Descartes: Le bon sens
Dans le "Discours de la Méthode" (1637), Descartes expose l'essentiel de sa philosophie. Il s'interroge d'abord sur les conditions qui peuvent mener à une connaissance certaine. Puis il se demande s'il n'est pas possible de fonder sa propre vie sur des principes solides. En attendant d'avoir découvert des certitudes absolues, il proposera une "morale par provision", qui déjà constitue un bon guide d'existence. Mais encore faut-il comprendre comment nous pouvons penser adéquatement.
Problématique
Comment expliquer nos erreurs de jugement ? Ou bien il faut admettre que l'accès à la vérité n'est possible que pour une minorité d'individus, ou bien il faut comprendre les raisons pour lesquelles tous se trompent souvent, alors qu'ils disposent des instruments intellectuels pour bien penser. C'est la thèse de Descartes : tous les hommes sont également doués de la faculté de raisonner, mais tous ne s'en servent pas correctement. Bien plus : loin d'être significatives, les différences de performances de la mémoire, de l'imagination ou encore la rapidité de raisonner n'y changent rien. Il suffit, pour bien penser, d'appliquer une méthode stricte et rigoureuse.
Enjeux
L'universalité de la raison comme donnée essentielle de la condition humaine est ici affirmée par Descartes. Mais cela ne signifie peut-être pas que tous les hommes disposent d'une raison "en acte". Celle-ci doit en effet être cultivée, entraînée, faute de quoi ils restent, tels les prisonniers de la Caverne de Platon, immergés dans les obscurités de leurs conceptions subjectives dont ils n'ont même pas conscience.
Le bon sens
Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux mêmes qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n'ont point coutume d'en désirer plus qu'ils en ont. En quoi il n'est pas vraisemblable que tous se trompent, mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d'avec le faux, qui est proprement ce qu'on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi, que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien. Les plus grandes âmes sont capables des plus grands vices aussi bien que des plus grandes vertus, et ceux qui ne marchent que fort lentement peuvent avancer beaucoup davantage s'ils suivent toujours le droit chemin, que ne font ceux qui courent ou qui s'en éloignent. Pour moi, je n'ai jamais présumé que mon esprit fût en rien plus parfait que ceux du commun ; même j'ai souvent souhaité d'avoir la pensée aussi prompte, ou l'imagination aussi nette et distincte, ou la mémoire aussi ample ou aussi présente, que quelques autres. Et je ne sache point de qualités que celles-ci qui servent à la perfection de l'esprit : car pour la raison ou le sens, d'autant qu'elle est la seule chose qui nous rend hommes et nous distingue des bêtes, je veux croire qu'elle est tout entière en un chacun, et suivre en ceci l'opinion commune des philosophes qui disent qu'il n'y a du plus et du moins qu'entre les accidents, et non point entre les formes ou natures des individus d'une même espèce.
- naturellement : Descartes considère que la faculté de bien penser n'est pas acquise en son fond, puisque tous les hommes en disposent naturellement.
- raison : synonyme de bon sens, lumière naturelle. Faculté de produire des jugements, d'associer ou de distinguer des idées. Ne pas confondre avec "sens commun", qui désigne la pensée commune, ordinaire, de "l'homme de la rue".
- jugement : proposition par laquelle on affirme qu'une caractéristique appartient ou non à une réalité quelconque.
- raisonnable : ici, signifie simplement "doué de raison", à la différence du sens moderne qui se distingue de "rationnel" par un contenu moral.
- vices et vertus : doivent être pris ici comme des qualités opposées, des caractéristiques, sans implication morale. Le vice est ce qui ne marche pas, la vertu caractérise ce qui est conforme à ce qui doit être.
- mémoire, imagination : ce sont des facultés, c'est-à-dire des fonctions de l'esprit. La mémoire enregistre et restitue des informations, l'imagination invente des formes ou les reproduit. Leurs "performances" sont elles aussi perfectibles.
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