Dette: les banques prises à leur propre piège?
Dette: les banques prises à leur propre piège?
Les banques ont-elles mordu la poussière en 1990? Après avoir imprudemment prêté aux pays du tiers monde dans les années soixante-dix, après leur avoir concédé des rééchelonnements de dette à partir de 1982 (tout en engrangeant des intérêts sur des durées plus longues), les banques auraient finalement capitulé... En accordant au Mexique une réduction d'environ 35% sur les deux tiers de sa dette bancaire, en acceptant que les Philippines et le Costa Rica rachètent directement des montants substantiels de leur dette aux prix du marché (à environ 50 et 20% de la valeur officielle respectivement), les banques ont bel et bien renoncé au dogme du paiement d'intérêts et du remboursement à la valeur faciale du capital emprunté.
Une première lecture de ce renversement de situation consisterait à imputer au gouvernement américain la paternité du coup de théâtre: en déclarant en mars 1989 que "les banques devaient faire des efforts pour parvenir à des réductions, tant de la dette que du service de la dette", Nicholas Brady, secrétaire américain au Trésor, a bien forcé la main aux banquiers. Ces derniers ont dû s'exécuter d'autant plus rapidement que le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, d'abord circonspects, ont rapidement pesé de tout leur poids pour appuyer le plan Brandy. Dès lors, impossibilité de payer reconnue pour plusieurs grands pays d'un côté, réalisme devenu doctrine officielle à Washington, de l'autre, seraient responsables de la brèche ainsi ouverte dans l'orthodoxie financière.
Cette vision n'est pas contradictoire avec une seconde lecture, plus structurelle celle-ci, qui consiste à critiquer les banques pour s'être piégées elles-mêmes. Montrant un front uni face aux débiteurs isolés lors des négociations de rééchelonnement, les banques se trouvaient indiscutablement en position de force relative dans les années 1983-1986. Ce pouvoir s'est notamment matérialisé par leur capacité à imposer aux débiteurs le principe d'une créance quasi perpétuelle, tout en les contraignant à des programmes d'ajustement structurel formellement pilotés par le FMI. Mais devant l'irréalisme à long terme de cette position (incapacité des débiteurs de stabiliser leurs déficits courants tout en maintenant une croissance saine), les banquiers ont fait clandestinement voler en éclats leur propre solidarité.
Le marché des créances douteuses
Au moment même (1984) où le principe de solidarité leur faisait "jouer" les rééchelonnements, le principe éternel du "chacun pour soi" les incitait à jouer le marché secondaire, à tenter de se refiler les mauvaises créances contre de relativement bonnes ou à diversifier géostratégiquement leur portefeuille de créances... Le marché des créances douteuses a été l'outil privilégié pour se tirer d'affaire, se défausser individuellement. Au risque qu'apparaisse rapidement une forte décote sur les pays les moins prisés... C'est-à-dire que la crédibilité d'un paiement des intérêts et d'un remboursement selon la valeur faciale soit fondamentalement entamée... C'est-à-dire aussi que la solidarité dans l'orthodoxie affichée lors des rééchelonnements passe pour de la pure et simple hypocrisie!
Les résultats de cette rupture de solidarité ne se sont guère fait attendre: dès 1986, Chili, Philippines, Mexique et Vénézuela commençaient à racheter leurs créances pour 80 à 90% de leur valeur, avec de la monnaie locale (il est vrai avec cession d'actifs productifs nationaux en contrepartie) ; en 1988, le Brésil s'y mettait à son tour et imposait des "ristournes" allant jusqu'à 46% ; dès 1987 pour la Bolivie et en 1988 pour le Chili, le rachat direct de la dette, sans contrepartie et au prix du marché, devenait officiel pour de faibles montants (21% de sa dette bancaire pour la Bolivie, 2,5% pour le Chili).
En 1988 et 1989, les opérations d'échange sud-sud financées par des créances douteuses se multipliaient ; courant 1989, quelques institutions financières commençaient à racheter d'importants paquets de dettes d'un pays donné pour les revendre à un prix convenu et proche du marché à ce débiteur... Tout indiquait donc que la valeur des créances sur le marché, sans représenter la valeur réelle des économies ainsi "bradées", devenait la valeur unique et incontournable de référence. Et constituait désormais l'horizon des acteurs de la dette, bien davantage que les accords de rééchelonnement de plus en plus vidés de toute signification.
Si les banques se sont bien piégées elles-mêmes globalement en misant sur le marché (avec toutefois de beaux profits individuels pour celles qui ont bien joué), elles ont parallèlement su atténuer les effets douloureux du piège. En provisionnant leurs créances douteuses jusqu'à 40-70% du total (sauf banques japonaises), elles ont su constituer un matelas de sécurité qui leur a permis d'aller tranquillement à Canossa et de consentir des rabais significatifs. Qui plus est, ces provisions amassées depuis 1982 (pour les banques européennes continentales) et surtout 1987 (pour les banques anglo-saxonnes) ne leur ont pas coûté trop cher: la défiscalisation par leurs Trésors respectifs, le placement de ces provisions, leur insertion dans les fonds propres ont, à des degrés divers selon leur nationalité, procuré des avantages supplémentaires aux institutions financières.
En définitive, les banques sont loin d'avoir perdu dans l'affaire le montant de réduction de dette consenti. En payant les intérêts depuis 1982, les débiteurs ont pris leur part du coût immédiat de la réduction de dette ; en payant régulièrement leurs impôts, les contribuables des pays riches (sauf Américains et Japonais) ont aussi partagé le fardeau. Mais, comme la dette était (est toujours) une entrave à la croissance du tiers monde et un frein à l'expansion au Nord, commencer à la réduire, c'est d'abord favoriser la relance de l'économie mondiale. Il n'est pas sûr pour autant que la question du développement dans les pays endettés s'en trouve automatiquement résolue.
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