Dette, aide publique au développement : une nouvelle donne ?
Dette, aide publique au développement : une nouvelle donne ?
Il a été beaucoup question, au cours des années 1990, de la « fatigue » de l'aide publique au développement (APD), ce qui s'est traduit par une réduction progressive des montants alloués. Dans les pays industrialisés, l'aide publique au développement (APD) était accusée d'inefficacité. Au Sud, elle « fatiguait » en raison des multiples recommandations et conditions qui y étaient attachées et qui variaient en fonction d'effets de mode. De plus, nombreux étaient ceux, au Sud qui restaient convaincus que l'aide ne faisait que masquer les intérêts égoïstes du Nord.
Pourtant, depuis la fin de la décennie 1990, les déclarations d'intention se sont multipliées en faveur d'un renouveau de l'APD. Les réductions de dettes se sont accentuées et un consensus s'est établi entre les pays industrialisés (et, en principe, les pays receveurs) autour des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). De nouvelles propositions ont surgi, visant à doubler l'aide au développement, par exemple lors du « sommet » du G-8 (Groupe des pays les plus industrialisés) à Gleneagles (Écosse), en juillet 2005. Les pays du Sud prennent aussi l'initiative de proposer de nouvelles approches. Tout cela ne va cependant pas sans contradictions puisque ce renouveau annoncé ne répond que partiellement aux doutes qui s'étaient fait jour dans la période précédente.
La lutte contre la pauvreté, un cadre nouveau ?
L'initiative « pays pauvres très endettés » (PPTE), lancée en 1996 et approfondie en 1999 et en 2005 (annulation totale des créances des organisations multilatérales pour 17 pays a fourni aux États de nouvelles ressources (du moins pour les pays qui remboursaient), sur la base de règles prédéfinies. Cette initiative s'est insérée dans la nouvelle orientation des organisations internationales fondée sur la lutte contre la pauvreté. Il s'agit, au moins potentiellement, d'un bouleversement du cadre dans lequel l'aide se déploie. En effet, le « consensus de Monterrey » de 1999 affiche la volonté de laisser les pays définir eux-mêmes une politique de développement qui leur soit adaptée (ownership). Ces stratégies sont consignées dans un « document de stratégie de réduction de la pauvreté » (ou DSRP), qui doit servir de cadre de référence unique pour la coordination des bailleurs de fonds. L'allègement de la gestion de l'aide est l'un des objectifs poursuivis, en éliminant certains problèmes liés aux différences de procédures (modalités des appels d'offre, de passation des marchés, etc.).
Cette approche admet implicitement que les gouvernements bénéficiaires décident de faire de la lutte contre la pauvreté leur objectif fondamental. Il s'agit également de réformer la conditionnalité, d'impliquer la société civile et de généraliser l'aide budgétaire. La conditionnalité s'élargit à des indicateurs de résultat, notamment en matière de pauvreté et de bonne gouvernance, tandis que les programmes portent de plus en plus sur un soutien budgétaire à la production de services sociaux. Les donneurs s'impliquent de ce fait sur le long terme dans la définition des politiques de développement (les réductions de dette devant s'étaler sur une génération environ).
Les substantielles annulations de dette liées à cette nouvelle démarche redonnent des marges de manouvre aux pays les plus pauvres de la planète. Toutefois, en détournant les prêteurs potentiels, les réductions de dette devraient déboucher sur un recours accru aux dons en remplacement des prêts. Cela implique un risque de marginalisation des pays les plus pauvres et peut les empêcher de financer des activités rentables [Jacquet, Severino, 2004].
Jusqu'alors, les changements ont pu apparaître encore modestes, ce qui ne peut surprendre pour un changement institutionnel de cette ampleur. Les DSRP ressemblent en partie aux documents de politique économique antérieurement rédigés à Washington. De plus, ils conditionnent aussi les nouveaux prêts des institutions financières internationales (IFI), ce qui induit un certain « dualisme » : la gestion des programmes avec le FMI (Fonds monétaire international) a tendance à se poursuivre comme par le passé (avec pour justification qu'il n'y a pas de croissance pérenne sans que les équilibres macro-économiques soient préservés), la réduction de la pauvreté étant laissée aux autres bailleurs de fonds.
