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Dette des tiers mondes - Un retour sur le devant de la scène?

Dette des tiers mondes - Un retour sur le devant de la scène? Encadré : Conditionnalité: légitimer le droit d'ingérence? La crise de la dette des pays du Sud a tenu une place considérable dans l'actualité des années quatre-vingt. Mais elle a cessé par la suite de faire les gros titres des journaux, semblant "digérée". La menace que cette crise constituait pour les systèmes financiers des pays industrialisés est pourtant restée latente, mais bien d'autres motifs de fragilité ont contribué à la faire "oublier": crise de l'immobilier dans les grandes métropoles, risque des marchés dérivés, niveaux des taux d'intérêt réels, etc. La dette des tiers mondes a semblé remisée sur les étagères aux produits exotiques. Il a fallu la brève crise mexicaine de janvier 1995 pour que l'actualité se saisisse à nouveau du problème, invitant au réexamen d'un problème qui a considérablement évolué, et qui est devenu multiforme. De profondes évolutions La crise mexicaine de 1995 -Unis et des institutions internationales. Mais l'analogie s'arrête là. La reprise des flux de financements extérieurs dont bénéficient les pays "émergents" (pays ayant commencé leur "décollage économique") ne peut se comparer à celle des années soixante-dix: au début des années quatre-vingt-dix, les flux sont pour une grande part composés d'investissements directs (non générateurs d'endettement) et d'investissements de portefeuille, portant souvent sur des titres privés. Les prêts bancaires aux États ne jouent qu'un rôle restreint: depuis 1991, l'essentiel du financement extérieur des États endettés se fait sur les marchés obligataires internationaux. Cette nouvelle configuration modifie sensiblement la répartition des risques: les investisseurs internationaux portent dorénavant une part importante du risque, et le lien entre dette publique et dette extérieure se trouve ainsi détendu. Ce sont ces éléments qui sous-tendaient le diagnostic de "fin de la crise". Parmi les symptômes a notamment figuré la remontée des cours des créances sur les pays en développement sur les marchés secondaires. Après avoir atteint un sommet en 1987, les principaux indicateurs d'endettement ont ensuite diminué pour se rapprocher progressivement des niveaux antérieurs à la crise. Il faut noter que les diverses modalités de réduction de la dette n'ont joué qu'un faible rôle dans la sortie de crise. L'avancée la plus prometteuse en ce domaine est restée le plan Brady de 1989 (du nom du secrétaire au Trésor des États-Unis de l'époque), fondé sur la titrisation des créances (transformation de celles-ci en obligations facilement négociables, mais avec une décote correspondant à celle qui était apparue sur le marché secondaire). Mais ce plan n'a finalement porté que sur des montants limités. En fait, la situation a surtout été modifiée par la mise en place de nouvelles politiques économiques liées à la libéralisation progressive des économies. En particulier la vague de privatisations d'entreprises publiques, la mise en place de marchés financiers nationaux, ainsi que la réduction des obstacles à l'investissement étranger ont eu un impact considérable sur le financement extérieur. Les échanges de dettes contre actifs (debt equity swaps) ont ouvert un nouveau champ. Par la suite, la reprise de la croissance a contribué à inverser à nouveau les anticipations des investisseurs internationaux, d'autant que des taux d'intérêt très bas aux États-Unis les incitaient à chercher ailleurs des placements plus rémunérateurs. Tous ces éléments ont contribué à une reprise remarquable du financement international privé vers les pays du Sud, évidemment polarisée sur les pays dont le potentiel économique paraissait le plus prometteur (Chine, Inde, etc.). La crise mexicaine du début 1995 est venue rappeler à la prudence. Elle a souligné un aspect profondément nouveau de la situation actuelle: l'intégration en profondeur des marchés internationaux de capitaux, fondée sur une extrême mobilité. Les pays émergents ayant reçu une partie importante de leurs capitaux sous forme de placements spéculatifs étaient ainsi à la merci d'un reflux brutal, sous l'effet de causes internes (politique économique, troubles politiques) ou externes (modification des taux d'intérêt aux États-Unis). Les pays émergents se retrouvaient donc dans une situation commune à d'autres pays: les marges de manoeuvre des gouvernements et des banques centrales sont de plus en plus limitées par le rôle croissant des marchés internationaux de capitaux. Évidemment, les effets de cette instabilité sont d'autant plus violents qu'ils frappent des économies relativement fragiles, tant au niveau de leur structure productive (semi-industrialisation) que financière. Paradoxalement, cette crise qui concerne principalement des marchés privés a remis au premier plan le rôle des autorités publiques à travers l'impact des décisions gouvernementales sur l'évolution des taux de change et des taux d'intérêt. Une différenciation croissante des pays débiteurs La profonde hétérogénéité des pays du Sud s'était encore creusée dans les années soixante-dix, lorsque les banques cherchèrent à recycler des liquidités excessives: ces financements se concentrèrent sur les pays relativement les plus riches, laissant pratiquement de côté les pays les moins avancés. Ces derniers n'ont donc accès qu'aux financements publics bilatéraux ou multilatéraux, qui leur sont accordés à des conditions très favorables. En 1990, par exemple, 99% du financement extérieur des pays à faible revenu de l'Afrique subsaharienne était public, et pour 87% concessionnel (taux d'intérêt moyen: 3,9%, contre 8% pour l'Amérique latine). La crise dans les pays endettés à revenu relativement élevé a quant à elle été déclenchée par la méfiance des marchés, lesquels ont subitement refusé