DÉVELOPPEMENT/DÉVELOPPEMENTISME
DÉVELOPPEMENT/DÉVELOPPEMENTISME
Au lendemain des indépendances, la volonté de rattrapage des pays développés, que les divers leaders du tiers monde ont affirmée avec force à la conférence de Bandung en 1955, bénéficiait d’un soutien unanime lors de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) de 1964, résumé sous la formule de Nouvel Ordre économique international (NOEI). Qu’il s’agisse des pays proches du camp socialiste au nationalisme sourcilleux ou des pays libéraux restés proches de leurs ex-métropoles, le même postulat optimiste prévalait : l’indépendance politique devait libérer des dynamismes internes inédits et puissants. Les pays que l’on range dans la catégorie « tiers monde » ont ainsi relevé de ce que l’ONU baptisa les « décennies du développement ». Il s’agissait de promouvoir un vaste programme d’aide et de coopération international auquel toutes les nations de la planète, développées et en développement, souscrirent et qui fut reconduit quatre fois jusqu’à la fin des années 1990. La problématique du développement préconisée alors et reprise dans les plans et budgets des pays en développement repose sur des objectifs d’accumulation rapide, traduits en estimations du capital nécessaire pour soutenir des taux de croissance du revenu national au moins égaux à ceux de la croissance démographique.
Les deux présupposés de l’idéologie développementiste.
L’idéologie développementiste reposait sur deux présupposés majeurs : la croissance accélérée des forces productives grâce à la diversification des productions et à l’industrialisation - en utilisant les modèles techniques les plus productifs -, grâce aussi à l’intégration dans une division internationale du travail rééquilibrée ; le rôle majeur de l’État dans la mise en œuvre et le contrôle du processus de croissance, aussi bien au niveau des ressources nationales que de la mobilisation populaire. Les termes de « modernisation » et de « développement » sont généralement employés indifféremment, et riment avec « industrialisation » et « croissance économique ».
Concrètement, des programmes de développement ont été promus avec force moyens économiques, mais aussi idéologiques et politiques, par les institutions internationales et les gouvernements des pays industrialisés. Certes, la politique des blocs occidental et soviétique avait introduit un clivage majeur, mais celui-ci ne portait pas sur les présupposés théoriques ni, pour l’essentiel, sur les fins du développement, mais sur la question de l’égalité des groupes sociaux et des nations quant aux efforts consentis pour la production et à la redistribution des richesses.
Théories de la dépendance et démarches anti-impérialistes.
Deux principaux courants s’en démarquent. Les théories de la dépendance, tout d’abord, systématisées dans les travaux de la CEPAL (Commission économique pour l’Amérique latine de l’ONU), attribuent le sous-développement non pas à un retard de la croissance, mais à une structuration défectueuse des échanges avec les pays développés et en particulier à la nature inéquitable des « termes de l’échange ». Ce courant revendiqua également, reprenant les concepts de « centre/périphérie » utilisés par les politologues, la prise en compte de la spécificité des lois économiques et des situations sociales du tiers monde (comme l’urbanisation sans industrialisation, la marginalité sociale, etc.). Pour remédier à l’« extraversion économique », il faut ainsi accorder la priorité au « marché intérieur » et organiser des « transferts de technologie ». Les politiques réformistes que les théories de la dépendance ont inspirées en Amérique latine et en Afrique connurent un large écho au sein du Groupe des 77 de l’assemblée générale des Nations unies. Elles furent bien entendu contestées par les courants libéraux mais aussi par les courants marxistes qui s’en démarquèrent vigoureusement au nom de la « déconnexion avec le marché ». Les partis anti-impérialistes, organisés au sein de la Tricontinentale (née à Cuba), prônèrent la lutte armée et la construction immédiate du socialisme. En Asie (en particulier au Vietnam et au Cambodge), ils s’installeront durablement au pouvoir.