Dans certains cas, la pression à décaisser (pour des raisons bureaucratiques ou financières) et celle de l'opinion publique internationale conduisent les IFI à accélérer le processus, au détriment de la qualité des programmes. La difficulté reste de trouver suffisamment de dépenses productives dans les pays les plus pauvres. L'implication de la « société civile » peut également être problématique, car les multiples institutions qui composent cette nébuleuse ont des niveaux de représentativité très divers. Le risque demeure que ce recours à la démocratie « directe » ne contourne des institutions démocratiques encore fragiles.
Néanmoins, l'élaboration du DSRP a parfois amorcé dans les pays une réflexion collective sur les politiques à suivre. La réflexion sur les stratégies de moyen/long terme a refait son apparition. La programmation à moyen terme des dépenses publiques est une voie prometteuse pour sortir du pilotage à vue des programmes de réformes macro-économiques. L'implication de la société civile porte l'espoir d'un renforcement de la capacité interne de discussion, de suivi et d'évaluation des politiques de développement, et donc d'accroissement de la transparence de l'action publique.
Objectifs du Millénaire, une refondation ?
La mise en place d'un consensus mondial autour des OMD au « sommet » du Millenium organisé par les Nations unies en 2000 constitue toutefois un évènement majeur. Les OMD portent sur la réduction de la pauvreté, l'universalisation de la scolarisation primaire, la suppression des inégalités de genre, la réduction de la mortalité infantile et maternelle, la lutte contre le sida et les autres épidémies, l'avancée vers la soutenabilité environnementale et la mise en place d'un partenariat global pour le développement. Pour la première fois, la communauté internationale se dote d'objectifs globaux et communs en matière de développement qui ne soient pas seulement des objectifs de moyens comme une cible de 0,7 % du PIB (produit intérieur brut) pour la contribution des pays riches à l'APD. Cette étape est essentielle pour la relégitimation de l'aide en la réinsérant dans un projet universaliste fondé sur les droits humains et en renouvelant les objectifs à atteindre sur des bases plus précises, mesurables et mieux partagées entre pays donneurs et receveurs.
Cette nouvelle orientation suscite naturellement de nouveaux questionnements. La communauté internationale a sans doute en partie versé dans la tentation de se fixer des objectifs sans savoir comment les atteindre (au moins de manière pérenne), particulièrement en Afrique subsaharienne. Il ne suffira certainement pas de financer les secteurs sociaux dans les pays les plus pauvres. Certains analystes s'inquiètent du fait que d'autres vecteurs importants du développement ont été laissés de côté (notamment la mise en place d'infrastructures et l'appui aux dynamiques privées), alors qu'ils sont probablement décisifs, y compris pour atteindre les objectifs retenus. C'est pourquoi différentes tentatives ont été faites pour préciser ce que pourrait être une croissance « pro-pauvres », qui maximiserait son impact sur la réduction de la pauvreté, notamment par la prise en compte des inégalités [AFD et alii, 2005 ; Banque mondiale, 2005].
En mettant en avant le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (Nepad) officiellement adopté par l'Organisation de l'unité africaine (OUA) en 2001 les pays africains ont avancé une stratégie en vue de maîtriser leur destin collectif. L'accueil reçu par le Nepad a témoigné d'une ouverture nouvelle des pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) vis-à-vis des initiatives africaines, même si les réalisations tardent à se concrétiser et risquent même de susciter une nouvelle occasion manquée.
De plus, diverses initiatives prises par les pays en développement dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) ont mis en relief les contradictions existant entre les politiques des pays de l'OCDE. Aider est une bonne chose, mais il vaudrait mieux que les pays bénéficiaires puissent valoriser leurs avantages comparatifs dans un cadre assaini. La contestation par les pays pauvres producteurs des subventions aux producteurs de coton des pays riches en préparation de la conférence ministérielle organisée par l'OMC en 2003 à Cancun a marqué une étape dans ce sens, au moins symbolique.
Peut-on doubler l'aide ?