tout nouveau prêt non nécessaire pour assurer le service des intérêts dus. Pourtant, dans les années soixante-dix, ces pays ont connu une croissance rapide, ainsi qu'un développement spectaculaire de leurs exportations non traditionnelles. Si les déterminants "fondamentaux" (solde des échanges extérieurs, inflation, etc.) étaient relativement sains, le choc représenté par le brutal changement de politique monétaire aux États-Unis (1979) avait jeté le doute et conduit à une inversion des anticipations. C'est ainsi que les transferts vers ces pays devinrent négatifs, les remboursements dépassant le montant des financements nouveaux. Les politiques de stabilisation du FMI (Fonds monétaire international) furent appliquées dans cette situation de pénurie artificielle de devises, ce qui se traduisit par un "surajustement" et conduisit à une forte décélération économique, durement ressentie par les groupes sociaux les plus déshéritées. Rien de tel ne s'est produit pour les pays les plus pauvres. Les flux vers ces pays sont restés stables, voire légèrement croissants en termes réels sur le long terme. L'enlisement dans l'endettement aura été pour eux le résultat d'une faible croissance, du faible rendement du système fiscal et, surtout, de l'instabilité des recettes d'exportations. L'endettement extérieur n'y a pourtant généralement pas le caractère d'une contrainte extérieure forte, car le non-respect des échéances n'est que faiblement sanctionné. Seuls des pays très désorganisés (comme le Zaïre) ont atteint le point de non-retour; l'accumulation d'arriérés a conduit à la seule sanction possible: l'arrêt des financements extérieurs. Le centre de la crise de la dette s'est manifestement déplacé, des grands débiteurs (Mexique, Brésil) vers les pays les plus pauvres. Ceux-ci ne doivent pas des montants considérables (l'Afrique subsaharienne ne devait en 1982 que 17% de la dette totale des pays en développement), et la quasi-totalité de cette dette est détenue par des organismes publics. L'incapacité persistante de ces pays à rembourser rend cependant de plus en plus dérisoires les méthodes mises en oeuvre. Pourtant, de temps à autre, les grands pays créanciers ont procédé à des annulations de dette. Lorsqu'il s'agit de pays à faible revenu, depuis l'initiative de Toronto (1988), les pays du G-7 annulent une partie (un tiers initialement, puis la moitié et les deux tiers à compter de décembre 1994) des sommes rééchelonnées au Club de Paris, instance informelle où les États industrialisés examinent au cas par cas les problèmes des pays débiteurs. Un pas supplémentaire a été franchi en décembre 1994 puisque, dans certains cas, il est devenu possible d'annuler non plus les montants rééchelonnés (qui sont souvent très faibles), mais le stock de la dette lui-même (traitement de sortie). Les mesures prises se sont toutefois révélées insuffisantes: les indicateurs d'endettement des pays pauvres n'ont cessé de progresser, alors que ceux des autres pays du Sud revenaient progressivement à des niveaux plus réduits.A partir de 1993, en Afrique subsaharienne, le rapport entre l'encours de la dette et les exportations de biens et services a dépassé le niveau le plus élevé atteint par l'Amérique latine au cours de la crise. Cela devrait conduire rapidement à en prendre acte, et à annuler des montants significatifs du stock de dette de ces pays, lequel devient de plus en plus virtuel au fur et à mesure que s'éloignent les perspectives de remboursement. Ce remboursement est d'autant plus difficile que le poids de la dette inhibe la croissance. Certains économistes mettent en avant l'idée que l'alourdissement de la dette conduit le secteur privé à anticiper un accroissement des prélèvements futurs, ce qui réduirait leur incitation à investir. Mais la croissance est surtout freinée par le fait que le paiement de la dette par les États remet en cause leur possibilité de jouer un rôle économique et social minimal. En particulier, la réduction de l'investissement public et de l'entretien des infrastructures a un effet négatif sur l'investissement privé. L'éventuelle annulation de montants substantiels de créances pose évidemment de délicats problèmes budgétaires aux pays industrialisés. C'est aussi un problème délicat pour les banques de développement qui détiennent un stock de créances considérable sur les pays à revenu faible et intermédiaire. Cela explique leur refus obstiné de toute restructuration de leurs créances. Quel financement du développement? Si l'endettement extérieur a cessé de constituer un véritable problème en tant que tel, la nécessité de promouvoir le développement des pays du Sud et leur démocratisation impose de repenser en profondeur le financement extérieur de ces pays, ainsi que les institutions qui les dispensent. La réflexion à ce niveau ne peut être coupée de celle qui concerne les échanges commerciaux, à la fois parce que des recettes d'exportation importantes limitent les besoins en financement extérieur et aussi parce que les flux financiers à long terme Nord-Sud ne peuvent se développer que si les biens et services produits au Sud peuvent accéder aux marchés du Nord, dégageant ainsi les excédents de balance courante nécessaires au remboursement. Si les flux privés jouent un rôle de plus en plus important en matière de financement des activités industrielles et commerciales, les flux publics (y compris ceux des banques commerciales) devront s'orienter principalement vers le financement des infrastructures économiques et sociales ainsi que vers le soutien à la lutte contre la pauvreté, dans le cadre d'une meilleure coordination entre bailleurs de fonds. Par ailleurs le rôle du FMI devra également être repensé pour lui permettre d'intervenir efficacement en cas de crises monétaires graves, qui peuvent désorganiser durablement les économies les plus fragiles.

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