DREYFUS (affaire)
L'affaire Dreyfus (1894-1906) marque l’entrée de la France dans le XXe siècle. En effet, et bien au-delà de la correspondance chronologique, cet événement étendu, pour sa partie judiciaire, sur près de douze années, a signifié le combat pour la reconnaissance du principe démocratique dans la cité politique. Ce principe a pris le visage d’un Juif, ou plutôt d’un citoyen, Alfred Dreyfus (1859-1935), brillant officier d’artillerie de 35 ans qui, le 22 décembre 1894, était condamné à Paris par un tribunal militaire pour un crime de haute trahison en faveur de l’Allemagne, crime dont il était innocent, mais qui lui fut attribué grâce à une machination policière, militaire et judiciaire d’ampleur dominée par l’antisémitisme. Les gouvernements républicains qui se succèdent jusqu’en 1898 refusent de prendre en compte les preuves de plus en plus certaines de la criminalité du jugement, si bien que des savants (Émile Duclaux), des philosophes (Élie Halévy), des écrivains (Émile Zola), des artistes (Claude Monet), autant d’intellectuels rejoints par de rares hommes politiques socialistes (Jean Jaurès), radicaux (Georges Clemenceau) ou libéraux (Pierre Waldeck-Rousseau), manifestent leur droit de citoyens et protestent contre les menaces que l’affaire Dreyfus représente vis-à-vis des droits de l’homme et du citoyen. A. Dreyfus est condamné une nouvelle fois par un tribunal militaire à Rennes le 9 septembre 1899, mais il est aussitôt gracié et libéré comme l’a exigé Waldeck-Rousseau - devenu entre temps le chef d’un gouvernement de « Défense républicaine » -, puis il est réhabilité le 12 juillet 1906 par la Cour de cassation. Si les leçons de ce grand combat, qui passionna également les opinions publiques étrangères, furent parfois oubliées - et particulièrement dans les années 1930 et sous le régime de Vichy -, l’affaire Dreyfus ne cessa d’incarner un moment de résistance des citoyens devant la raison d’État, la violence politique et les doctrines de haine. L’affaire Dreyfus est constitutive de la mémoire démocratique nationale et internationale, elle est un événement partagé et à ce titre toujours vivante, une morale en d’autres termes.
AFFAIRE DREYFUS • 15 octobre 1894 Elle commence comme une banale affaire d’espionnage : on découvre à l’ambassade d’Allemagne un bordereau annonçant la livraison de documents militaires français. Enquête. Le 15 octobre 1894, on arrête le capitaine Alfred Dreyfus, mulhousien et juif. Jugé, condamné (on utilise notamment un dossier secret, inconnu de l’accusé), Dreyfus est dégradé le 5 janvier 1895 (la foule crie : «Mort aux juifs /») puis déporté en Guyane le 21 février. Nouveau document en provenance de l’ambassade allemande (mars 1896) : un bout de télégramme. Il est adressé au commandant Esterhazy ; Picquart, le nouveau chef du Deuxième Bureau, comprend qu’il est le traître. Mais la hiérarchie militaire, prévenue, décide de ne rien faire, sauf expédier Picquart dans le Sud tunisien. En novembre 1897 éclate «l’affaire» : Félix Faure (alors président de la République), Billot (ministre de la Guerre) et Méline (président du Conseil) sont informés. Résultat : un communiqué officiel affirmant que Dreyfus a été justement condamné. Esterhazy, mis en cause dans Le Figaro, demande à passer en conseil de guerre ; il est acquitté en trois minutes le 11 janvier 1898. Au début de 1898, l’opinion publique comme les milieux politiques sont hostiles à la révision du procès de Dreyfus. C’est alors que Zola va bousculer les consciences avec son fameux pamphlet (voir « J’accuse »). Le 31 août, le colonel Henry, après avoir avoué qu’il a truqué une pièce du dossier d’accusation, se suicide. Le 3 juin 1899, la Cour de cassation annule le jugement de 1894. Pourtant, le conseil de guerre de Rennes condamnera de nouveau Dreyfus à dix ans de prison. Gracié aussitôt par le président de la République - à la demande de Waldeck-Rousseau, alors président du Conseil -, il ne sera pleinement réhabilité, décoré et promu que le 12 juillet 1906. Il est difficile aujourd’hui d’imaginer les passions que déchaîna l’affaire Dreyfus. La lutte entre les dreyfusards et les antidreyfusards faillit tourner à la guerre de religion, à la guerre civile. Elle instaura un clivage profond entre les révisionnistes - globalement la gauche républicaine - qui, vainqueurs, vont constituer la nouvelle majorité politique du pays, et les antidreyfusards - en gros la droite -, ennemis de la République, nationalistes, antisémites et catholiques.