La perspective de réalisation des ODM en 2015 renouvelle la discussion sur le financement du développement. Moyennant certaines hypothèses assez fortes, le rapport Sachs (2005) a évalué le montant nécessaire pour atteindre les ODM. En gros, un doublement de l'aide serait nécessaire (il faudrait la faire passer de 50 à 100 milliards de dollars par an). Ce chiffre a d'ailleurs été repris dans la déclaration du « sommet » du G-8 de Gleneagles. De nombreuses propositions ont été émises pour trouver ces 50 milliards supplémentaires. Les Britanniques ont proposé une Facilité financière internationale (IFF) : les pays industrialisés emprunteraient et constitueraient ainsi un fonds pour accroître l'aide. Cela permettrait de disposer de l'argent tout de suite et de réaliser une sorte de « big push », nécessaire selon ses partisans pour sortir les pays pauvres de la « trappe à pauvreté ». Les obstacles techniques ne manquent pas (qui gère le fonds ? les engagements des États doivent-ils être considérés comme une dette publique des pays industrialisés ?), mais les obstacles politiques sont encore plus importants (les États-Unis ont refusé d'y participer). La France (rapport Landau 2004) et l'Allemagne prônent plutôt diverses modalités de taxation internationale (sur les transactions financières, les armes, les billets d'avion, etc.) Cette approche se heurte à une opposition anglo-saxonne vis-à-vis de toute taxation supplémentaire, surtout à un niveau supranational.
Par ailleurs, l'accroissement des réductions de dette peut masquer en partie la situation réelle de mobilisation du financement, puisqu'elles sont comptabilisées comme des dons et ont représenté une partie importante de l'accroissement de l'APD à compter de la fin des années 1990. Une fois de plus, les effets d'annonce risquent donc de déboucher sur des réalisations beaucoup plus modestes. Si l'aide est moins que par le passé le théâtre d'un affrontement stratégique, elle est devenue de manière croissante un enjeu en matière d'image et de statut international pour les pays riches et pour leurs dirigeants.
Peut-on accroître l'aide sans la gaspiller ?
La perspective d'un doublement de l'aide remet sur le devant de la scène l'ancien problème de la capacité d'absorption. Les pays donateurs pourraient-ils mobiliser rapidement ces fonds pour les canaliser vers les pays en développement malgré des procédures souvent complexes et mal coordonnées, et malgré l'orientation vers plus de sélectivité ? Les pays bénéficiaires pourraient-ils gérer ce doublement sans en gaspiller une partie importante, par suite de détournements massifs, des effets pervers de l'afflux de ressources rentières sur les systèmes productifs (« syndrome hollandais »), ou simplement de mauvaise gestion ? C'est une question complexe, qui dépend aussi de la façon de procéder. Un doublement de l'aide sous forme de projets n'est guère pensable, à moins d'investir massivement dans les infrastructures, ce qui demande du temps. Un doublement de l'aide sous forme d'aide budgétaire pose des problèmes aigus de qualité et de contrôle de la dépense publique. La capacité d'élaboration des politiques, de mise en ouvre, de suivi et d'évaluation par les administrations locales est faible dans les pays les plus pauvres.
La difficulté à décaisser, malgré l'ampleur des « besoins » est un problème familier pour ceux qui gèrent l'aide au développement. Paradoxalement, il se révèle bien difficile de dépenser de manière efficace l'argent mobilisé pour l'aide, comme l'a encore rappelé la mobilisation intense en faveur des victimes du tsunami qui a touché l'Asie du Sud en décembre 2004. L'aide la plus utile ne coûte pas nécessairement très cher. Le micro-crédit, par exemple, ne mobilise que des montants réduits, car les pauvres ne peuvent emprunter que des sommes infimes. Seules les grandes infrastructures nécessitent des montants élevés. Or les principales infrastructures ont été construites, et certaines sont peu utilisées ou impossibles à entretenir dans les pays les plus pauvres.
