DHÔTEL André
DHÔTEL André. Écrivain français. Né le 1er septembre 1900 à Attigny (Ardennes). De souche ardennaise, André Dhôtel passe les six premières années de sa vie dans sa ville natale : « Attigny, trottoir du monde ». De cette période, il garde un souvenir étonnant dont on retrouve trace, quelque soixante ans plus tard, dans Un jour viendra (1972) : sur la place couverte de glace, il essaie par trois fois de faire des glissades et se retrouve trois fois par terre. Honte publique. (Dans les Ardennes, on a l'esprit caustique envers son prochain.) Honteux comme un enfant peut l'être, Dhôtel découvre alors une chose surprenante : la honte n'a pas éteint la vie. Au contraire. Il s'aperçoit qu'on peut vivre parfaitement à l'aise dans l'indignité. Faut-il assigner à cet événement un coefficient affectif particulier? Une approche psychanalytique de l'oeuvre permettrait peut-être de répondre à la question. En tout cas, il a donné naissance au peuple qui aime, vit et meurt dans le Dhôtelland : menteurs, escrocs, paresseux, bricoleurs, comptables, bedeaux, pharmaciens, garagistes, raccommodeurs de porcelaine, photographes et vagabonds de tout poil, individus qui ne sont ni des rêveurs, ni des marginaux, ni des poètes à la lyre en feu, mais plutôt des personnages à jamais débarrassés des fausses hontes, de la convention sociale ou morale qui n'admet pas que l'on puisse prendre la vie de traverse comme le fait l'énergumène de ce poème « Quatre fois décoré / et mille fois martyr / du tabac et du guignolet ». En 1907, le père d'André Dhôtel, greffier de paix à Attigny, est nommé Commissaire-Priseur à Autun. La famille déménage, revenant régulièrement dans les Ardennes, à Saint-Lambert, pour les vacances. Pratiquant l'école buissonnière sur une grande échelle, l'écolier Dhôtel nage, patine et fait même des fouilles archéologiques sérieuses. Il est ébloui par l'éclat de certaines pierres : l'améthyste, le feldspath ou le mica. Le souvenir de ces éblouissements court de livre en livre, dans toute l'oeuvre : nommons le bracelet d'améthyste d'Estelle dans Bernard le paresseux (1952), la barbe blonde comme un silex et le reflet des micas qui jalonnent le parcours d'Antoine dans Les Rues dans l'aurore (1945). Piéton de l'Autunois, Dhôtel explore le pays dans tous les sens, faisant un devoir de maths dans un fossé, par la gelée, révisant son histoire pour le bac en haut d'un châtaignier. « Il n'y a dans le monde, écrit-il, que des choses gâchées au milieu d'une magnificence impossible à saisir. » Reflets du monde dans les pierres, dans les presse-papiers, les carafes, les flaques, le pommeau d or de la canne de Damont dans l'Homme de la scierie (1950). Saisi par le bleu de la campanule cervicaire, Dhôtel écrit tout un roman, La Tribu Bécaille (1963), où l'on part à la recherche d'un bleu inconnu situé entre le bleu de la chicorée, de la fausse scabieuse et de la laitue sauvage. Interrogé au bac par un professeur d'allemand qui lui demande si le paysage de l'Au-tunois est beau, il répond curieusement : « Non ». Manquent les perspectives des Ardennes, autrement divergentes, géographie en étoile, rayonnante comme les pétales de cet aster que l'on retrouve, au milieu d'une oseraie inextricable dans La Chronique fabuleuse (1960). A un écolier fervent de l'école buissonnière, il faut un paysage buissonnier, à des personnages débarrassés des ronces de la morale publique, les ronciers du Mont Damion (1964) et à un auteur de traverse une géographie de travers. L'été, dans le grenier de Ta maison familiale, Dhôtel lit tout ce qui lui tombe sous la main. La Piste de guerre de Fenimore Cooper aussi bien que l'Ecolier d'Athènes. Des hauteurs de Saint-Lambert, il a l'impression d'aller « en travers » des paysages, plus loin que Le Plateau de Mazagran (1947), plus loin que le dernier pommier de Champagne, jusqu'en Orient où part l'un des personnages de son premier roman, Campements (1930). L'antique Athènes lui est aussi présente que les cancans de village qu'il entend près du lavoir. Fait intéressant a