Toutefois, à partir de la fin des années 1970, tous les modèles de développement montrent leurs limites : les déboires ou échecs des socialismes réels (Chine, Cuba, Guinée, Tanzanie…) et la multiplication des dictatures militaires pro-occidentales accroissent le déclin du tiers-mondisme. Ainsi, au terme de trois décennies de développement, le clivage fondateur entre les voies libérales ou socialistes portant sur la priorité à accorder aux droits civils et politiques d’un côté ou aux droits économiques et sociaux de l’autre, inspire un constat désenchanté : les pays « sous-développés » n’ont bénéficié, dans leur très grande majorité, ni de la démocratie ni du développement économique. La quatrième décennie du développement, baptisée prudemment par les Nations unies « Culture et développement », entérine ce double échec, particulièrement net en termes de croissance des inégalités sociales. Au cours des trois dernières décennies du xxe siècle, la part des 20 % les plus pauvres dans le PIB mondial est passée de 2,3 % à 1,4 %, celle des 20 % les plus riches de 70 % à 85 %, et l’écart des revenus entre ces deux groupes a doublé.
Une double recomposition.
On assiste alors à une double recomposition. D’un côté, après l’effondrement des pays du bloc socialiste, les politiques libérales déploient sans entrave leurs logiques d’ajustement macro-économique et les institutions de Bretton Woods (Fonds monétaire international [FMI] et Banque mondiale) introduisent les démarches pragmatiques du « development management » dans toutes les sphères de l’organisation politique et sociale des pays assistés (« capacity building », bonne « gouvernance », promotion de la société civile, développement local, intégration régionale, prévention des conflits, conditionnalité sociale, écologique…). Les différentes organisations internationales élaborent ces nouveaux credos à partir des concepts de développement durable, de développement écologiquement rationnel, etc., qui ne mettent pas en cause les savoir-faire des développeurs, et proposent un nouveau cadre, vague et évolutif, susceptible d’intégrer les dynamiques du changement social venant du « haut » et du « bas », ainsi que les attentes des acteurs les plus divers.
En contrepoint de ces approches technocratiques, se reconstituent les bases d’une nouvelle utopie post-tiers-mondiste et antidéveloppement glorifiant l’autonomie des hommes ou l’irréductibilité culturelle. Il s’agit de substituer à la tyrannie du marché et à sa rationalité instrumentale, une autre rationalité qui réintroduirait la créativité et l’imaginaire, laissant les peuples définir leurs voies et rythmes de développement. Face à la modernisation rapide, à la différenciation sociale, à l’occidentalisation du comportement des élites urbaines et à l’abolition des liens sociaux traditionnels, aussi bien les courants fondamentalistes que le militantisme communautaire ou nationaliste recréent une solidarité sublimée pour de larges couches de la population exclues du développement.
Des modes d’intervention caducs.
En fait, la volonté des organes dirigeants de l’administration économique internationale (FMI, Banque mondiale, OCDE, OMC, PNUD) de se limiter à assurer un ordre politico-économique mondial a déjà fait éclater la problématique traditionnelle du développement : d’un côté, elle tend à fondre les relations avec les pays « émergents » dans le cadre des relations économiques internationales dites normales (« trade and not aid » ou « aid for trade ») ; de l’autre, au sein des pays qui sont dans l’impossibilité de se lancer dans la voie du développement, l’engagement des grands bailleurs de fonds est motivé par le souci sécuritaire plus que par la diffusion du progrès et du bien-être : promotion de politiques antinatalistes, contrôle des flux de migrants économiques et politiques, lutte contre les nouvelles endémies et fléaux (sida, drogue), sauvegarde des équilibres naturels mondiaux.
La fin des dictatures militaires en Amérique latine, l’éclatement des systèmes tutélaires en Afrique, la contestation démocratique en Asie, et plus généralement l’émergence de nouvelles forces et formes de mobilisation politique dans les pays du Sud ont rendu caducs les modes d’intervention économiques et militaires traditionnels des grandes puissances occidentales et les politiques d’aide publique au développement (APD), bâties sur les ressorts mêmes qui avaient conduit aux indépendances. Il reste à l’« industrie du développement », recentrée sur des tâches prioritaires (sécurité collective et protection sociale, promotion de l’éducation et de la santé, de l’état de droit et des libertés publiques), à faire la preuve de son adéquation avec le nouveau contexte international en instaurant des relations plus transparentes et bénéfiques pour les pays concernés.
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