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Droit et société mondiale - Vers un retour au "droit des gens"?

Droit et société mondiale - Vers un retour au "droit des gens"? La mondialisation et la prolifération des flux transnationaux obligent à repenser les fondements mêmes de la sociologie juridique internationale: l'acteur, le jeu, la règle. Le mode d'organisation politique et juridique adopté par l'Europe avec les traités de Westphalie (1648) était fondé sur un découpage de l'espace en entités territorialement définies ne connaissant pas sur leur espace d'autorité supérieure à celle de l'État. Il est devenu le référent universel. Depuis des siècles, l'ordre juridique international repose sur la prédominance de l'État-nation et sur son corollaire, le principe de souveraineté. Alors que, de tous côtés, cette représentation de l'ordre mondial se voit démentie par la réalité, le droit international reste pour l'essentiel un droit interétatique. Cela signifierait-il que la multitude d'acteurs et de flux émancipés de la tutelle des États et structurant au moins autant qu'eux la société mondiale doive échapper à toute règle de droit international public? Le droit international, triomphe du modèle étatique Avant que le philosophe anglais Jeremy Bentham n'emploie pour la première fois l'expression "international law" (1780), la doctrine utilisait soit la traduction littérale du jus gentium romain: "droit des gens", soit le jus inter gentes de Vitoria (XVIe siècle) traduit, au siècle par "droit entre les nations". Dans tous les cas, il s'agissait d'un droit pour le genre humain, reliant des peuples organisés en collectivité au sein de la grande société humaine (totius humani generis societas). Le passage du "droit des gens" au "droit international" a marqué le triomphe du modèle étatique sur le modèle féodal et le passage de la société des hommes à celle des États dans les préoccupations des juristes. Il s'est accompagné tout naturellement d'une séparation nouvelle entre un droit international public réglant les rapports entre entités souveraines -le droit international - et un autre, privé, réglant les litiges entre particuliers nés des conflits de compétence et de nationalité. Alors que, dans ses débuts, le droit inter gentes n'était que la projection hors de la Cité de principes ayant fait leur preuve dans l'organisation intérieure (l'influence de Grotius au siècle fut aussi importante en droit privé qu'en droit international), le droit international est devenu un droit spécifique. Il n'est plus le droit commun aux gens mais celui élaboré entre les appareils politiques. Si, comme tout l'indique, nous sommes entrés dans une ère "post-westphalienne", la transformation des rapports internationaux devrait trouver sa traduction dans une métamorphose du droit, sauf à déboucher sur une dangereuse anomie. Déjà a progressé l'idée d'un droit "transnational" refusant la distinction public/privé. Mais, dans cette perspective, l'État est toujours considéré comme le médiateur privilégié des particuliers et des entreprises privées sur la scène internationale. L'organisation de certaines professions ou de certains services (transports, commerce, banque) sur une base transnationale est étudiée principalement par rapport aux compétences de l'État. Comment penser des acteurs "déterritorialisés" et des relations "dénationalisées" alors que toute les normes se sont constituées à partir du principe de la souveraineté territoriale? La question du sujet de droit destinataire de la règle juridique est l'une des plus difficiles pour le droit international contemporain. Nouveau répertoire juridique pour une universalité authentique Sous l'effet de la mondialisation et d'une conscience accrue des multiples interdépendances (économiques, écologiques, sociales, financières, culturelles...), la notion d'humanité a commencé à réapparaître. Lentement, prudemment, une certaine "personnalité" juridique lui est reconnue dans des domaines intéressant l'ensemble de la société mondiale: espace extra-atmosphérique, fonds des océans, environnement. Un droit humanitaire est en gestation: assistance aux victimes de catastrophes naturelles, aux populations en péril, répression des crimes contre l'humanité. Une certaine protection de l'individu par le droit international tend à se mettre en place. Ce faisant, on redécouvre la diversité de la société humaine et la nécessité de construire un nouveau répertoire juridique pour atteindre une universalité authentique. Fort de ses succès en matière de démocratie et de libertés publiques, l'Occident a eu tendance à confondre l'universalité avec sa propre définition de l'homme, du pluralisme et de la modernité. D'autres cultures prétendent, à présent, retrouver l'accès à l'universalité en utilisant partiellement un autre répertoire. Cela implique une reconsidération des modes de formation du droit et un travail d'élaboration colossal. L'universalité suppose, en effet, que la norme ne dépende pas d'un rapport de force, d'un groupe ou d'une puissance hégémonique prétendant définir la "problématique légitime" s'imposant au monde, comme ce fut le cas de l'Europe jusqu'en 1914, puis des États-Unis après 1945. Pour être une contrainte acceptée, un modèle guidant l'action, le nouveau répertoire juridique doit atteindre le "noyau dur" des principes généraux du droit commun à toutes les sociétés à l'intérieur même des diversités culturelles. Les discussions pour la construction d'un droit de l'environnement sont significatives à cet égard, qui font intervenir les notions de sacré, de solidarité, d'infini, plus près de la construction philosophique que du positivisme juridique. De son côté, la querelle toujours rebondissante des droits de l'homme est une querelle sur les universaux obligeant à plonger au coeur des cultures. Quelle conception de la personne humaine faire prévaloir? Celle de l'individu, autonome et indépendant selon la vision occidentale? Celle de l'homme, indissociable de la communauté à laquelle il appartient? Le Comité de rédaction de la Conférence mondiale sur les droits de l'homme (Vienne, juin 1993) n'a réussi à faire admettre le principe de "l'universalité des droits de l'homme" qu'en réaffirmant simultanément le caractère "universel et inaliénable" du droit au développement, tant les arrière-pensées politiques sont grandes. Et lorsqu'il s'agit de consolider les droits des minorités (déclaration des Nations unies, 18 décembre 1992), de codifier les droits des peuples autochtones (la préparation d'une déclaration universelle a été engagée, comment tenir compte de la diversité des statuts et des interprétations? Déjà l'on a constaté l'importance grandissante des organisations non gouvernementales (ONG) et des "experts" dans les grandes conférences internationales (ethnologues, anthropologues, climatologues, etc.). Le droit international classique avait été l'oeuvre des politiques et des diplomates au service de l'État, le travail d'élaboration d'un droit commun au service de l'homme ne peut plus être leur privilège exclusif.

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