Denis Roche
Né en 1937, Denis Roche commença des études de médecine (d’où, peut-être, dans Louve basse, sous le signe du corps et de la mort, tant de précisions — ou de délire — anatomiques), puis il entra dans l’édition. Il travailla d’abord chez Tchou avant de devenir directeur littéraire au Seuil où notamment il a créé et dirige la collection Fiction & Cie. Son premier texte, Forestière Amazonide parut en 1962 dans Ecrire IL Membre du comité de rédaction de la revue Tel Quel — dont il démissionnera en 1973 — Denis Roche publia en 1963 son premier livre de poèmes Récits complets dans la collection liée à la revue. En dehors de la publication d’anthologies et d’un remarquable essai sur Carnac où il démonte toutes les mythologies inspirées par les célèbres alignements bretons, Denis Roche fut essentiellement poète jusqu’au Mécrit (1972), non pas livre d’adieu à, mais bien tombeau de la poésie. En 1976, il publie son premier roman Louve basse. «L’avant-garde en 1976, c’est un roman de Denis Roche qui s’appelle Louve basse ». Phrase provocante, sans doute, slogan créé par l’auteur lui-même pour le lancement de son livre et renouant avec l’insolence souveraine des Dadaïstes (sur qui Denis Roche, justement, écrit un essai), mais non pas affirmation gratuite, même s’il faut y faire la part du jeu et du clin d’œil. Louve basse est bien en 1976 au cœur de l’avant-garde, là où s’opèrent les percées les plus violentes, les mises en abîme les plus radicales, au centre des querelles que suscite tout notion d’avant-garde. Louve basse est le premier roman de Denis Roche. Louve basse marque une rupture dans son activité littéraire. Ou quelque chose comme un nouveau départ. Louve basse consacre la mort de la poésie annoncée dans Le Mécrit (La poésie est inadmissible. D’ailleurs elle n’existe pas.) et le saut dans le roman, la prose, lieu désormais pour Denis Roche de tout travail sur la langue, de révolte contre les théories et les « flicultus », d’interrogation sur le corps, le sexe, la mort, lieu conjoint de la jubilation, de la provocation et du tragique. Dans Louve basse, Denis Roche fait éclater des structures romanesques depuis longtemps condamnées. Rompant toute continuité il saute du dialogue au récit, de la confidence érotique à la fiction, de l’essai au délire, quitte à contaminer chaque forme par l’intrusion brutale d’une autre (ce viol, cette violence rappelant que le sexe et l’écriture, la mort et l’écrit ont partie liée). Ou encore il donne tel quel le décryptage d’une bande magnétique enregistrée pendant une séance érotique et sous les espèces du ready-made - mais comme s’il ce rapportait à sa mort future — un rapport d’autopsie. Par une provocation inverse, il réintroduit dans le roman ce que depuis une vingtaine d’années les théoriciens en avaient banni : les personnages, la satire, le lyrisme, la subjectivité. Louve basse est à la fois une fête joyeuse, une plongée dans les profondeurs du corps, de la réalité, jusques et y compris dans l’obscénité, et un cri contre la mort. Une danse pour conjurer — et pour célébrer — la mort. Un roman baroque, pathétique et une tragédie froidement mise en place. Louve basse peut passer pour une métamorphose de Denis Roche, mais s’inscrit en fait dans la logique de sa démarche. Si dans Louve basse le lyrisme dérange, conteste, casse la fiction, c’est qu’il avait depuis longtemps déserté la poésie. A l’inverse, dans les poèmes de Denis Roche, depuis Récits complets, c’était la fiction, la narration qui dérangeaient, contestaient, cassaient le lyrisme, progressivement dévoilaient le dépérissement de la poésie, la