclure de ce rapide examen que l’universalité n’est que l’utopie entretenue par quelques militants coupés des réalités et qu’elle ne sera jamais réalisée ? Certainement pas, car ce serait faire peu de cas de toutes les avancées obtenues au cours de la seconde moitié de ce siècle : aucune violation des droits de l’homme ne peut plus se commettre à l’abri des regards de la communauté internationale et des dénonciations émanant de la société civile ; les droits de l’homme sont devenus un enjeu politique majeur qu’aucun État ne peut plus faire semblant d’ignorer. Malgré leurs imperfections, la Commission des droits de l’homme et les autres forums internationaux restent des lieux de combat, et parfois de victoire, pour tous les opprimés, les victimes, les torturés et les pauvres du monde entier.

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