Il est par ailleurs difficile d'identifier de grands projets ayant une rentabilité sociale indiscutable en raison, notamment, de la faible croissance de ces économies (un autre phénomène de « trappe à pauvreté »). Ces obstacles au décaissement sont importants. Mais, en profondeur, le problème est lié au dogme selon lequel l'aide ne doit concourir qu'à l'investissement et non au fonctionnement. L'aide peut servir à construire des écoles, mais non à payer les maîtres. Cet ancien dogme a commencé à chanceler. De plus en plus de programmes incluent des dépenses de fonctionnement dans les domaines sociaux. Le rapport Sachs préconise de prendre en charge les salaires de certains fonctionnaires dans les pays pauvres. C'est, selon lui, une condition impérative à la réalisation des OMD. Le problème de la capacité d'absorption ne disparaît pas pour autant car la capacité à accroître la dépense publique sans faire baisser sa qualité connaît elle même des limites. Mais, si ce tournant est pris par les bailleurs de fonds, la question de l'avenir risque d'être celle de la dépendance plutôt que celle de la capacité d'absorption.
Une aide plus sélective ?
La réflexion sur l'efficacité de l'aide a été renouvelée par le rapport de la Banque mondiale (1999) Assessing Aid qui développait l'idée que l'aide n'est efficace que si les politiques économiques du pays d'accueil sont bonnes et si ses institutions sont bien conçues. En conséquence, le rapport préconisait la sélectivité : l'aide devrait être réservée aux pays bien gérés, les autres ne recevant que des conseils pour améliorer politiques et institutions. Cette approche est extrêmement discutable dans la mesure où il n'est guère facile d'évaluer objectivement politiques et institutions, et encore moins de désigner un organisme ayant une légitimité incontestable pour le faire. Les organisations financières internationales font preuve d'une subjectivité étonnante, qui se traduit par la mise en avant de « bons élèves » sur des critères mouvants parmi lesquels la capacité à renvoyer à ces institutions leur propre discours joue visiblement un rôle important.
Néanmoins, la sélectivité a gagné du terrain en pratique, ne serait-ce que pour éviter le saupoudrage jusqu'à l'absurde de l'APD : c'est faire de nécessité vertu. Le gouvernement des États-Unis a poussé très loin l'application du principe de sélectivité, créant même pour cela une institution nouvelle à côté de l'USAID (Agence des États-Unis pour le développement international) : le Millenium Challenge Account (MCA). Le MCA accorde son aide selon des critères stricts de bonne gouvernance, avec pour résultat assez prévisible qu'il est loin d'avoir alloué la totalité de sa dotation budgétaire, faute d'avoir trouvé des bénéficiaires irréprochables.
En pratique, la sélectivité repose souvent sur des exigences de démocratie (ou de respect élémentaire des droits de l'homme) ou de transparence dans la gestion des fonds publics (la convention UE-ACP de Cotonou qui lie les pays de l'Union européenne aux pays d'Afrique-Caraïbe-Pacifique a introduit des mécanismes à ce niveau). L'aide est ou a été suspendue à différentes époques pour des pays comme Haïti, le Kénya, le Zimbabwé, le Togo, le Niger ou Myanmar pour non-respect des droits de l'homme. C'est une évolution sans doute positive, mais qui semble bien souvent à géométrie variable, et qui serait mieux fondée si l'efficacité des sanctions à faire évoluer les situations était avérée.
L'approche « sélective » replace le débat sur la finalité de l'aide. Si celle-ci matérialise une solidarité au niveau international, la question de l'efficacité n'est pas pertinente en tant que critère d'allocation. Au contraire, les pays les plus pauvres, dont les habitants auraient le plus besoin d'être aidés, sont souvent parmi les plus mal gérés et disposent des institutions les plus faibles. Dans son fondement même, cette approche « sélective » est potentiellement contradictoire avec l'initiative PPTE [Naudet 2003], comme avec l'approche par les OMD. L'allocation de l'aide devrait tenir compte des objectifs poursuivis (réduire la pauvreté de moitié d'ici 2015, par exemple), de la situation de départ (dont les pays ne sont pas responsables), et des efforts réalisés [Cogneau, Naudet 2005]. Les montants ainsi déterminés pour chaque pays ne sont pas forcément compatibles avec les initiatives portant sur les réductions de dette. En effet, ces réductions sont fondamentalement inéquitables. Elles peuvent être beaucoup plus importantes que les dotations nécessaires (pour les pays qui étaient très endettés) ou très insuffisantes (pour les pays peu endettés) [Bougouin, Raffinot, 2003].
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