noter, car si la source ardennaise de l'inspiration dhôtelienne a été largement commentée, on a peu parlé de la source grecque, plus secrète peut-être, mais au moins aussi présente, que l'action des romans se déroule en Grèce, Ce Lieu déshérité (1949), Ma chère âme (1961), L'Ile de la Croix d'Or (1979) ou quelle ne s'y déroule pas. En novembre 1918, il est nommé pion à Sainte-Barbe, où les élèves le surnomment Bout-de-Zan son collègue Guillermain (futur Raymond Souplex) étant Bébé Rose. Il prépare sa licence de philo et, de 1920 à 1923, accomplit son service militaire dans le « Peloton des Etudiants » en compagnie de Limbour, Vitrac et Arland. Il fonde avec Arland la revue Aventure (1921) puis Dés qui n'aura qu'un seul numéro, que Dhôtel a oublié de mettre en pages ce qui vaut à la revue « des blancs remarqués par la critique ». Toujours cette indignité travestie par l'humour de maints personnages, secondaires ou non, qui, en dépit de tout, se proclament « honorables ». Plus que la quête d'un Graal poétique ou romanesque, cette honorabilité dans l'indignité maintenue avec un humour et une politesse qui renversent les situations me semble être au centre de ce que l'on a appelé le mystère dhôte-lien. Hasard miraculeux, comme en ce jour de 1924 où Dhôtel voit, à Calais, l'Orient-Express vide avec un wagon marqué « Athènes ». Le lendemain, il reçoit sa nomination officielle pour la Grèce, où il reste quatre ans à l'institut d'Athènes. De la même manière qu'il a exploré tous les gués de l'Aisne entre le Mont-de-Jeux et Attigny avant de se risquer à en parier, il a 1 impression, en arrivant en Grèce, qu'il lui faudra des années avant de comprendre et de traduire cette lumière. Si l'on songe que plus l'oeuvre de Dhôtel s'accomplit, plus elle semble remonter vers le grand jour a la rencontre du ciel bleu, on ne peut pas ne pas penser à la rencontre du ciel d'Athènes. En 1932, à Provins, il épouse Suzanne Laurent. Oublié dans sa garçonnière, le jour du mariage, il attend patiemment qu'on vienne le chercher. « Les galettes patientes / qu'éclairait le ciel bleu / naissaient de tes mains vives / sur la table de neige. » Après Le Petit livre clair (1928), La Vie passagère (1978) : Dhôtel ne publie de poèmes que de cinquante ans en cinquante ans. Entre-temps, cinquante romans jalonnent son itinéraire. Mais répartis de manière inégale. Pendant dix ans, après la publication de son premier roman en 1930, les éditeurs lui refusent tout ce qu'il écrit. Dépression nerveuse à Charolles en 1935, puis à Valognes en 1938. Professeur, il est obligé de demander des congés de longue durée. En haut des pages des cahiers sur lesquels il continue décrire, il note : « Je suis sûr. » A la N.R.F., il est soutenu par Paulhan, son lecteur le plus attentif, qui fait accepter en 1943 le manuscrit du Village pathétique. C'est également grâce à Paulhan qu'il est nommé à Coulommiers, dans un collège proche de Paris, où il restera jusqu'en 1961. Alors, les romans se succèdent. En 1947, David, qui avait été refusé partout, reçoit le Prix Sainte-Beuve. Avec Marcel Bisiaux, Henri Thomas, Armen Lubin, Alfred Kem et Jacques Brenner, Dhôtel collabore à la revue 84, qui sera coulée par la publication en feuilleton des Chemins du long voyage (1949). Vient ensuite la période des Prix (que Dhôtel ratait régu-lièrement chaque année). En 1955 il obtient le Prix Fémina pour Le Pays où l'on n'arrive jamais. Déluge critique. Affublement du héros en pâtre Grand-Meaulnesque chantre de l'Ardenne (contre-sens complet sur toute l'oeuvre). L'Académie Française lui décerne en 1974 son Grand Prix de Littérature et en 1975, c'est le Prix National des Lettres. Comment survivre à cette accumulation d'honneurs ? En se rappelant le glorieux déshonneur initial, c'est-à-dire en recommençant à faire des culbutes dans la neige glissante des mots, avec cette obstination du cancre qui regarde par la fenêtre et voit donc forcément autre chose que le sempiternel tableau noir où crisse la craie du savoir des maîtres et sur lequel tous les feux sont braqués.