raturaient avant de l’effacer. Raconter : depuis longtemps les poètes ne l’osaient plus. La description ou l’interrogation, l’effusion ou le jeu avec le silence étaient leur domaine. Raconter passait pour un procédé de chansonnier ou n’était plus possible qu’avec la caution de l’humour ou de la revendication politique chez Prévert ou Aragon. Denis Roche réintroduit le récit dans le poème et les titres de ses recueils {Récits complets) ou de ses poèmes (Monsieur le pilote vraiment royal dans Les Idées centésimales de Miss Elanize, Saint-Just ou la précipitation des actions dans Le Mécrit) l’indiquent clairement. Toutefois ce n’est point pour renouer avec la poésie narrative du xviiie siècle; même s’il connaît bien celle-ci, ses références sont plutôt du côté des grands rhétoriqueurs. La fonction du récit est ici celle du cheval de Troie. Le récit se dédouble, se multiplie, prolifère, éclate : « Quand il voulait élever ces deux gigantesques colonnes/ Je crois comprendre que c’est une maison elle déferle/ Uniformément le vase quadrilatère . est d, époque runique/ Ils courent à qui mieux mieux s'enfermer dans le fort/ St Patrick de nouveau en scène à deux étages jetez vos/ Mouchoirs mesdames il fait doux à la septième fenêtre », lit-on dans Les Idées centésimales de Miss Elanize. Dans Eros Energumène et plus encore dans Le Mécrit, cet éclatement se confirme. La continuité du récit est constamment minée, dynamitée par des histoires, des interventions secondes, tierces, etc., par des ruptures brusques, des trouées, des chutes. Tandis que pour le regard le poème conserve une apparence très classique les phrases se brisent, la prosodie, comme rongée de l’intérieur, se transforme, se délite, l’enjambement devient la règle d’un vers sur l’autre, d’un mot sur l’autre quand il n’est pas déchirure à l’intérieur d’une syllabe. Dans les derniers poèmes du Mécrit, coupure des textes, des mots, citations d’idéogrammes, recours aux rajouts, aux artifices typographiques, aux notes font l’effet d’un biffage, d’une rature généralisés. Dans Lutte et rature, qui ouvre Le Mécrit, Denis Roche annonce la couleur : «Poésie c’est crevé, en petits carrés mangée aux mites, Dieu l’ait. » Le Mécrit se donne enfin comme le dernier cérémonial poétique, celui où la poésie ordonne et célèbre sa propre mort, ensevelit dans la béance du livre son corps ébloui, évanoui. Louve basse, dès lors, peut venir, s’écrire, se crier. ► Bibliographie
Poésie
Forestière amazonide, 1962, in Ecrire II,Seuil; Récits complets, 1963, collection Tel Quel, Seuil; Les idées centésimales de Miss Elanize, 1964, collection Tel Quel, Seuil ; Eros énergumène, 1968, collection Tel Quel, Seuil; Le Mécrit, 1972, collection Tel Quel, Seuil;
Roman
Louve Basse, 1976, Collection Fiction & Cie, Seuil ;
Divers
« Théorie I» et « Théorie II » in Théorie d'ensemble, 1968, Collection Tel Quel, Seuil ; La liberté ou la mort, 1789, 1969, anthologie, Tchou; Anthologie de la poésie française du XVIle siècle, 1969, Tchou ; Carnac ou les mésaventures de la narration, 1969, Tchou ; Eloge de la véhémence, 1970, sérigraphies de Bernard Dufour, Editions Société encyclopédique française & Sébastien de la Selle; Trois pourrissements poétiques, 1972, L'Herne; Lutte et rature, 1972, sérigraphies de Bernard Dufour, Editions Société Encyclopédique française & Sébastien de la Selle; Matière première, 1976, L'Energumène;
Traductions
Ezra Pound : Cantos Pisan, L'Herne, 1965 ; ABC de la lecture, 1966, L'Herne;
A consulter
TXT n° 6-7 : La démonstration Denis Roche, Christian Prigent .Denis Roche, 1977, collection Poètes d'aujourd'hui, Seghers ;