Des plans d'ajustement structurel déconnectés de l'économie réelle
Des plans d'ajustement structurel déconnectés de l'économie réelle
A l'exception des pays d'Extrême-orient, l'économie mondiale est secouée par une crise multiforme qui perdure, en dépit de tous les efforts déployés pour procéder à des ajustements structurels destinés à permettre une reprise durable de la croissance. Les politiques économiques mises en oeuvre dans le cadre des ajustements sont largement inspirées par le néo-libéralisme triomphant, dont les principales recettes sont appliquées avec plus ou moins de rigueur suivant les pays. Ces recettes consistent à réduire drastiquement le déficit des finances publiques et à décloisonner l'appareil économique en l'ouvrant rapidement à la concurrence internationale par une élimination des barrières douanières; privatisations et taux d'intérêt élevés accompagnant cette politique. C'est évidemment dans les pays du tiers monde, toujours soumis à des besoins de financement externes importants, que ces recettes sont mises en oeuvre avec le plus de rigueur sous la pression des organismes internationaux de financement, tels que le FMI (Fonds monétaire international) et la Banque mondiale. Toutefois, dans les pays industrialisés, la politique de taux d'intérêt élevés de l'Allemagne a entraîné pour l'Europe de l'Ouest des tensions graves et de nombreux désordres monétaires
La science économique et les recettes d'ajustement qui découlent des théories néo-libérales continuent d'ignorer les changements fondamentaux survenus dans la morphologie des économies réelles à partir du début des années soixante-dix.
De nouveaux circuits de formation et de distribution de la richesse
Ces mutations tiennent notamment au développement de nouveaux circuits de formation et de distribution de la richesse à l'échelle internationale. Ainsi a-t-on observé: 1. l'élargissement spectaculaire des circuits de l'économie informelle (y compris le trafic de drogue), en particulier dans les pays du tiers monde, mais aussi dans les pays industrialisés; 2. le développement exponentiel de la sphère financière et boursière, totalement autonomisée par rapport à celle de l'économie réelle; 3. le fonctionnement d'une économie de rente à l'échelle internationale dont les acteurs principaux sont les banques et les firmes multinationales qui, en étroite symbiose avec les États, et grâce à l'extension de la sphère financière, ont développé une économie de puissance, à l'abri de toute sanction dans les comportements gaspilleurs et prédateurs.
Les masses financières captées et gérées par ces trois circuits de l'économie atteignent des sommes égales ou supérieures aux budgets de nombreux États. L'accumulation des profits de l'économie informelle dépasserait aujourd'hui largement 1000 milliards de dollars, les transactions journalières sur les marchés des changes dépassent 900 milliards, le montant des crédits internationaux est passé de 4% du total du PIB des pays de l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) en 1980 à 44% en 1991; enfin, le montant des transactions boursières internationales a évolué, durant la même période, de 120 milliards de dollars à 1400 milliards.
Les systèmes de paradis fiscaux et de sociétés-écrans empêchent les États de taxer les profits réalisés dans ces circuits, alors que, dans la plupart des cas, ce sont leurs budgets qui supportent sous forme de moins-values fiscales les pertes considérables qui peuvent survenir dans ces mêmes circuits et qui se matérialisent, souvent, par une augmentation des actifs non performants des banques. En réalité, la garantie directe ou indirecte que les États accordent souvent aux activités bancaires aboutit à déresponsabiliser les dirigeants de ces grands établissements et des firmes multinationales. Il en est ainsi, par exemple, de la garantie accordée aux financements des exportations des pays industrialisés à destination des pays du tiers monde qui a poussé à une boulimie inconsidérée de crédits sur des opérations dont la rentabilité avait été peu ou mal étudiée, provoquant au début des années quatre-vingt l'étouffement financier de nombreux pays du tiers monde. Ultérieurement, l'effondrement des marchés immobiliers dans les principaux pays industrialisés a entraîné des pertes considérables pour toute l'industrie bancaire qui avait elle-même poussé à une spéculation foncière inconsidérée.
Les revers de l'"euphorie financière"
L'expansion de la "bulle financière" qui recouvre l'économie mondiale se trouver d'ailleurs favorisée par les politiques d'ajustement structurel. La politique de taux d'intérêt réels élevés, suivie à partir du début des années quatre-vingt, encourage la multiplication rapide des moyens de paiement. Cette dernière est aussi stimulée par le système des taux de change flottant, instauré depuis 1976, et qui permet des gains substantiels à chaque renversement de tendance sur le cours de telle ou telle grande devise internationale. En réalité, la période d'instabilité monétaire ouverte, dès 1971, par la suspension de la convertibilité en or du dollar et l'instauration de ce système ainsi que par la fluctuation très violente du prix des matières premières, a poussé au développement de l'économie de spéculation. Les détenteurs d'avoirs financiers et les opérateurs réels sur le circuit des matières premières se retrouvent ainsi dans l'obligation d'avoir recours aux marchés à terme pour se protéger des fluctuations de change et de prix des matières premières.
Ce sont les pays en développement très ouverts sur l'échange international de matières premières qui ont le plus souffert au cours des années quatre-vingt. En revanche, ceux du continent indien et d'Extrême-Orient ont réussi assez remarquablement à élargir le processus de croissance. La richesse s'y est développée, moins par la "bulle financière" ou l'économie informelle, que par un effort soutenu pour pénétrer les grandes filières industrielles, en particulier celle de l'électronique, à travers l'usage intensif de main-d'oeuvre à bon marché. Dans le cas de ces "dragons" la modernisation des campagnes a accompagné sinon précédé, comme dans le cas historique du Japon, cette grande vague d'industrialisation.
On peut voir ainsi que les règles de l'économie réelle, lorsqu'elles sont respectées, assurent la croissance et l'emploi, alors que "l'euphorie financière", pour employer l'expression de John Galbraith, les tue sans que les recettes néo-libérales de l'ajustement structurel ne puissent redresser durablement les situations.
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